-
Pipôle Emploi ou la nouvelle vie d'Eric Woerth 1/1par Lofti Benayak
Pipôle Emploi
ou la nouvelle vie d’Eric Woerth
1/1 Lofti Benayak
C’était ma première fois, la première fois que je pointais au chômage chez Pôle Emploi, la première fois aussi que je ratais ma vie, moi qui avait toujours été un bon élève, bien noté, docile à tous, suivant la consigne, apprenant le règlement intérieur par coeur, je m’étais fait virer de tout, d’abord du gouvernement puis de mon mandat de député-maire et enfin de celui de mari, ma Florence s’était faite la malle la semaine passée, elle était repartie en Suisse avec notre ultime carte bleue.
Il faut dire aussi que je me rasais plus, je me levais à midi depuis que je couchais dans le clic clac de l’entrée, Florence voulait faire chambre à part,dans un F 1,5 c'est pas commode, elle me traitait de raté, de couille molle, de... de centriste ! Elle avait raison je bandais plus du tout, elle me faisait tellement pitié quand je la voyais partir au petit matin avec son sac prisunic années 70 et ses bas à varices pour prendre son RER, on habitait maintenant au Val Fourré dans les grands ensembles.
Comme tous les politocards français dans la débine, je m’étais pointé à l’ambassade des Ztas-Zunis voir si je pouvais pas y récupérer un p’tit quéque chose, petite pension d’agent dormant de la CIA, emploi protégé à la Banque Mondiale, après tout là aussi j’avais toujours été bien obéissant et serviable mais le troisième adjoint du quatrième conseiller m’avait vite fait comprendre que d’après eux, je n’avais pas beaucoup d’avenir en me refilant un carnet de tickets de métro et une caresse sur la truffe.
En attendant mon tour d’être reçu par le conseiller, avec mon ticket numéroté, j’avais le n° 1256893256356, je me disais que quand même j’avais fait une bonne réforme de l’ANPE en créant le Pôle Emploi, c’était vraiment plus humain depuis qu’on avait mis des plantes vertes et des distributeurs de croquettes et d’eau fraîche pour les chômeurs en fin de droit !
Je me souvenais des suggestions sociales de l’autre nain suprême qui m’avait pris à part après un conseil des ministres pour m’expliquer qu’il valait mieux parquer les chômeurs en sous-sol à cause des odeurs.
Enfin après pas plus d’une demi-douzaine d’heures d’attente et soixante-quatorze changements de fesse ça a été mon tour.
La conseillère (c’était un fonctionnaire femelle je l’ai reconnue aux oreilles qui sont moins rouges et moins développées que chez le mâle et à la cravate tâchée que la femelle ne possède pas!) a vite fait mon bilan d’employabilité en tapant sur son clavier :
-Bon écoutez... taptap..., Monsieur Worth, on vous a déjà proposé deux emplois qui correspondent à vos compétences et vous les avez tous deux refusés... taptap...
-Maître-chien dans un hyper Auchiottes et cariste manutentionnaire chez Shopi(ne), j’ai une agrégation de déconométrie appliquée, un DESS de droit de l’arrivisme et un MBA d’affairiste-comptable,
-Taptap... de toutes les façons on a pas d’emplois dans la finance... taptap...
-J’ai été trésorier de parti politique...
-Oui ben justement, le jonglage alors vous connaissez un peu... taptap... pasque je peux vous proposer un emploi de clown d’ambiance... taptap...
-Clown d’ambiance !
-Je vous rappelle que si vous refusez cette troisième offre vous allez être radié définitivement.
Putain ça aussi c’était dans ma réforme avec les brumisateurs et le kit d’insertion dans la vie professionnelle pour les jeunes employables (une paire de gants jetables et un tube de vaseline !).
-En plus je vous offre un CDI de la Mairie de Paris... taptap... c’est du sérieux ça, sans compter que vous pouvez très bien y faire carrière... taptap... vous z’êtes vraiment pas malien ?
-Ah je vous en prie restez correct.
-Non pas malin, malien, pasque j’aurais pu vous mettre à la Propreté sans quoi... taptap... ramasser les poubelles...
-Je ne suis pas du matin, demandez à Florence mon... épouse ... snif ! snif !
-Bon alors vous commencez la semaine prochaine comme adjoint de clown d’ambiance... taptap... vous avez droit à une formation qualifiante de 45 minutes un panier repas... taptap... à une prime de maquillage, les chaussures, le costume et le nez rouge sont fournis.
-Eh ça consiste en quoi clown d’ambiance ?
-Vous êtes chargé de remettre de l’ordre sur les trottoirs envahis par les fumeurs et de leur mettre la pression... taptap...
-Alors si je comprends bien, clown c’est un peu comme flic maintenant ?
-Taptap...
J’ai quitté Mademoiselle Taptap sans regrets et deux jours après j’ai suivi la formation qualifiante, on nous a expliqué que l’idée c’était de faire régresser le sociopathe jusqu’à en faire un gamin pétochard et punissable, que l’on avait délégation d’autorité pour dresser contravention, faire panpan-cucul ou mettre un mot aux parents et que ceux qui rentreraient pas dans le schéma pourraient être mis en garde à vue pour une période de dix ans reconductible dans le cadre de la lutte anti-terroriste au titre de rébellion à clown assermenté dépositaire de la farce publique.
La première fois on est monté au front de l’hygiène morale, un peu crispé, on appréhendait derrière le maquillage on était pas fiers, on craignait Verdun, la Côte 204 remontée boulevard des Batignolles. Vingt années auparavant c’est comme ça que ça serait terminé ces grotesqueries, on se serait fait casser la gueule joyeusement, ils nous auraient déguisé en poupée de bord et défenestrer allégrement les parigots haute époque, là rien, presque pas de protestations quand ils voyaient débarquer la section de nez rouges, quelques meuglements et c’était tout, après on les manoeuvrait comme un troupeau de broutards reniflant le pavé, apeuré et bientôt affolé.
Finalement le boulot me plaisait bien, flic ça a quand même des avantages, c’est comme jeune de banlieue, on prend son pied en voyant la trouille dans les yeux de l’usager et puis il y avait le côté transcendantal, croisé de l’empreinte carbone, nouveau saint Graal .
C’est dans cet état tout proche de l’illumination, que deux mois après je me suis retrouvé avec quelques collègues clowns devant le Fouquet’s où « subséquemment nous avait été signalé un attroupement à caractère fortement fumigène et sonore ».
On a débarqué là-dedans avec nos grands pieds plats, nos nez rouges et nos carnets à souche:
-Alors les p’tits n’enfants on fait du bruit et de la fumée qui fait tousser c’est pas bien du tout ça!
Mais curieusement personne n’a bougé, et tous ces fumeurs de cigare ont continué de téter leurs puros et de parler à haute voix sans même faire attention à nous.
-Y vont rentrer faire dodo les peutits néléfants maintenant ou bien sinon qu’on va se fâcher trés trés fort!
On a insisté mais rien, on se préparait à se mettre en configuration répressive quand une voix que je connaissais bien a retenti du fin fond de la mêlée mondaine:
-Tiens Eric mais qu’est-ce que tu fais déguisé comme ça ?
C’était mon ancien chef, mon président.
-Ben tu vois je....je gagne ma vie... c’est tout ce qu’ils m’ont trouvé à pôle Emploi : clown d’ambiance...
Ils se sont tous tournés vers moi à ce moment et putain qu’est-ce que j’ai eu honte, je les connaissais tous du temps d’avant quand j’étais minisse.
Lui m’a contemplé longuement avec un sourire vicieux avant de me lâcher sa fumée de cigare dans la gueule:
-Tu sais que ça te va pas mal au fond ! Tiens je penserais à toi, depuis que Boorloo est parti on manque de clowns au gouvernement il y a bien Juppé mais il a plutôt un emploi de clown blanc... de clown blanc qui fout le schwartz ! Eh bien tu vois, mon petit Éric, je suis content que tu aies trouvé ta voie et un peu grâce à moi... si, si, reconnais-le si je t’avais pas complètement laisser tomber, qui aurait pu deviner que sous l’alsaco psycho-rigide l’auguste sommeillait. Écoute je vais m’occuper de toi, soit je te fais entrer chez Bouglione soit tu reviens au gouvernement, tu me diras que c’est un peu la même chose... ouais ouais pour la saison 4, ou plutôt non pour ma nouvelle présidence, tu vas voir ce que ça va être munificent poï poï, ça sera Disneyland tous les jours, et chaque semaine on votera en praîme taïme pour savoir qui doit quitter le gouvernement.
Il m’avait pris par l’épaule :
-T’a du en chier non, ça devrait plaire à TF1 et à Paris-Match, je vais te mettre au grand ministère que je veux faire des grands blessés de la vie, je te filerai comme secrétaire d’état des pipoles cassés genre Manaudou, Jean-Luc Lahaye, ou Danielle Gilbert...
-Ministre des has been c’est ça ?
-Ben quoi faut utiliser les compétences et puis c’est toujours mieux que clown d’ambiance pousseur de mégots non ?
C’était vrai, j’étais content, j’avais trouvé un nouvel emploi, au fond quand on cherche un boulot les relations c’est quand même ça le plus important, merci Pipôle Emploi.
« NORDNMARK ONE POINT! Journal intîme du Prince consort (pas souvent) Raoultkë de Nordnmark par H.T.Fumiganza 36...NORDNMARK ONE POINT! Journal intîme du Prince consort Raoultkë de Nordnmark by H.T.FUMIGANZA / 37... »
Tags : paris, humour, lofti benayak, Eric Woerth, france identité nationale minarets burka laïcité débat éric besson nicolas sarkozy république républicain français, urbane tattack Lofti Benayak, Pipôle Emploi, Eric Worth, nécrologie Nicolas Sarkozy