• Con Friendly 1/2 par L.Lagueulebée

    Con friendly!  1/2  par L.Lagueulebée
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    C'était la veille des vacances d'été et je venais de m'acheter la nouvelle Penault-Reugeot Fraü Helga, la première vraie voiture citoyenne. Le concept est connu, exactement moderne: la bagnole vous surveille en permanence et à la moindre déviance elle réagit et prend des sanctions.

    Je voulais faire la surprise à mes mômes, sur le conseil de leur professeuse d'éthique sociale ils m'avaient dénoncé le mois dernier aux services concernés en tant que possesseur d'un Dodge V8 Big Block 4X4 Anaconda utilisé nuitamment dans les rues de Paris.

    Ils avaient bien fait, remarquez, j'en avais marre de me planquer à chaque feu rouge parce que les meutes de vélibeurs et vélibeuses m'entouraient pour me traiter d'ordure (non recyclable) et me demander si j'avais pas honte.

    Alors j'ai profité des promotions pendant la semaine punitive organisée dans les concessions Penault-Reugeot, je l'ai payé 5000 teuros de plus que le tarif sans compter la prîme de 3000 teuros que je devais régler recta au gouvernement sous peine de poursuites (à cheval), il n'en restait plus qu'une j'ai eu de la chance, le vendeur très élégant dans son costard italien fabriqué en Pologne ça l'a dégouté mon trop plein de bonheur, il m'a refilé comme une mauvaise vérole un crédit Sofincon Intromitude à 47,88 % de TEG annuel sur 96 mois et il m'a proposé un coup de manivelle derrière la tête sans supplément, mais j'ai du décliner l'offre.

    Pour le reste c'est une Penault-Reugeot plutôt solide comme... poubelle, elle est entiérement en matériaux recyclés, il y a encore des traces de sang incrustés dans le plastique du tableau de bord et une rondelle de saucisson dans le pare soleil. Le moteur est hybride, il accepte tous les bio carburants: le jus de chaussettes d'élu vert aussi bien que le sirop de barbe d'altermondialiste, même si ce qu'il préfère c'est la sueur de con quand il cale et ne veut plus redémarrer parce qu'il a détecté une amorce de début de commencement de  pic de pollution.

    Au feu rouge, quand elle boude, maintenant les vélibeurs me félicitent, les piétons m'encouragent et moi je transpire... citoyen.

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    Bref je suis revenu à la maison rayonnant, j'étais enfin du bon côté des barbelés, dans la moyenne compensée, je n'aurais plus à serrer les fesses, à me cacher pour cracher sur la télé ou maudire mes contemporains, plus à lâcher de sourires gueulés aux photomatons de bord d'autoroute, mes mômes étaient très fiers de moi, ils ont dit qu'ils me proposeraient pour une médaille citoyenne de 14° classe et feraient un rapport très favorable en trois exemplaires.

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    Il faisait beau, on allait partir en vacances, en chargeant la voiture je me souvenais des départs pour les grandes vacances avec mon père, sa première bagnole neuve: une 403 Peugeot toute noire, la 7 chevaux pas la huit, fallait pas rêver non plus, quand même il était allé la chercher à Sochaux pour faire des économies et la prendre bien en main. Depuis il se promenait autour avec sa peau de chamois dans la poche du pantalon et la cigarette au bec, il était en chemise blanche, et on l'aidait à charger la galerie, le voisin le père Mirail venait donner des conseils, boire le coup, il était chauffeur routier, dire s'il s'y connaissait en... chargement.

    Autour ça sentait la glycine, on partait dans le midi, par la Nationale 7, à l'époque les autoroutes étaient à épisodes, un vrai feuilleton, les veilles de grand départ on nous en inaugurait 27 kilomètres, un tronçon en pleine campagne,  et à la suite on nous passait un match de fouteballe sur la première chaîne après quoi on lâchait le troupeau sur le bitume.

    Notre 403 était immatriculée 75, pourtant on était seulement des banlieusards mais la province n'en savait rien et nous traitait en parisien, ça nous flattait d'être pris pour des parisiens, aujourd'hui c'est sûr j'en aurais honte.

    Mon père aimait rouler la nuit « faire sa route ! »  

    Moi je ne faisais pas comme mes frères et sœurs, je ne m'ennuyais pas en bagnole, je ne vomissais pas en bagnole, je ne dormais pas plus en bagnole, moi j'étais heureux en bagnole et quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, je répondais : conducteur de 403.

    -Et pourquoi pas abonné au gaz ! Voilà un môme qui a de l'ambition ! Rigolait mon oncle, caravanier d'élite.

    Elle était notre liberté, nous naviguions à notre guise sur l'asphalte des nationales et des départementales, j'aurais voulu hisser haut le drapeau noir bitume, j'admirais le compteur, le tableau de bord éclairé, le paysage embaumé que la pluie animait, les brouillards braconnant dans la Bourgogne endormie, les grandes flammes qui sortaient des raffineries de  Feyzin, « les plus grandes et les plus modernes d'Europe ! » selon mon père, orgueil de notre industrie lourde quand on atteignait Lyon et puis au petit matin, enfin, les odeurs de cyprès qui nous arrivaient dessus et nous retapissaient l'âme.

       Mais ce que je préférai par-dessus tout c'était les arrêts dans les stations service Antar, Fina,  Esso, Azur, avec le pompiste mal réveillé en bleu taché, le bruit du volucompteur, les odeurs d'essence parfumant la nuit vieille fille, la dépanneuse Frégate en bout de piste et quelque chose de salutaire et français dans toute cette solitude provinciale déployée, claquant au vent.  

    Et puis l'on repartait, dés que tous sommeillaient, mon père tentait quelques pointes de vitesse, il relançait jusqu'à trouver le bon braquet, on faisait la route à deux, je lui allumais ses clopes, j'étais dans le personnel navigant, bombardier ou pointeur, mécano de Fangio, on grattait les grosses  Ford et Opel hanséatiques, ballantes sur les nids de poule et hautes sur roues elles ne résistaient pas longtemps à nos assauts traîtres et maquisards, il n'y avait que les Mercedes du corps de bataille devant quoi l'on s'inclinait, là mon père relevait la visière et laissait passer le tankiste, le touriste à tourelle. Il saluait presque tant cela impressionnait une 280 SEL  déboulant en pleine campagne de France. 

    Après quelques quinze heures de route nous arrivions enfin au pays des vacances, mes parents louaient pour pas cher à l'année une école désaffectée, dans un arrière coin perdu, un village oublié prés d'une station d'altitude qui ne l'était pas moins. Mon père, une fois encore invaincu, allait se coucher, nous les mômes nous déchargions mollement les bagages sous les ordres de ma mère.

    Les indigènes nous saluaient sans trop de mots, à l'époque le paysan parlait peu ce qui lui permettait de proférer moins de bêtises que la moyenne nationale même corrigée des variations saisonnières d'autant qu'il avait rarement la télé.

    J'en étais là de mes souvenirs, de ma nostalgie de cette époque confiante si loin de toute la flicaillerie compulsive et des casernements contemporains, je m'étais approché de ma nouvelle bagnole pour commencer à la charger, avec des valises plein les mains et l'œil brillant du père de famille en vacances qui va entreprendre la petite bonne de l‘hôtel où il est descendu, et soudain elle s'est mise à klaxonner, à clignoter des phares et à condamner toutes les ouvertures: elle avait mesuré mon haleine... j'aurais du éviter la vieille prune...

    ( à suivre...)
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