• Walter Chéchignac 27/2 par H.T.Fumiganza

       Au milieu de toute cette agitation, je remarquai dans la foule inaugurale, un quadragénaire joufflu, enneigé sur le sommet mais encore roux par endroit, quand il prit mon papa par l'épaule et lui dit sur un ton tutoyeur que mon papa d'habitude n'appréciait pas trop d'ordinaire venant d'un subalterne.
    -Bon Régis tu nous vires tes pédés maintenant et on va faire la comptée au sec !
    Il causait rudement bien français l'américain !
    -Normal c'est un parisien pur sucre : Jackie Rouquette dit la Mouillette ! Me renseigna la Excellencia.
    -Vous... vous le connaissez ?
    -Peut-être, il me semble, il y a longtemps, un camarade de jeunesse, nous avons fait les quatre cents coups ensemble...
    -Et quelques agences bancaires... Précisa le chef ‘von le Gueuzec  attendri et railleur
    -Allons chef si vous commencez à donner dans toutes les mythologies et épopées de comptoir... oh la Mouillette !
    Le rayé se retourna et sortit de dessous son costume rayé un objet métallique qui pouvait aussi bien être un pistolet automatique Beretta 95 S calibre 9mm para qu'un étui à cigares 15 coups :
    -Quoi ? Qu'est-ce que... Oh putain... putain la Gaufrette ! La Gaufrette ! Ah ça si je m'attendais ! Mais qu'est-ce tu fous là toi !
    -Ben tu vois comme toi j'inaugure !
    C'était l'évidence La Mouillette et La Gaufrette cela avait dû être un numéro connue à l'époque de leur jeunesse.
    A voir le bonheur qu'ils avaient à se retrouver dans leur âge  presque mûr.
    Le rayé rangea l'objet métallique dans son étui ad-hoc.
    -On m'a dit que tu avais quitté pour l'Argentine après... ton histoire cannoise...
    -Ouais... ouais j'ai vu du pays...
    Ils parlaient à demi-mots mais la fréquentation de Chéchignac m'avait enseigné sinon le Merlotin ou le Gallosylvien au moins à entendre le « Demimot » presque aussi bien qu'une langue natale, et je compris vite qu'il était question d'une héritière de casino séduite et abandonnée quinze années auparavant par le sus nommé Jacky dit la Mouillette en baie de Cannes avec des semelles en béton compensé aux pieds, sans doute la mode de l'époque.
    -... ‘pas comment elle a pu remonter... j'aurais dû forcer sur la granulométrie... murmura-t-il avec comme un regret de compagnon du devoir dans la voix.
    -Bah y faut plus y penser, le métier qui rentrait. Et alors toujours dans les casinos ?
    -L'entertainement y z'appellent ça, ah y savent utiliser les compétences, ‘pas à me plaindre.
    -Et au juste tu bosses pour qui, la calabro-new-yorkaise ?
    -Penses-tu l'albano-prukhmen, on a fait une jouinte-ventchure le produit qui monte, on arrête pas de prendre des parts de marché à ces enculés de ritals et à ces pédés de cubains, si je te sortais les chiffres du mois dernier, rien qu'avec les produits dérivés... enfin... et toi t'es toujours dans...
    -Non, non je n'y suis plus... s'empressa son excellence... mais alors plus du tout, import-export c'est ma seule devise maintenant.
    -Intéressant on pourrait monter un turb' ensemble si t'as un peu de surface je te présenterais à mes boss, c'est des jeunes, des types ouverts, entreprenants et qui en veulent, tu savais toi que les prukhmen avaient inventé le moulin à légumes deux milles ans avant le reste du monde ?
    -Ah ben non ça !
    -Vrai je te dis, des mecs étonnants, y a que question mentalité c'est des fois limite mauvais goût, ah y pleurent pas la roquette mais enfin ça évite de s'encroûter s'pas... bon dis on se voit tout à l'heure.
    -Ce soir si tu veux quand tu auras couché les petits.      
    -Charges pas ils sont polyglottes ces cons-là !
    -‘paraît-y même qu'y'z'auraient inventé la méthode assimil cinq mille ans avant que ça paraisse en kiosque, allez à ce soir ... La Mouillette.
    -Adieu ma Gaufrette, ‘ce soir.
    Le rayé regagna les premiers rangs avec les autres rayés.
    -Décidément mon cher Walter vos relations sont d'un pittoresque ! Remarquai-je avec quelque causticité.
    -Bah pour ce qui me concerne c'est du passé mais pour monsieur votre père elles sont hélas bien présentes et même un peu trop à mon goût.
    Il avait raison, je n'y avais point réfléchi, comment Diable Père pouvait-il frayer avec de tels gens.
    -Vous jugez qu'il se compromet trop avant avec eux ?
    -Je pense qu'il est préférable de ne pas être la mule de ces gens-là. Vous savez ma petite querelle parisienne c'est avec les collègues de bureau de Jacky la Mouillette que nous l'avons vidée, et leur goût immodérée pour les artifices et leurs manières vulgaires m'ont coûté quelques costumes et ... enfin elles m'ont coûté assez cher pour vouloir les épargner à votre papa si cela est encore possible.
    -Vous pensez que La Ponche sur Conche est pour eux une sorte de tête de pont ?
    -Je ne vous en avais pas parlé pour ne pas vous inquiéter mais j'avais été étonné de découvrir que votre papa, du moins la société holding qu'il préside et les capitaux qu'il gère sont pour une part importante le soutien de ces gens dans leurs entreprises parisiennes... et maintenant concho-ponchaines.
    Je tombais de haut . Comment imaginer que le Président Régis Cardemeule put être au départ de tous les ennuis à quoi ce cher Walter et moi-mâmes avions été confrontés depuis trois mois, tous ces assassinats et menées sordides.
    Sans doute avaient-ils voulu éliminer en la personne de ce cher Walter leur seul concurrent sérieux sur la place et pareillement n'avais-je dû ma nomination calamiteuse de candidat qu'à leur désir de tenir le père par le fils. Le monde civilisé et moquetté glissait sous mes pieds, la terre accélérait sensiblement sa rotation.
    Je regardais mon père, encore très grand, très droit, très maigre,  il était en smoking mauve de soie sauvage de leader de groupe de rock anglais années soixante-dix, entourée de jeunes filles ouvrières dans la pop‘ dont quelques unes fraîchement diplômées de diverses académies de la Tévé réalité et pas tellement plus réelles dans la vie. Devant les caméras de tévé du monde entier il venait de se sacrer d'une gâpette à l'envers et s'essayait à l'imitation des artistes maison.
    Il était ridicule.
    Au vrai il réalisait là tous ses rêves de jeunesse. Il avait eu vingt ans dans les années soixante, fait le voyage initiatique aux Indes mais pendant ses congés, il préparait l'Ecole ça ne l'avait pas empêché au retour de se marier dans son milieu, mieux dans son quartier. Durant sa scolarité à l'Ecole il avait milité pour et défilé contre, mais pendant les heures de travaux dirigés, après il avait travaillé dur dans les cabinets... ministériels certes, les cabinets, mais enfin cela restait des cabinets, ‘pas ce qu'il y a de plus agréable n'est-ce pas quand on connaît la mentalité et les manières de parvenu de ces cochons-là !
    Il avait présidé des trucs et dirigé des machins qui la plupart du temps étaient sans utilité et ne servaient à rien qu'à permettre à des types comme lui de présider sans avoir eu à entreprendre et de diriger sans nécessité de réussite. Bref il avait du temps à rattraper, il vivait là une seconde jeunesse, plus canaille et délurée que la précédente, tellement plus abondante aussi. Car il y avait le sexe pris en compagnie nombreuse et shampouinée, autre chose que les étudiantes en psycho crasseuses de son jeune temps et l'argent dépensé sans remords aucun  puisque ce n'était pas le sien mais celui de vieilles femmes réactionnaires, quelque part, pas très loin, et même juste à côté il faisait œuvre révolutionnaire.
    -Vous... vous croyez qu'il est au courant ?
    -Je ne sais pas. Le mieux serait de le lui demander et vous êtes le mieux placé pour cela il me semble.
    -Vous avez raison je vais essayer de m'entretenir avec lui.
    A ce moment de notre conversation les trois sœurs Van Der Konf passèrent devant nous, à la file indienne comme une colonne de trappeurs belges quittant en grande hâte le pays iroquois,  en bon ordre et avec encore leur scalp, mais  quelque peu traumatisées par ce à quoi elles venaient d'assister.
    -Peut-être faudrait-il songer à protéger les trois vieilles dames.
    -Elles sont elles aussi en danger ?
    -« Périmètre de sécurité » pour parler gendarme,  mon petit vieux autour de monsieur votre père, je vais demander à notre ami Bédoncle de veiller sur elles.
    Je pris place dans le rang des notabilités locales et Papa nous passa en revue, même le commandant des pompiers, avec un mot pour chacun, toujours le même et en anglais encore, il ne parlait plus qu'anglais et il souriait avec un drôle d'accent aussi et des dents qui étaient pas à lui :
    -... geulade tou mite iou !
    Vrai il m'était passé devant sans même me reconnaître, moi son seul fils unique.
    Je me tournais vers Chéchignac qui sembla gêné, lui dont le père faisait l'enfer buissonnier pour revoir son fils bien aimé:
    -Mais vous avez vu ça c'est mon papa à moi et il m'a même pas reconnu.
    -Il est occupé, vous pensez bien une inauguration comme celle-là !
    Occupé à tripoter de la nymphette pop star, à répéter des niaiseries dans un mauvais anglais d'occupation et à contempler son œuvre visionnaire exaltant le divertissement industriel, les vertus maffieuses et le n'importe quoi pourvu qu'il fut exactement contemporain du n'importe comment.
    Mais le rayé en chef me prit par le bras, avec quelque énergie, il  me sortit du rang et me présenta gentiment ... à mon père.
    -... the next mayor of La Conche !
    -Gueulade tou mite iou!
    -But... but it's your son!
    -Maï sonne? Are iou chaoére direste Timeo?
    -Oh fucking you frogie that's your fucking son !
    The fucking family était presque au complet.
    -Oh yéa ? Bute...Yéa innedide iou are raïght maï dire, zat is aouére sonne! Et mais  qu'est-ce que vous fichez là toi... maï boï ?
    -Footing électoral ! Lui expliqua Chéchignac.
    -Mais enfin l'on nous avait dit que tu ne vous présentais plus !
    Peut-être à la suite de trop de conseils d'administration transnationaux avait-il perdu l'usage de sa langue natale en même temps que celui de ses affections tutoyantes dans tous les cas ses vousoiements et nousoiements de majesté me compliquaient un peu plus l'abord d'un homme qui me demeurait un parfait inconnu.
    Nous étions côté à côte tels deux vaisseaux cousinant sur la vague, nous éloignant, nous rapprochant selon l'humeur de la houle, nous parlant depuis nos bords en même temps que nous ordonnions de charger à mitraille pour faire le plus de bruits ou de dégâts possibles, le moment venu, s'impressionner l'un l'autre et fuir le peu de souvenir que nous avions en commun.
    Chéchignac restait perplexe devant cette relation compliquée.
    -Je peux vous parler père, seul à seul.
    -Et pourquoi non, allons don' nous asseoir... tenez devant cet océan-là. 
    Il y avait un banc et l'océan qu'il regarda comme en prend la mesure d'un subordonné rétif.
    En quelques phrases je le mis au courant... de ce qu'il savait déjà :
    -Décidément vous autres... français...vous êtes resté très provincial, vous ne vous ouvrez pas à l'avenir, leurs pratiques transactionnelles sont au contraire très modernes et parfaitement éthiques, sans compter qu'ils ont du goût pour l'exercice et le culte de la performance, vous raisonnez avec une étroitesse d'esprit de gendre provincial, tout cela est révolu, il faut penser global...
    Penser global mais dans les clous, manger global mais allégé, baiser global mais avec une capote su'le bout, je n'aurais su dire pourquoi mais son discours de fonctionnaire défroqué, d'ex-français passé international à l'ancienneté me désolait, peut-être parce qu'il disait assez bien le monstre, sans attachement, tradition, ni honneur qu'était Régis Louis le quatorzième... de meule.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>*
    <o:p> </o:p>Je ne racontais pas tout de notre conversation à Chéchignac mais il comprit très vite que l'on n'en sortirait pas du moins par ce bout-là :
    -Pour les virer d'ici il n'y a qu'un moyen. Il faut mettre la pression sur le gouvernement Prukhmen.
    -Quoi vous voulez donc que la Fran... enfin la future ex-France déclare la guerre au Prukh...
    -Qué la France mais non je parle du gouvernement bravadien que je représente ici... et ailleurs.
    -Mais il n'y a pas de frontières communes. Il y a 4800 kilomètres de distance entre les deux pays. Ils ne donnent même pas sur le même océan. Il n'y a pas de frictions, pas de conflit possible.
    -Que vous dîtes. Le Colonel Doubinskoï n'est-il point ressortissant prukhmen, un espion donc, du moins c'est ce que j'ai indiqué dans les télégrammes chiffrés que j'ai envoyé à l'occasion de son embarquement, ils vont donc le retenir en otage... dés qu'ils auront déchiffré les sus-dits télégrammes, cela prendra un peu de temps... Mademoiselle de Plombelec est une chiffreuse hors-pair mais très... personnelle et très à cheval sur l'orthographe et la syntaxe codées.
    -Et cela ne vous gêne pas d'envoyer en prison un ami.
    -Qué ami ? Le cher Doubi n'est pas un ami  mais une ex-relation de travail qui m'a arraché lui-même avec son couteau suisse tous les ongles de mon pied droit au Tchad en 79 où il était conseiller culturel à l'ambassade soviétique et ce lors d'un interrogatoire d'ailleurs fort divertissant, je me souviens qu'en lever de rideau il y avait un numéro très amusant du chef des services de renseignements libyen, sur la personne de son sous-chef du personnel qui était parti avec la caisse vous n'imaginez pas tout ce que l'on peut faire avec un simple cure-dent.
    Non et je ne cherchais pas même à l'imaginer.
    Cet homme était d'un machiavélisme sans doute prohibé par toutes les conventions internationales. (à suivre...)
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