• Walter Chéchignac 18 par H.T.Fumiganza

    18.
    Réveil parisien.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p>Nous avions quitté La Conche très tôt, à l'heure où les pêcheurs impatients réveillent leurs femmes en cassant le vase de belle-maman  avec leur gaule.
    Je me taisais, à côté de moi, Walter Chéchignac conduisait, en silence, lui aussi, très vite, très bien sans doute, mais trop vite, trop bien et... trop seul. Son individualisme, son indépendance m'exaspéraient tout autant que la sollicitude intéressée qu'il me témoignait.
    Il avait ressorti de ses collections, l'un des ces bolides Scalextrix des années soixante et dix avec quoi il moquait la gendarmerie locale, une Chapparal avec un aileron de deux mètres de haut et à son bord il se faisait fort de rallier Paris en moins de deux heures et douze minutes, son record personnel, nous étions dans les temps et sans doute avec les dizaines de photos-flashs des radars que nous avions déclenchées sur notre passage aurions-nous eu de quoi garnir un bel album de vacances.
    Mais aujourd'hui Son Excellence s'en fichait bien des souvenirs.
    Il avait des soucis et ce n'était pas tant les événements récents survenus à La Conche et dont le total de bilan atteignait une dizaine d'assassinés qui l'occupaient que ses affaires parisiennes.   
    Pour ma part, il me fallait changer d'air, je ne supportais plus La Conche sur Ponche et son climat grand-guignolesque, où les égorgements succédaient aux décapitations et devant quoi je craignais malgré tout de perdre sinon la vie au moins une bonne part de ma raison .
    Et puis j'avais à faire à Paris, d'abord me montrer à la filière champignons-pomme de terre... non c'était pas ça ! La filière... betteravière voilà merci, c'était bien l'avenir de la betterave à nœuds qui occupait toutes mes pensées, ensuite il me faudrait passer prendre quelque fonds au Parti pour mon début de campagne, il tardait à me les débloquer et les extravagances vénériennes et comptables de Médpeu et La Branlaye avaient aggravé l'ulcère de mon contrôleur financier, aussi je comptais bien y trouver les éclaircissements et les apaisements nécessaires.
    Enfin et c'était là mon dessert, j‘avais rendez-vous chez mon éditeur afin d'y signer les exemplaires d'envoi de mon dernier ouvrage. J'avais écrit en effet un roman, pendant mes rares heures de loisirs, que j'avais confié à l'un de mes camarades de promotion qui l'avait présenté à l'un des camarades de promotion de son oncle qui pantouflait depuis le golf de Saint-Claoud à la présidence de la filiale française de Toxicals corp. (Toxics and Chemicals wolrlwide Medellin's Cartel corporation) et dirigeait pendant ses heures de loisirs, le travail de son swing lui laissant encore quelques heures de détente, une collection chez un éditeur parisien, camarade de promotion et de klubeu-ahousse.
    Ce n'était certes pas la première fois que j'étais publié, les bulletins du Cercons et divers essais en faisaient foi dont un très remarqué:
    « En side-car vers l'Europe nouvelle »  un abrégé bilingue de collaboration active et passive et un Manuel pratique de réglementation simplifiée en douze volumes rédigé avec un camarade de promotion, obscur administrateur civil :  Guillaumerde (son père à lui s'était toujours montré exactement sobre mais il aurait résolument préféré une fille) Dondla, entièrement sur papier réglé et en trois exemplaires, ouvrage qui m'avait valu un réel succès critique et universitaire, d'ailleurs en ces matières l'on disait maintenant le « La Gaspérine » comme dans le temps le Mallet-Isaac ou le Larousse-Encouleurs.
    Mais comme le pauvre Encouleurs le cher Dondla était passé à la trappe. C'était d'autant plus injuste que sur les douze volumes, je n'avais rédigé que l'introduction du premier tome et la conclusion du dernier, mais enfin il faut croire que mon nom et ma personne attiraient assez bien la lumière, d'ailleurs le cher Dondla s'en fichait et il préparait une suite à notre œuvre commune, une manière de vingt ans après :
    -Avec les mêmes personnages ? Lui avais-je demandé avec  quelque ironie.
    -Oui, oui sans doute. Il entendait mal l'ironie, ce n'était pas sa langue natale, peu de gens la parlent il est vrai de nos jours.   
    Quand même avec tout ce qu'il s'était pris sur la gueule grâce à nos bons conseils, le héros de l'ouvrage : l'usager passait assujetti, contrevenant puis ci-devant au mérite devait être passablement fatigué.
    <o:p> </o:p>Mais cette fois, pour ma part, on le comprendra il s'agissait de toute autre chose, une œuvre plus intime et personnelle, certes c'était un roman, une histoire simple et très actuelle, un jeune homme moderne et parisien, fin et sensible, pesamment diplômé et travaillant dans un combinat d'état se faisait voler sa bicyclette, un cadeau de mère d'ailleurs, su' le Pont de l'Alma, devant se rendre à un rendez-vous de la plus haute importance et où son avenir personnel et administratif risquait de se décider, il avait dû se résoudre dans l'instant à en emprunter une autre, bien entendu, cela n'était pas allé sans lui causer un grave problème éthique d'autant plus effrayant que le vélo dérobé appartenait à un immigré africain d'ethnie toumgou, qui l'avait rattrapé après cinquante mètres et lui avait infligé « dérrréchef » une correction sévère.
    Je ne vais pas raconter toute l'histoire bien entendu, je laisse à mes possibles lecteurs le soin de la découvrir, mais je peux dire qu'elle n'était pas sans intérêt et très contemporaine, abordant les grands problèmes de notre époque: le manque de garages à vélos à Paris en particulier, d'autant que très vite une relation quasi-amoureuse, au moins très fusionnelle, s'ébauchait entre le jeune toumgou immigré et le jeune parisien amoché et qu'ensemble ils se lançaient sur les traces d'un réseau d'extrême droite, de la pire blondeur, qui dérobait nuitamment et avec force violences les vélos de jeunes immigrés méritants et sans défense.
    Certes il y avait là-dedans quelques éléments autobiographiques, je peux bien dire que dans la réalité le cher Aboubacar frappait beaucoup plus fort que dans le livre mais pour l'essentiel, et je la revendiquais pour telle, il s'agissait d'une œuvre d'imagination qui se déroulait dans une grande métropole de nos jours, l'un ces lieux magiques, de mélange des cultures et de métissage bienvenue où tout peut arriver, loin, très loin de la province ethno-centrée et franchouillarde, concho-ponchaine, poncho-conchaine ou autre où il ne se passe jamais rien.
    J'avais pensé pour le titre au « Voleur de bicyclette », cela enchanta mon éditeur classé et swingueur mais la petite secrétaire intérimaire quoique renseignée sinon cultivée nous dit que c'était déjà pris, alors je m'étais rabattu sur « Le vélo » je prisais ce genre de littérature minimaliste où tout est dit en peu de mots.
    Ce crétin de Walter Chéchignac appelait ça :
    -... la littérature anorexique d'une époque sans faim où des petits cons prétentiards avec des petits riens réussissent à faire  pas grand chose.
    Il en était resté l'imbécile à « the english bravour » , antique géographie sentimentale: l'île au trésor prés du phare Dickens. 
    Il me lâcha prés de la chambre des députaillons, place Otto Abetz* où étaient les bureaux du Parti.
    <o:p> </o:p><o:p> </o:p>-Bon, on se retrouve à midi à La Bégude, c'est un restaurant tenue par des amis qui se trouve rue Lucien Van Impe prés du Boulevard Zootelmelk... allez à tout à l'heure mon petit vieux.
    Il démarra sous les injures haineuses des cyclistes que son dix cylindres rageur venait d'enfumer.
    Quant à moi, en le regardant s'éloigner très vite, trop vite et encore plus seul, je regrettais un peu de l'avoir insulté (mentalement) tout le temps de notre voyage, c'était la première fois qu'il me donnait du « mon petit vieux » et je devinais qu'il se rendait lui aussi à un rendez-vous important et autrement dangereux que ceux qui m'attendaient.  
    <o:p> </o:p>*Homme de gauche et syndicaliste. Propagateur du vélo à Paris
    Gérald Sopalin le délégué national aux délégations me fit un peu attendre, mais il recevait un militant me renseigna sa secrétaire, et dans ces moments il régnait à l'étage et dans les bureaux un silence religieux. Le militant c'était la denrée rare au Rassemblement pour l'Union. Sur les fichiers hors nos 156298 élus locaux, départementaux, régionaux, européaux et galacticaux abonnés d'offices, pensionnés mais non cotisants, nous en comptions 321589 de militants de base et encore le chiffre comptabilisait-il un bon nombre de trépassés ressuscités par le seul verbe républicain de notre maréchal-président-tricard à vie mais dans la réalité il n'y en avait de réels, de terrestres et matérialisés sur la place de Paris que onze, c'est dire que l'événement était d'importance: la visite d'un militant de base, qui plus est électeur et votant, la merveille ! ( l'un des derniers avec le fameux Père Jaunet des Batignolles qui depuis 36 n'avait pas raté une élection, le con!).
    -Il était prévenu ? Demandai-je à la secrétaire dans le recueillement.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                             
    -Justement non, il a débarqué comme ça, en  revenant de faire son marché. C'est Marcel Grougnard de la section Capucines.
    -Ah ça a dû lui faire un choc au cher Gégé.
    La porte s'ouvrit, le Gégé, il était blanc et raccompagnait le pépère porteur de cabas d'où dépassait un poireau avec les égards qu'il aurait servis à un premier-ministre en visite d'état.
    -... je suis content... vous êtes bien installés... je repasserai...
    -Je vous recevrai toujours avec plaisir mais la prochaine fois prévenez-moi, on aurait pu se rater monsieur Grougnard... vous imaginez      
    Il ne se le serait pas pardonné le cher Gégé de rater l'occasion historique, le passage de la comète électorale, il lui aurait fallu attendre 643 années avant d'en recroiser un.
    <o:p> </o:p>*
    <o:p> </o:p>-Ah mon cher La Gaspèrine, alors vous voilà redevenu parisien, cela me fait plaisir, j'espère que vous n'allez plus vouloir nous quitter de sitôt ? Vous n'êtes pas fait pour la province, je vous l'avais bien dit.
    J'hésitais, titubais, défaillais presque, j'étais pourtant certain de ne pas avoir manqué le début, l'ouverture et même d'y avoir poussé quelques arias.
    -Je... je ne comprends pas. Je... je dois retourner à La Conche... c'est chez moi... mais si... pour être élu...
    Je me laissais tomber dans le fauteuil visiteur.
    Il actionna son interphone :
    -Madame Moineau cognac vite !
    J'essayais de reprendre mes esprits sans assistance alcoolisée.
    -Mais... mais La Branlaye et Médpeu m'ont dit... ils sont revenus...ils...
    -Ah ils sont chez vous ces deux-là, on les cherche partout... enfin pas moi... le juge d'instruction Larance-Lerouge surtout... ils ne vous ont pas dit, ils ont été inculpés dans l'affaire des sous-marins fictifs Boliviens...
    Une vieille affaire, des sous-marins que l'on avait vendus à la Bolivie, que l'amirauté bolivienne avaient réglés franco de port (ports dont ils étaient d'ailleurs dépourvus mais c'était en prévision de la revanche contre les chiens chiliens (difficile à dire !) qu'ils les avaient commandés) mais qui n'avaient jamais été livrés, le préposé ayant prétexté d'une sonnette défaillante.
    -Alors ils se sont réfugiés chez vous ces deux saligauds...
    -Mais comment... mais pourquoi eux ?
    Je reprenais un peu de vigueur et la colère devant une telle injustice me raviva les sangs :
    -Vous savez bien que tout le monde a touché là-dessus même la dame pipi de chez Lipp.
    -Taisez-vous, pas de nom je vous prie ! C'est tombé sur eux voilà tout, pour l'ensemble de leur œuvre, souvent nommé jamais récompensé, une inculpation d'honneur en quelque sorte, et je peux vous dire qu'ils ont intérêt à bien se calfeutrer parce que les boliviens sont très ... très colorados en ce moment. Mais parlons plutôt de vous, je vous ai enlevé un belle épine du pied.
    -Alors je ne suis plus candidat ?
    -Mais non et c'est l'un de vos camarades de promotion : Joël Noyeux  qui va vous remplacer dans ce pays de sauvages, vous devez être soulagé ? Contre Letroncheur il n'a aucune chance pour la mairie. La négociation a été rude, enfin il n'a pas été chien et il a consenti à lui laisser une place au conseil général et un pourcentage sur les cantines scolaires. D'ailleurs votre remplaçant doit rejoindre son affectation cette nuit... enfin si le plafond n'est pas trop bas. Mais comment vous n'étiez pas au courant ?
    -J'ai dû manquer la première.
    Je vidais les deux verres de cognac que nous apportait la môme Moineau au grand désappointement de Gégé-ex machina ex-alcoolique anonyme, et je me levais, j'étais plus grand que lui et salement remonté, il battit en retraite prudemment derrière son bureau long, rangé et incontournable comme une barricade d'imprimeurs. 
    -Noyeux ! ‘l'est même pas breton me surpris-je à lui rétorquer racisse et déçu. Et puis merde, j'y suis j'y reste. ‘fallait pas m'y envoyer !
    -Allons mon petit vieux reprenez-vous et puis vous ne perdrez rien au change, vous pouvez m'en croire, monsieur le secrétaire général pense à vous soit :  pour le poste de commissaire général aux chantiers de jeunes ?
    -Je n'ai aucune envie de faire carrière en short long dans le bâtiment. 
    Ma réponse abrupte l'obligea à relancer très fort :
    -Soit pour occuper les fonctions de Résident Général en Seine Saint-Denis.
    Bougre ils y allaient fort, me proposer un tel poste à mon âge.   
    Il sentit qu'il avait mis en plein... en plein dans l'orgueil Gaspérinien :
    Il ajouta :
    -Malgré votre jeune âge et en toute honnêteté vous en sentiriez vous capable ?
    -Je me connais assez pour savoir que je ne serai pas z' inférieur à la tâche qui me serait confiée, bien sûr je n'ignore rien des... des « événements » en cours, les attentats du Front de Libération Neuftroâsien (F.L.N) ainsi que les rodomontades de l'A.L.N  (Armée de Libération Niquetaracienne) sur la frontière Seine et Marnaise mais je saurais, je pense, engager une politique de dialogue constructif z'entre les communautés pouvant déboucher, je ne privilégie z'aucune voie bien entendu mais je n'en exclue non plus z'aucune, à moyen... ou court terme sur l'indépendance pleine et entière.
    -Ce sont aussi les sentiments de notre premier ministre : une politique de fermeté soit mais sans hochements de menton ou obstination obtuse. 
    -Je saurais me mettre, ou me faire mettre par des conseillers choisis, dans le sens de l'histoire en préservant bien entendu tous les intérêts... mettons la plus grande part... au moins une petite partie... enfin il faudrait et je ne transigerai point là-dessus que la si longue présence française ne fut point oubliée du jour au lendemain en ces départements qui nous furent si chers non plus que mes droits à retraite (je levais les bras au ciel, que j'avais très grands, les bras pas le ciel, vrai je devenais gaullien dans l'exercice du tombé de pantalons), je les veux  préservés et confortés par une indemnité compensatrice et un éventuel reclassement à valeur indiciaire équivalente en... en métropole.
    -Vous les aurez, connaissez-vous Plombières ?
    -Mère y va prendre les eaux quinze jours à la saison.
    -Fort bien et mieux encore si vous y avez des souvenirs heureux ?
    -De mère fort peu, en fait je crois presque aucun, depuis l'enfance nous nous sommes croisés quelques fois mais rien de plus, la création : sa peinture, ses livres, ses amoures mâmes, l'occupe tellement.
    -Oui, je... je comprends. Non je vous demandais cela parce que nous avions pensé à cette agréable station thermale pour y mener les premières négociations avec le Cheikh Choupinot et les délégués du Gouvernement Provisoire.
    -Plombières fort bien.
    Je ne pouvais m'empêcher de penser: quelle drôle de manie nous avons, nous autres français, de déshonorer ainsi avec obstination toutes nos villes d'eaux.  
    <o:p> </o:p>*
    <o:p> </o:p>J'arrivais à La Bégude de fort bonne et décidée humeur, Diable ce n'était pas tous les jours que l'on vous annonçait de telles nouvelles, c'était de ces dates qui comptent dans une carrière, Père, pour les intimes le Président Régis Cardemeule qui, au temps de Giscard et alors qu'il était chef de cabinet de quelqu'un de ses sous-ministres, avait décolonisé les Nouvelles-Hébrides à lui seul, au bénéfice exclusif des anglais et en empochant une honnête commission au passage ainsi qu'une prîme de rendement exceptionnelle, oui Pére lui saurait me renseigner sur les conditions, tarifs et remises consenties au décolonisateur modèle.
    Car à dire le vrai, j'apercevais même quelques possibles profits pécuniaires si comme on le murmurait l'ex-sultanat de Brunei  finançait le gouvernement provisoire.
    Que l'on ne voit surtout pas de pareilles spéculations sous un mauvais jour, l'indépendance apparaissait à tous les observateurs sérieux comme inéluctable et nous permettrait peut-être de garder la Seine et Marne, si l'O.N.U bien entendu ne s'en mêlait pas de trop prés... et ne nous bombardait pas de trop haut. 
    <o:p> </o:p>J'arrivais donc gai et enjoué dans la maison du malheur.
    La Bégude était de ces restaurants parisiens années 50, confortables et non sans agrément mais  anonyme et où les serveurs tous quinquagénaires dataient autant que la carte et où le menu du jour semblait de l'avant-veille. En salle quelques fumeurs de cigares faisaient le siége patient de leur digestion à petites lapées de Grande Chartreuse 1904 mais je cherchais en vain parmi la clientèle le cher Valter, j'étais dans de telles dispositions d'esprit que j'étais prêt à lui pardonner mes énervements de ce matin devant son individualisme régnant sinon souverain.
    Les serveurs me paraissaient assez éteints, même s'ils accomplissaient un service parfait mais tout de même je fus un peu étonné quand à l'entrée un peu vive d'un client impatient ou affamé le demi-chef de rang à côté de moi sortit un pistolet-mitrailleur de sous la cloche en argent de la table roulante.
    Oh certes il se hâta, devant l'innocuité offensive de l'arrivant, de reposer l'arme dans le canard au jus mais quand même, dans une maison bourgeoise telle que celle-ci, c'était là un geste d'artilleur... qui détonnait.
    Je me renseignais auprès d'un maître d'hôtel morne et hautain, sans doute un peu trop cinéphile .
    -Hum ! Hum ! Je crois que monsieur Chéchignac a réservé une table pour deux.
    -Son Excellence a sa table réservée à l'année, je vais vous conduire si vous voulez bien.
    <o:p> </o:p>Je lui pris le train mais très vite après avoir remonté les salles, sans nous arrêter, nous nous retrouvâmes dans le Privé et plus loin, plus haut plutôt, puisqu'il nous fallut suivre un escalier en colimaçon nous traversâmes deux bureaux meublés de téléphones en bakélite, de canapés ronflants et de meubles dans le style IV° flamboyant, reconstruction lourde qu'affectionnait si fort le cher Valter.
    Enfin le maître d'hôtel frappa à une porte, il était midi mais la pièce était dans l'ombre, il y avait des perfusions et tout un appareillage électronique autour du lit sur lequel reposait son Excellence Walter Chéchignac, le torse et un bras bandé endormi ou anesthésié ?
    Quelque chose en moi me hâta le cœur et les sens, et d'imaginer cet homme dont au vrai je ne savais rien, en péril de mort me causait une peine importante et désordonnée.
    -Il... il est mort ? Demandai-je à l'un des deux types qui le veillaient.
    -Non, non ne vous inquiétez pas il en a vu d'autres.
    Mon trouble était visible, je levais la tête vers mon interlocuteur qui se présenta :
    -Je suis Bédoncle, je suis le taulier, vous êtes le fameux La Gaspérine c'est ça ? Venez passons à côté, il va dormir un peu, se reposer. Il en a besoin, je lui avais bien dit que la vie de province c'est usant.
    Il me montra un sourire rescapé d'une grande inquiétude.
    Ce n'était assurément pas la vie de province qui l'avait à moitié tué, le cher Valter mais bien ces quelques heures parisiennes qu'il venait de passer sans grande prudence dans l'intimité de quels crimes !
          
    Dans la pièce d'à côté deux femmes parlaient à voix basse, l'une était une bonne sœur, en noir, l'autre une grande brune moins sœur mais en rouge, plus très jeune, dans les trente-cinq ans, mais d'une beauté surprenante, tout de suite agissante, à l'ancienne, très allurée, un charme de cocotte mais avec une autorité de sociétaire.
    J'avais la même sensation devant ce genre de beauté très femme que quand je me promenais en forêt enfant et que soudain une source m'apparaissait, une joie physique et brutale, l'instinct renseigné et comblé et dans le même temps la découverte de l'éternité sensible.
    Bref dans l'instant j'en tombais amoureux. Pourtant elle avait pleuré, elle s'était inquiétée, triturait son mouchoir comme un chapelet de veuve à venir, mais rien ne pouvait la gâter.
    -Ma chère Merry je vous présente Monsieur La Gaspérine.
    Elle se tourna vers moi, elle avait les yeux verts et d'une infinie patience, rien ne me trouble plus que cette patience chez les femmes, ce pas plus long, plus accompli, ce temps qu'elles ont en plus, je n'arrivais même pas à parler et je me montrais presqu'aussi ridicule que le cher Valter devant Dartemont-Belcourt.
    Les esprits déductifs et autres psychologues de terrain me diront que je sublimais comme un puceau redoublant devant la nouvelle maîtresse des septièmes.    
    Mais à ceux-là je dis merde tout hautement !
    Car ce que j'avais devant moi, je le savais, c'était bien la grande Merry tenancière des escarpées et douteuses affaires parisiennes de Chéchignac, peut-être avait-elle été pute en quelque antique pratique, mais  sa vocation était bien maintenant là: dans l'éternité et en cet instant elle m'apparut comme la France incarnée, non pas l'intérimaire, l'ignoble pouffiasse, Marianne de mes fesses, jument éructante, dépoitraillée et vérolée  que l'on se plait à exhiber à la relève montante et sacrifiée mais la belle Merry, Jeanne ou Geneviève, inquiète, survivante et patiente.
    Et c'était elle que cette petite ordure de Sopalin et tous ses pareils à l'âme servile voulait que j'enchaînasse et menasse aux marchés aux esclaves la solder aux barbaresques.
    A ce moment de haute exaltation mon téléphone portable sonna, c'était Gérald Sopalin qui m'invitait à un dîner informel sinon clandestin à Matignon avec quelques intellectuels concernés, forcément concernés:     
    -Ah vous voilà vous ! Eh ben il peut bien venir votre Cheikh Choupinot, je vais te lui refaire le coup de la prise de la smala mouais à ce con-là! Et quant à vos putains de Nouvelles-Hébrides vous pouvez compter sur moi je te les reprendrai  aux britiches !
    C'était d'autant plus ridicule que j'aurais été bien incapable de les situer ces îles modiques que mon père coupable avait cédées à vil prix à notre concurrent historique en matière de plantation de drapeaux et de confiscation d'îles introuvables.
    Comme un cosaque ivre, je balançais mon portable dans la cheminée, heureusement éteinte et je marchais à elle, la belle Merry pas la cheminée bien sûr, je pris son visage dans mes mains et la baisais sur la bouche, longtemps, elle se laissa faire, longtemps.
    L'éternité vous dis-je... et avec tous les suppléments encore. (à suivre...)
    « La dernière lettre de votre petit Guy avant de se faire fusiller.La vraie soupe au mégot parisienne 2/2 par G.M.Neoletto »
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