• Mon empreinte carbone dans le fondement du siécle 1/1 par J.P.Chassavagne

     

    Mon empreinte carbone dans le fondement du siècle  par J.P.Chassavagne 1/1

    Un pèlerinage à Saint Blondin sur Saudasse

    Le temps me durait, enfermé comme je l’étais, assis, exactement seul au monde, dans ma bagnole malaise (un 4X4 Nazdong Effluance de toute beauté l’un des derniers exemplaires importés avant l’incarcération (dans sa boîte à gants) de l’importateur), encerclé et vitupéré par une meute de vélibeurs revanchards  après un strike raté (de fort peu je les avais pris sur l’angle ma malaise étant dépourvu de viseur et tirant à droite comme toutes les malaises, ah comme je regrettais dans ces moments mes Mercedes-Benz de recte obédience stutgartienne) après avoir perdu mes freins au coin de la place Otto Abetz et de l’avenue Dalida.

    Je les regardais tous ces jeunes gens sympathiques et tolérants collés à mes carreaux, qui me vomissaient leurs préjugés bourgeois nouvelles normes et leur haine recuite (au feu de bois) de frustré/toléré, élevés au sans couenne et à l’allégé et l’envie me prit de ne plus les voir jamais, de m’en éloigner tout à fait mais dans le même temps (enfin juste après) je me questionnais, après tout n’était-ce point moi qui était dans l’erreur, au moins ne pouvais-je tenter sinon essayer de réduire mon empreinte carbone (qu’y cause à la tévé) et derechef je me votais à scrutin intime autant que fermé une nouvelle (la 147°) réforme morale.

     

    Et puis, je le confesse, il me fallait faire un tour des libraires en province que je reculais depuis des semaines pour aller vendre toujours un peu plus loin et même placer un peu plus profond une production éditoriale redoutable et maintenant équanimement redoutée.

    Le soir mâme je faisais mes valises et me mettais en route.

     

    Au 377° kilomètre, en plein pays Bromurois, ma malaise me fit un gros malaise, les soupapes s’étant impromptûment propulsés dans le bol de liquide de lave-glaces, sans doute les effets détonants du jus de nave fermentée à quoi je l’abreuvais suivant en cela les préconisations de l’usine à fins de limiter au mieux mon empreinte carbone (’bouh la vilaine !).

    Je parvins à trouver un agent Reugeot-Penault oisif car maintenant à l’écart des grandes transhumances sur sa nationale déclassée en départementale vacante.

    -Ah ça c’est pas courant...’faut dire question pannes avec leur électronique embarquée y z’en invente tous les jours c’est quoi comme marque ? Nazeu-dongue c’est quoi ça ?

    -Euh ça vient de Malaisie.

    -Beh sûr qu’elle est venue à pied alors, ça doit pas rouler souvent ces engins-là. Bon pour les pièces je vous dis pas, je va’ en causer au commis pour qu’il aille voir sur le wouéble...

    -Il y a une bonne auberge?

    -Sur le wouéble ?

    -Euh non dans le coin ?

    -Ah par ici vous voulez dire... il y avait  l’hôtel de la Mère Pignadous dans le temps, c’était fameux... dans le temps... ça a été repris par des jeunes gens de Paris, des petits cousins à ma femme, maintenant y en a qui en disent du bien, mais moi j’y mets plus les pieds, à nos âges on a plus la santé pour encaisser ça.

     

    Tutoyé par la faim je me télétransportais aussitôt à l’ex-auberge Pignadous rebaptisée « La Débagoule » confiant dans les renommées traditions de bouche du pays Bromurois.

    C’était un couple de jeunes gens très corrects qui l’avaient reprise entourés de serveurs habillés de noir et sinistres comme des danseurs contemporains qui se seraient écrasés les soeurettes en tentant le grand écart, d’ailleurs toute la vieille auberge avait été... contemporéanisée.

    On nageait de tous côtés dans le contemporain, dire si c’était daté.

    Les saligauds après avoir affamé les parisiens, ils se lançaient à l’assaut de la province me pensai-je, mais le pire restait à venir.

     

    Ils m’apportèrent une assiette de charcuterie pré-machées avec un accompagnement délicieux de fils dentaires tout parfum suivie de paupiettes à l’azote, d’une choucroute mixée servie dans un verre à dent, je finissais de bouffer le dessus de table en plastique, seul élément à peu près comestible de l’endroit quand arrivèrent les profiteroles en intraveineuse en même temps que la note rallongée d’un filet de mauvaise foi et nappée d’outrecuidance.

     

    Je regagnais ma chambre avec la faim au ventre et une nausée naissante rien qu’à l’évocation de leur cuisine bactériologique, je me traînais toute la nuit entre un futong malodorant et dur et des chiottes aiguisés et guère plus confortables en proie à d’incommensurables douleurs intestinales.

    Au matin, je parvins à rejoindre, je ne sais comment, le garage: la pièce était en route on l’avait signalée à la frontière du Kazakhstan.

    -Vous avez l’air bizarre ? Vous vous sentez pas bien...ah je vois... c’est la mousse carbonique au chocolat qui passe pas ?

    Je parvins à articuler dans un ultime râle :

    -Non... aaaaaaah je crois que c’est les paupiettes à l’azote.

    -‘tain je vous avais prévenu, j’ai la belle-mère qui a fait six mois d’hosto après en avoir bouffées...

    Je lui demandais de m’achever d’un coup de clef à molette, de liquider mon empreinte carbone une bonne fois pour toutes, il préféra me donner l’adresse d’un toubib, un autre cousin à sa femme.

     

    -Bref avec leur cuisine moléculaire vous vous êtes bien fait molléculer ! Ah ! Ah ! Je leur ai bien dit d’arrêter leurs conneries à ces p’tits cons mais va te faire voir ça se pisse au dessus de la tête, déjà qu’on a pas beaucoup de touristes s’ils nous les enfument à chaque fois.  Ce fut l’avis de l’homme de science, cousin par alliance des homicidaires sus-cités.

    -Tenez je vous fais une petite ordonnance de tisanes et de décoctions...

    -Des tisanes vous plaisantez docteur, dans l’état où je suis  ?

    -Vous savez avec la sécu on est obligé d’y aller mollo, y recomptent même les aspirines...  maintenant ce que je peux vous proposer de mieux c’est un pèlerinage au Christ péteur de saint Blondin sur Saudasse c’est radical pour ce que vous avez, ça guérit toutes les courantes du pays depuis des générations et c’est une cousine qui tient la buvette de la fontaine miraculeuse je vous fais une lettre de recommandation, elle vous trouvera quelque chose.

    -Vous... vous un homme de science vous croyez à ça ?

    -La science ‘faut pas non plus exagérer, elle est toujours pas foutu de guérir un rhume la science... maintenant si vous voulez vous trimballer vot’ chiasse pendant des semaines et des mois c’est vous que ça regarde, ‘sais pas ce qu’y mettent dans leurs marmites les créateurs de mes quatre mais c’est de l’offensif. C’est pas pour rien qu’y z’ont décroché une étoile au Michelin pour leur pigeonneau à l’anthrax et leur assiette de cruditées défoliées!

     

    Mon dernier pèlerinage remontait à mes douze ans et à celui que j’avais fait (aller sur les genoux et retour en bus) à la vierge qui croise les genoux de Sainte Chuchepine en Auvergne.   

    Le garagiste consentit à me mettre à disposition pour une somme confortable une antique 404 fuligineuse, c’était pas encore avec ça que j’allais améliorer mon empreinte carbone.

    Ce fut un voyage éprouvant, quand je ne m’arrêtais pas pour me soulager les boyaux, c’était l’auto qui suspendait ses activités routières, enfin après trois heures de route pénible oh combien, je me présentais à la cousine avec ma recommandation.

    Elle me logea dans une cave paroissiale (à cent teuros la nuit !) et m’inscrivit pour une pèlerinage de trois jours dans un groupe de marseillais dont l’effort principal consistait à faire dés matin le tour de la bourgade derrière un bout de bois en chantant des couenneries pleurnichiantes à la mode des années soixante-dix.   

    Pour me faire bien voir j’achetais la notice technique du sanctuaire où il était expliqué que si les dernières paroles du Christ était bien relatées dans les écritures fameuses, ses derniers sons n’avaient été connus qu’au début du XIX ° siècle quand il était apparu à Saint Blondin et lui en avaient fait la révélation: lors de son ultime repas il avait mangé des fèves de Béthanie très renommées à l’époque (mais pas de fraises, hors saison elles étaient hors de prix !). 

    En attendant et malgré les litres d’eau miraculeuse (et fortement diurétique !) que j’ingérais au comptoir sans même les accommoder d’anis, je continuais de me vider.

    La cousine paroissiale en fermant sa buvette avant la nuit, me conseilla, j’étais son meilleur client, de passer la nuit en prières dans l’église de Sainte Saudasse sur Blondin (non ‘pas ça c’est l’inverse mais il faut bien changer de position de temps en temps).

    Désespéré je m’y résolvais après l’avoir aidé à descendre son rideau métallique.

     

    Agenouillé depuis quelques heures, en oraison, et peut-être même un peu endormi,  et peut-être même déjà ronflant contre le troisième pilier à gauche, je ressentis soudain comme un bien-être m’envahir, je n’avais plus du tout mal aux tripes et une voix de retentir soudain dans l’édifice désert et de me réveiller tout à fait.

    -Mon fils tu m’as cherché et bien tu m’as trouvé pruuuuuuuuuuuuuuuuuuiiiit !

    Je murmurais :

    -Ô Seigneur...

    Et une autre part de moi-mâme, plus intime encore ajouta:

    -Prrrruuuuuuuuuuuuuuuuiiiitttt !

    -Va en pets mon fils prrrruuuuuuuuuuuuuuuuuiiiiiittt !

     

    Après avoir regarni les troncs, tout ragaillardi par ma guérison je regagnais la belle nuit étoilée qui m’attendait au dehors.

    -Prrrrruuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiiit !

    Ce fut ma première parole, comme une délivrance, dans le même temps je fis un rapide examen de la situation bon je n’avais plus la courante, c’était certain mais d’un autre côté dans les dispositions où j’étais je risquais pas d’améliorer mon empreinte carbone. 

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