• Chômmou ! 1/2 par A.Sottos

    Chômmou ! 1/2  par A.Sottos

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    Depuis 27 mois que j'étais au chômage, j'en avais connu et fréquenté des stages de retour à l'emploi, le malheur était que plus j'en faisais plus je m'en éloignais de ce fameux éternel retour, j'avais 47 ans et toutes mes fausses dents, plus beaucoup d'illusions et très peu d'idées neuves.

    Enfin celui-ci serait peut-être le bon : « Turgescence senior plus » ça s'appelait, pourquoi pas Viagra/emploi ?

    Jusqu'à ma quarante-cinquième année j'avais fait une carrière brillante dans l'industrie de la gaufrette, parti d'assez bas et même de pas très haut, cariste prodige, j'avais réussi à force de  cours du soir et de labeur nocturne a intégrer Sup'de Gaufr' après quoi à ma sortie de l'école j'étais entré chez Pipart où j'avais atteint les plus hauts sommets et la direction générale des gaufrettes Pipart , vieille maison familiale fondée en 1737 au Plessis-les-Meules et qui avait compté jusqu'à 23565 ouvriers au début du siècle vingtième, âge d'or de la gaufrette. Malgré tout le vieux Pipart avait réussi en engageant tous ses biens dans ses usines à préserver pendant des années l'essentiel, le produit était bon, la gaufrette Pipart c'était quelque chose, la Rolls des gaufrettes, on était fournisseur de la cour princière de Monaco, le prince Rainier bouffait que ça : des gaufrettes Pipart, on lui en livrait deux tonnes tous les mois, on avait même parrainé son mariage dans les années cinquante, regardez les vieilles bandes d'actualité vous verrez Gaufrettes Pipart peint sur tous les murs juste en dessous de la réclame pour la Boldo Florine qui était le sponsor principal.

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      Non vraiment  rien à voir avec les gaufrettes chinoises à base de sciure de bois et d'intestins de prisonniers politiques congelés. Nous n'employons nous que des produits frais.

    Sans doute aurions-nous du mettre plus de fric dans la recherche et le développement mais le père Pipart était un traditionaliste et je me souviens encore de sa réaction quand je lui avais proposé un projet de nouveau produit: la gaufrette en tube !

    -Et pourquoi pas en intraveineuse !

     Nous les employés on y croyait encore et jusqu'à tard, on se voyait un avenir, quelque part    entre les bas à varices et les tisanes lyophilisées, les usines tournaient c'était le principal et puis... et puis la mondialisation, dans la gaufrette comme ailleurs avait mise à bas nos dernières défenses. Les nouvelles normes européennes, les campagnes anti-gaufrettes du gouvernement relayés par les différents collectifs de consommateurs concernés, forcément concernés, avaient fini par avoir notre peau.

    Comment ne pas se souvenir avec émotion de nos trois derniers mois d'activité, les machines outils et les chaînes avaient été vendues pour pas grand-chose à une multinationale Mongolo-ouzbéquo-andorrane mais l'administrateur judiciaire Maître Trifouillard nous avait enjoint de poursuivre l'activité jusqu'à la cession complète et surtout d'entretenir le matériel en parfait état, sans quoi... il perdait sa commission.

    Certes j'aurais pu tirer mon épingle du jeu, les repreneurs m'avaient proposé un pont d'or : char à bœufs et yourte de fonction dans la grande banlieue d'Oulan Bator et un salaire mensuel net de 15 millions de Kroutchmos (à peu prés 13.65 teuros au dernier cours du jour !) mais j'avais décliné l'offre, j'aurais eu l'impression de me vendre... pour pas cher, reconnaissons-le.

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    Le premier mois, on avait tenu le coup, continué vaille que vaille, chacun cherchait à faire bonne figure. On se surveillait et on se soutenait les uns les autres. J'arrivais au bureau à neuf heures comme d'habitude, ma secrétaire mademoiselle Pimprenaud, une petite blonde toujours impeccable et bien coiffée, m'apportait le courrier à signer, puis j'allais voir notre directeur technique dans son bureau du hall de production pour savoir s'il n'y avait pas de problèmes à la production, je serrais la main de quelques anciens après quoi je recevais nos fournisseurs ou j'allais visiter les clients. Dés le deuxième mois ça a commencé à se gâter, d'abord il y avait de moins en moins de courrier à signer, alors j'arrivais un peu plus tard, jamais après onze heures s'entend, mademoiselle Pimprenaud elle aussi se pointait en retard et souvent assez décoiffée, un jour en faisant mes courses en centre-ville je l'avais aperçue qui tapinait à la sortie de la salle paroissiale, sans doute sa manière à elle de se reconvertir dans le social.

    Je me hasardais plus trop dans le hall de production, les ouvriers sniffaient de la colle à gaufrettes, les plus anciens se cantonnaient au jus de gaufrettes fermenté, et Dieu sait si c'est traître, bref ça gueulait là-dedans et la chaîne faisait un drôle de bruit en perdant ses boulons,

    L'un de nos gros clients s'étaient plaint d'avoir trouvé un pont élévateur dans sa dernière livraison de gaufrettes

    -Eh ben ‘quoi qu'y gueule ce con, ça lui fera un nouveau parfum ! M'avait répondu l'un des contremaîtres passablement écorné.

    -On avait va-nille, pi-tsaache, choco...lat, béh maintenant il y aura pontélévateur ! Tiens prend-z-un coup mon gars !

    Autant dire que je ne fréquentais plus guère la clientèle souvent armée non plus que nos fournisseurs maintenant... désarmés, plusieurs restaient sur le carreau à cause de nous.

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    Le dernier mois j'ai déserté comme tout le monde sauf une dizaine d'ouvriers parmi les plus remontés qui s'étaient formés en tribu rebelle, refusaient de rejoindre la réserve de l'ANPE,  s'étaient choisi un chef: Jérôme Hinaut, avaient décidé de prendre Maître Trifouillard en otage et campaient sur place jour et nuit, ils entretenaient de grands feux dans des barils d'huile de vidange, de loin cela ressemblait à un campement barbare aux portes de la ville. C'était inquiétant d'ailleurs tout le monde s'inquiétait, surtout ce saligaud de Trifouillard qui craignait pour ses pourboires, il a tenté le coup de force en faisant déménager les machines par des gros bras et il s'est fait faire aux pattes.

    Les ouvriers voulaient le pendre par les testicules et la famille du liquidateur venue sur place et bientôt sa belle famille et ses voisins qui l'avaient rejointe les encourageaient à passer à l'acte, c'est dire s'il était populaire l'homme de loi !

    Finalement le préfet a fait intervenir le RAID pendant que Matignon envoyait le GIGN, ils se sont entre-flingués et notre président a pu comme ça en médailler posthumément aux actualités deux fois plus que d'habitude.

    Mais on s'en fichait bien, il pouvait bien aller se faire médailler anthume ce con-là parce qu'au total pour moi comme pour tous les autres c'était le chômage ...

    (à suivre...)
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