• Mon infernal féminin 2/2 par J.P. Chassavagne

    Mon infernal féminin 2/2 par Jean-Pierre Chassavagne
     

    A mon premier entretien de reconformation je suis tombé sur une psychologue qui m'a dit qu'on allait faire un bilan psychologique afin de déterminer mon taux de conformabilité et d'opérabilité.

    -Qu'est-ce que vous fabriquez dans cette usine ? Elle m'a demandé en se passant la main sur ses cheveux en brosse, elle me rappelait un peu mon chef de corps au 8 ° RPIMA de Castres, mais en moins féminin s'entend.

    -Béh des ponts –z-élévateurs madame.

    -Pas madame, je suis pour vous un proxem, c'est-à-dire un opérateur  qui travaille avec vous.  

    Mon nom civil est Bertholon.

    -Ah bien... et bien Bertholon nous fabriquons des ponts-z-élévateurs.

    -Vous en êtes sûr ?

    -Ben ouais. C'est difficile de passer à côté sans les remarquer.

    -N'essayez pas de montrer de l'esprit, ou de vous défausser par la dérision, je vous demande si vous êtes certain que ce sont des ponts élévateurs de sexe masculin ou si ce n'est qu'une projection que vous faîtes sur eux ?

    Là j'ai senti un truc comme on doit en connaître au moment du jugement dernier quand on est tous à poil, plutôt esseulé au milieu de quelques milliards d'autres bitards ressuscités de frais et qu'on attend que ça vous tombe dessus pendant que derrière tout s'écroule. Sûr on doit  regretter de pas avoir assez révisé et les vacheries votées à bonne maman.

    -Ben c'est des ponts... des outils quoi...

    -Ils sont grands, ils sont puissants, ils sont inépuisables, ils ne peuvent donc être que des mâles c'est ce que vous pensez ? A ajouté ma cheffe qui venait d'entrer dans le bureau.

    -Mais non, pas du tout, mesdames je...

    -Pas mesdames... Bertholon et Michard.

    -Ecoutez Michard...

    -Cheffe Michard !

    -Euh oui pardon... cheffe Michard ça s'est fait comme ça un pont est un pont.

    -On vous le fait pas dire ! Elles se sont esclaffées.

    -Et si je vous dis que ce pont-élévateur est femme... femme depuis la nuit des temps... alors comment l'appelleriez-vous ?

    -L'appeler ? Euh... vo-yons l'appeler ?... euh un pont mais en femme... euh  une ponte ?...

    C'était le cas de le dire, je marchais sur des œufs :

    -... une ponte... éléva-trice ?... touze ?... treuse ?... teuse ?... une ponte-t-élévateuse !

    -C'est bien vous pouvez regagner votre poste.

    J'ai rejoint la chaîne Ernest-Etienne m'a demandé de quoi on avait causé, je lui ai répondu sérieusement parce que je commençais à en douter:

    -Du sexe des ponts-z-élévateurs.

    Et il s'est mis à se marrer en grand.

     

    Le soir c'était un vendredi, on a laissé les mômes à Bonne-Maman et on s'est fait une bouffe et un ciné avec ma Poupinette, on a vu le film obligatoire de la semaine: un polar social français qui racontait les malheurs d'une femme flic pour s'imposer dans un métier d'homme, c'est marrant mais j'ai jamais pensé, moi, que flic c'était un métier d'homme.

    C'était très réaliste avec des flics qui avaient de vrais têtes de flics et des bandits qui avaient aussi des têtes de flics, il faut dire que dans la vie on est tous maintenant un peu flic... au moins jusqu'à ce qu'on aille en taule, eux ils étaient flics comédiens ou flics auteurs ou flics sociaux et que ça rigolait pas avec les consignes, on s'y croyait tellement qu'à la fin, quand on a rallumé les lumières j'ai vérifié qu'on m'avait bien rendu mes papiers, c'est divertissant le cinéma et reposant... quand on sort.

     

        Après je me suis mis sur ma Poupinette, comme tous les vendredis, mais ce vendredi-là ça venait pas, à chaque fois que je bandouillais m'arrivait devant les yeux le visage de la Cheffe Michard qui, c'est marrant je venais de m'en rendre compte, avait elle aussi une tête de flic et quand je rouvrais les yeux, je voyais ma Poupinette qui convenons-en  avait un peu une vocation dans les tons, oh j'aurais tant voulu que m'apparaisse un vrai visage de femme et le regard qui allait avec, dodu et apitoyé comme il y en avait plein dans mon enfance. C'est le regard, je crois qui a le plus changé chez les dames, il a pris ce côté cureteur et fouailleur des mâles, maintenant elles marchent au comptant, paiement à la livraison, le crédit est mort aussi chez elles.

    Le lendemain je suis allé voir le toubib de l'usine, le docteur Bastien pour lui expliquer que je bandais mou, Bastien c'était un vieux type, veuf et clopeur, pas très propre que la direction essayait de balancer depuis des années mais qui bénéficiait de la protection toujours agissante du vieux Ploquet en son exil suisse :

    -Ouais, ouais c'est normal  vous z'êtes dans le programme de rééducation ?

    -Oui.

    -Eh ben ça fait partie du programme, si vous voulez mon avis ces dames en veulent à vos couilles c'est tout, ma défunte c'était ça qui l'emmerdait, quand je lui tapais à la porte en pleine nuit ou que je la bourrais au matin quand elle venait de finir de se maquiller, alors si elle peuvent nous rendre impuissant et arriver à l'heure au boulot c'est bingo vous pensez. De toutes les façons c'est comme ça que ça finira, à force de passer l'aspirateur et de torcher les mômes les mâles finiront tous impuissants, ça mute, ça mute... j'ai lu un truc là-dessus dans Ze niouve Inglande Journal of Medicine... allez et en attendant fais-toi une pute mon gars, histoire de voir si tout fonctionne normalement. 

    Le soir je suis allé rôder dans le vieux quartier de la cathédrale, quand j'étais môme c'était là que se tenaient les putes, mais il faut croire qu'elles avaient toutes déménagées, les vieilles boutiques suiffeuses avaient été rénovées, il y avait plein de galeries d'art et de magasins d'antiquaires, c'est là que j'ai rencontré Jean-Loup le chef de chaîne sablage, il était avec des copains, il m'a invité à venir bouffer avec eux chez lui, c'était tous des garçons charmants, cultivés et amusants. Il a un appartement délicieux, ce garçon a un goût! Et puis il fait très bien la cuisine et il est plein de douceur, d'attention et de gentillesse, bref cela fait six mois que l'on est en ménage.

    A l'usine on a validé mon stage de rééducation et j'ai quitté la chaîne pour rejoindre les bureaux, Ernest Etienne M'Bomba, lui il est toujours sur la chaîne, et il en bave, et il se marre.

    De toutes les façons si ça continue comme ça il faudra bientôt qu'on se cherche tous une nouvelle place, Ploquet c'est mal parti 

    Le fils Ploquet et ces dames ont voulu qu'on baptise la ponte élévateuse de la commande malaisienne « Angela Davis », vu de prés, à dix mètres cela ressemblait plus à grand-chose, on avait tout lissé même les boulons, c'était mauve et vert pomme on aurait dit un téléphone portable géant ou un gode multi têtes, un sex-toy flashy.

    Quinze jours après les Malaisiens nous ont téléphoné furibards, ils venaient de se prendre « Angela Davis » sur le coin de la gueule et en plus tout le monde se foutait de leur gueule à Kuala Lumpur à cause de la couleur, ils nous envoyaient un huissier en recommandé pour savoir quelle herbe on fumait  et les lawers suivraient parce que sous le pont il y avait encore cinquante ouvriers de coincés.

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