• 11.
    Mon programme.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Quelques jours se passèrent que j'employais utilement à dessaouler mes deux experts parisiens, ils se tenaient maintenant devant moi en pyjamas rayés, baillant et mal rasés, ils avaient oubliés tout souci de décence depuis qu'il fréquentait le petit personnel du 10/18 et maquillaient leurs notes de frais là-bas en ingurgitant quantité de liquide vaisselle millésimé.
    Nous tînmes donc une réunion dans l'un des jardins suspendus de la maison de Chéchignac, creusé dans le rocher, d'où si vous descendiez un escalier de même provenance comptant 187 marches, vous vous retrouviez sur une plage charmante complantée de genêts, de cytises, de massifs d'hortensias et de pneus de brouettes.
    -Messieurs.Vous allez peut-être enfin vous décider à vous montrer utiles et à faire ce pour quoi vous êtes grassement rétribués. Nous allons commencer par les axes de ma campagne... quels peuvent-ils être ?
    -Criez pas,  ‘mal à la tête...  Marmonna La Branlaye pendant que Martial Medpeu, ouvrait la bouche pour se délivrer d'une énorme bulle de savon.
    -Je vous rappelle, messieurs, que j'ai en ma possession certaines pièces comptables ainsi que divers documents photographiques qui risquent fort de compromettre votre avenir parisien...
    Et dans le même temps j'exhibais des photos non retouchés de leurs amours stipendiées et compulsives.
    Ils retrouvèrent aussitôt une certaine concentration.
    -Les grands axes donc...en ce moment y a qu'un truc qui marche c'est la méthode Maîtresse Helga...
    -C'est à dire ? Développez cher ami.
    -Y faut les emmerder un max, terroriser l'électeur, avant on leur promettait l'eau à la pile et le progrès pour eux et pour leurs mômes maintenant faut leur montrer qu'on les tolère tout juste, comme l'escargot. L'électeur ‘doit plus pouvoir sortir de sa coquille sinon un coup sur les antennes !
    -Y faut qu'y z'en bavent, se sentent bien merdeux... la planche à clous !
    -Ouais ouais c'est ça qu'y chialent et qu'y vous demandent pardon après vous avoir élu... la régressive intégrale !
    -C'est quoi la régressive intégrale ?
    -Rien leur passer, les culpabiliser, leur pourrir la vie, ils en raffolent... tiens on pourrait commencer par te leur foutre un tramway comme dans le temps, à la fin de l'avant-dernier siècle, sacré progrès, c'est moche, ça marche pas, ça bute du cycliste et du retraité, ça défonce les vitrines, ça coûte une fortune à installer et à faire fonctionner, rien que pour les travaux y z'ont au moins pour trois ans à se faire chier jour et nuit et je vous parle pas des embouteillages...
    -Et des interdictions et des limitations partout. Ah ouais c'est bon ça les embouteillages, on va revoir toute la voirie, tout resserrer et leur installer des giratoires inversés et des culs de sac...
    -Et des piloris sur les placettes pour ceux qu'y ramassent pas la merde de leur clébard c'est bon ça... leur faire honte...
    -Vous êtes sûrs que ça va plaire ?
    -Mais ouais y z'adorent ça qu'on leur mette la pression, ils l'ont au boulot avec le chômage, ils l'ont à la maison quand y regardent la tévé en chaussettes et qu'y se rendent compte qu'y z'ont encore un devoir de mémoire à se taper, ils l'ont avec leurs pouffiasses d'active déguisée en sergent de semaine qui te leur fout un motif... de divorce pour un oui ou un non et les engraisse aux surgelés et à l'aliment pour bétail pré-digéré... y faut qu'ils en chient aussi avec l'élu du coin, les conditionner, ‘pas qu'y relèvent la tête et après y voteront là où on leur dira de faire ou alors ils s'abstiendront mais ça on s'en fout bien, ça nous concerne pas!
    -Mais Letroncheur va appliquer la même méthode et je me ne...
    -Letroncheur c'est dépassé, c'est un romantique...
    -Ah béh tiens... ah ça alors je n'avais pas remarqué !
    -Mais ouais, il travaille à l'ancienne, il flatte l'électeur, il les fait rêver, matins radieux, investissements productifs, conquêtes sociales avec juste ce qu'il faut de sang sur le paveton, et les couilles du patron dans le bénitier pour la dimension religieuse. C'est un élégiaque.
    -Le collègue a raison il en est resté au temps des patinoires olympiques, des vacances pour les mômes tubards à la montagne et des conservatoires de musique...
    -Une déchetterie ! S'illumina Médepeu.
    -C'est ça une déchetterie géante, une aux normes européennes de 2062, le truc visionnaire qu'y fonctionnera jamais, complètement carrelée, en marbre rose, qu'y comprenne bien ce salaud-là que non seulement il nous emmerde mais qu'en plus il cochonne tout comme un goret... vrai entre le tramway et la déchetterie on endette la ville pour cinquante ans et alors là il aura vraiment pas intérêt à la ramener sinon...
    -La liste d'otages ! Parfaitement la liste d'otages et les affichettes jaunes placardées dans toute la ville. Avec l'entente franco-allemande et l'Europe nouvelle qu'y causent à la tévé, on peut même se trouver  un chleu... ‘ utain mieux que ça : un écolo schleu !
    -Avec le casque à pointe... d'asperge ! Et te le nommer gouverneur de la place, il vous les tiendra, ayez confiance y savent y faire, non mais qu'est-ce y se croivent ces salauds-là ! Electeurs ! Electeurs de mes couilles ouais ! Ch'ten foutrais ! Au poteau l'électeur !
    <o:p> </o:p>On en conviendra, sur le point de l'éthique il n'y avait rien à redire et je fis mien ce programme tout imbibé... de modernitude citoyenne. ( à suivre...)
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  • 10.
    Le retour de Mademoiselle Br...
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>-Mais enfin on ne bute pas tout un orchestre de chambre comme ça ! Ils  étaient si mauvais que cela mon petit Valter ?
    -Oh certes ils avaient un peu baissé mais pas au point de... et puis à tout le moins lorsque l'on on s'attaque à la musique de chambre et quelques fois l'on peut avoir des motifs nobles pour  se laisser aller à de telles extrémités, c'est que l'on croit à la responsabilité collective et l'amateur éradiquera alors la formation fautive au complet, il me semble non ?
    -A-t-on seulement affaire à un connaisseur véritable mon petit Valter ? Qui sait de nos jours... nous sommes dans le règne du n'importe quoi... un tueur en série impatient de faire du chiffre ? Mais tu veux dire qu'il en manque.
    -La Coucourbitowa et le ténor le grand Décato Vafanculi !
    -Ces deux-là Fred Meuleens notre correspondant en Belgique les a  logés, ce soir-là leurs collègues les ont accompagnés seulement jusqu'à la gare de La Conche, ils sont présentement en tournée à Maubeuge.
    -Ah bien, ça m'aurait fait de la peine... pour le cher Décato... ah si dîtes-moi Chef il y avait aussi l'accompagnatrice de la pianiste...
    -Il y avait donc une pianiste ?
    -Souvent dans les orchestres de chambre.
    -Comment s'appelle-t-elle ?
    -La pianiste ? Mademoiselle Br...
    -Drôle de nom ?
    -Elle s'appelle Brrrzzczinskaïak... et encore j'ai du en oublier, alors tout le monde l'appelle Mademoiselle Br..., c'est l'agent de Maragaretha Coucourbitowa qui me l'avait conseillée, la seule condition était de lui fournir une accompagnatrice et d'amener jusqu'au lieu du concert son piano, elle se déplace toujours et partout précédée paraît-il de son Graffenberg châssis long, un splendide piano à queue laqué bleu sombre...
    -Tu n'aurais pas l'immatriculation ?... fais effort mon petit Valter c'est important.
    -Voyons, il avait une immatriculation suisse... non luxembourgeoise je pense... enfin je crois me souvenir... 
    Nous étions attablés devant un fastueux plat de fruits de mer, sur le port de La Ponche, au Café le Baltec, moi-mâme, le Chef ‘von le Gueuzec, Walter Chéchignac, Conchito le neveu de Donâ Chupita, garçon charmant qui je l'ai dit servait à Walter de chauffeur-garde du corps, attaché culturel et vice-consul d'active.
    Curieusement le spectacle des exmaraisons successives de chacun des membre du Quintette Van Der Meuh, altiste, violoniste, hautboïste, flûtiste, d'entre l'eau sale du bassin n° 8, ne nous avaient point coupé l'appétit jusque là.
    Peut-être parce que quoique morts et sans doute même  profondément assassinés, ils avaient conservés une certaine élégance statuaire dans leur tenue de soirée agrémentées d'algues et capotes usagées. 
    Soudain, le brigadier de gendarmerie fit signe d'amener au grutier qui aidait les hommes-grenouilles à sonder le port. Et ce fut le gros Van Der Meuh mon voisin de table de l'autre jour qui apparut, il avait au moins doublé de volume et  beaucoup perdu de ses couleurs naturelles, le belge, de le voir ainsi accroché tout en haut du câble comme un apprenti-nageur, bras et jambes ouvertes, la chemise en torche, nous fit grande impression et Walter Chéchignac repoussa avec dignité la mayonnaise.
    -Dieu du ciel quelle vilaine mort on lui a fait !
    Il y avait maintenant de la colère chez mon hardi compagnon.
    Un long temps de silence et de recueillement passa.
     
    -Pourquoi je t'ai tout de suite prévenu mon petit Valter, comme instigateur de leur venue à La Conche, on risque de vouloir te mêler à tout ça.
    -Ah ça alors !
    Je m'étais levé de surprise, le grutier venait de déposer sur le quai à la suite de tous les autres et à côté de Van der Meuh le magnifique piano bleu nuit.
    Un dépanneur-mécano de la Préfecture, en bleu lui aussi, mais tâché de graisse noire vint procéder aux constatations d'usage, il  donna quelques coups de chaussures dans les roues du piano après quoi il ouvrit le capot, à l'intérieur une morte reposait.
    -C'est... c'est elle ? Me demanda Walter.
    Je chaussais à nouveau les petites jumelles du Chef ‘von le Gueuzec, je me souvenais très bien de cette Mademoiselle Br... qui m'avait fait si grande impression aussi fus-je catégorique :
    -Non !
    -Alors c'est l'accompagnatrice ?
    -Non même pas... celle-là je la connais pas. 
    -Et l'immatriculation ? Insista le Chef ‘von le Gueuzec.
    Je tournais ma casquette pour m'appliquer à la visée périscopique. L'avant du piano portait prés des deux autocollants rouges réglementaires (une initiative heureuse du Cercons pour limiter les accidents dans les intégrales de Bach au moment des grands départs en vacances) de limitation de vitesse: 50 coups de doigts à la minute (cdgts/min) dans les staccati et 80 dans les forzaïtali, une plaque d'immatriculation.
    -Elle est luxembourgeoise. Confirmai-je.
    Walter me prit les lunettes des mains et après une longue mise au point il annonça avec quelque triomphe :
    -Mais le bidule a été repeint, à la va vite il y a des traînées noires sur la carrosserie.
    Le Chef ‘von le Gueuzec retrouva derechef de l'appétit et se réapprovisionna en palourdes avant que de nous annoncer son plan de campagne :
    -Elle n'aura pu se résoudre à immoler son piano. Votre Mademoiselle Br... ne doit pas être pour rien dans cette sale histoire. Après il suffira de retrouver le Graffenberg châssis long bleu nuit et de la cueillir.
    Le raisonnement était imparable, aussi Walter ne chercha-t-il pas à le parer et nous resservit-il tous généreusement en muscadet.
    Je crois pourtant que nous étions déjà bien assez saouls comme ça.  (à suivre...)
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  • 9.
    Re-Les sœurs Dartemont.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>C'était visible qu'il la regrettait sa casemate de tir, son confessionnal à double oeilleton le Walter Chéchignac. Il regardait les nièces et sœurs Dartemont à la sournoise.
    Tout de suite l'église s'était remplie, c'est qu'il n'y avait pas que les sœurs Dartemont et leurs mômes, il y avait aussi deux maris supplétifs, à notre grand et viril désespoir. Deux maris marqués sur l'état des stocks, et qui ne demandaient sans doute pas tellement à être mis en ligne, le genre cadre supérieur bien formé, bien noté, intelligent, père de famille, officier de réserve mais qui raterait perpétuellement la dernière marche à cause de sa réserve et de sa famille, sans exotisme aucun donc, sans culpabilité prouvée non plus.
    Je pris sur moi, de les conduire à l'autel, soit devant les bières.
    -Et deux bières à suivre, deux ! Commenta Jean-Pierre en agitant son torchon.
    Je leur présentai la première ligne, les notables, dont le Chef ‘von le Gueuzec et monsieur le Consul  Général Walter Chéchignac, qui bredouilla, je n'invente rien, il était encore subjugué par l'apparition et ne vit pas même que l'un des petits garçons venait de lui visser sur son pantalon à hauteur de braguette un cornet de glace désaffecté qui lui faisait un nez de clown en partie basse.
    Et puis il y avait ce parfum dont m'avait parlé Walter, c'était vrai les sœurs Dartemont anciennes et modernes, vivantes et défuntes exhalaient un parfum d'inédit et de sensualité puissants.
    <o:p> </o:p>Nous passâmes au salon... pardon au cimetière, la chapelle des Dartemont avait encore belle allure avec ses deux fausses cheminées et ses fenêtres en dentelles, transatlantique haut sur l'océan même si la gîte, arthrite des vieux paquebots, commençait de se faire sentir.
    Le plus surprenant était sur les inscriptions l'absence complète de prénoms masculins.
    -Etonnant le nombre de génération de sœurs Dartemont qui se sont succédées, elles vont toujours par paire, vous les avez comptées ? Demandai-je à Chéchignac qui s'en fichait bien.
    -Euh... pardon... les sœurs eh bien oui elles sont deux...
    Il fallut leur faire une place puisque maintenant, grâce aux talents botanisateurs de la gendarmerie, elles étaient à nouveau au complet. Le fossoyeur était à peu prés saoul, avec son aide qui partageait toutes ses convictions et rajoutait à l'occasion sa tournée personnelle, il essayait de mettre de l'ordre là-dedans, comme un quincaillier un jour d'inventaire, il cherchait dans les réserves, ressortait les invendus et renversa enfin l'un des plus vieux cercueils qui tel une bûche sèche se fendit en deux par le milieu, laissant voir une morte de 146 printemps en dentelles désuète quoique encore parfaitement conformée de chair et dégageant ce même parfum affolant.
    <o:p> </o:p>*
     
    Nous nous retrouvâmes tous au 12, coin Maurin, dans l'immeuble de l'agence Dartemont Soeurs où Maître Jeanneton devait procéder à l'ouverture du testament, n'y étant point convié, à la différence du Chef ‘von le Gueuzec et de Walter Chéchignac, je patientais en visitant les bureaux de Dartemont Sœurs.
    Cela respirait l'humidité, la province bien conduite et le grand siècle... de l'industrie. Rien n'avait sans doute beaucoup changé depuis l'ouverture, 150 ans auparavant, ah si, on avait installé l'automatique à cadran et l'éclairage électrique par lampes à incandescence.
    Surtout, et c'était pour moi une grande tentation, ici l'on pouvait se perdre, trouver l'anonymat, ne plus être familier de quiconque hors de soi, et vivre, et l'âge vous recouvrait comme la neige borde et pardonne le voyageur égaré.
    Les mômes avaient déjà pris possession de l'immeuble, ils montaient et descendaient les étages criards et vengeurs.
    Les maris étaient tricards comme moi et n'avaient pas été invités au tirage.
    Je me rapprochais du cruciverbiste. Il faisait des mots croisés en gilet de laine, et soignait à l'occasion, avec une abnégation admirable et sans discrimination aucune les avaries de genoux, les plaies d'âme et les écorchures diverses de toute la progéniture Dartemont mêlée.
    -Jean-Marie La Gaspèrine.
    -Marcel Belcourt.
    Il était charmant, ingénieur chimiste de vocation, il travaillait chez Proctel & Gambler, division armement ménager, à la mise au point de lessives neutroniques et de défoliants de surfaces de nouvelles générations.
    J'en appris très vite assez sur le sujet pour faire le vœu solennel de ne plus laver mon slip qu'à la main et au savon de Marseille.
    -Dîtes-moi Marcel vous croyez que vous pourriez trouver la cuisine, j'ai besoin d'un bon café.
    C'était l'autre gardien titulaire des sœurs Dartemont qui venait de couper court à notre conversation.
    -Jean-Marie La Gaspérine.
    -Hulme de Chambeulac très heureux.
    -Je vais vous conduire à la cuisine, si vous voulez.
    Je n'avais bien entendu pas la moindre idée d'où elle se trouvait mais cela ne l'empêcha pas de me suivre fidèlement de la cave au grenier, avec retour en rappel par la terrasse.
    -... je voulais vous montrer l'océan.
    -Difficile de passer à côté ici, non.
    C'est vrai il était agaçant mais j'imaginais qu'à Paris je l'aurais jugé très fréquentable et peut-être même utile.
    -... La Gaspérine... vous êtes parent avec l'écrivaine ?
    -C'est ma mère.
    -Mais alors vous êtes le fils du Président Régis Cardemeule ?
    Il connaissait les classiques du répertoire... d'adresses parisiennes.
    -Eh oui. 
    -Ah bon et qu'est-ce que vous fichez don' ici ? Vacances ?
    -Etudes plutôt ne le répétez pas mais je prépare ma campagne électorale, je me présente à la municipalité.
    -Ma foi pourquoi pas, l'électeur doit bien venir dans le coin.
    -Comme partout il y faut des soins et de l'arrosage.
    Il rit sur deux temps, tourna le dos à l'océan et trouva en trois pas la cuisine introuvable.
    <o:p> </o:p>Sa conversation était tous comptes faits bien moins enrichissante que celle du parfait petit chimiste, c'était un parisien comme j'en avais tant connus, avocat d'affaire, prétentiard, salonnard, un pue la laque mondain, une parfaite utilité, qui raccrochait son wagon dés qu'on le sifflait et faisait le petit train, l'omnibus sur les voies secondaires des affaires et de la politique.
    Après tout je faisais partie comme lui et au même étage de la domesticité de la République, mais moi j'avais de réelles espérances alors que lui n'avait plus que de doux espoirs. 
    <o:p> </o:p>Enfin Walter Chéchignac  sortit du bureau et il m'entraîna par le bras vers les doublevécés, tout allait par paire ici, je l'ai dit.
    Il nous y enferma, tira la chasse d'eau et s'ouvrit à moi :
    -Elles sont givrées, les frangines, elles veulent reprendre l'agence de leurs grandes tantes...
    -Et vous n'êtes pas satisfait ? Je croyais que vous en teniez plutôt pour la tradition et tout ce genre de choses ?
    -Mais enfin mon petit vieux, elles n'y connaissent rien, elles sont... charmantes certes, mais vous voyez deux mères de famille dirigeant une... une agence de détectives privés !
    -Je vous étonnerai, mais je n'ai pas trop de mal à l'imaginer. Une affaire provinciale, les histoires de cocu et de comptable félon, cela s'apprend vite non ?
    -Il est bien question de cela, il n'y a pas que cela, Dartemont Sœurs c'est... enfin c'est une très vieille maison familiale avec un réseau de correspondants de confiance souvent reconduits de père en fils, je vous ai dit que j'avais des intérêts dans l'affaire, ces demoiselles étaient les héritières d'une certaine tradition française de discrétion et d'accommodement bref elles savaient se rendre utiles et sortir quand c'était nécessaire de ce tout-venant de façade, vous me comprenez La Gaspérine ?
    A dire vrai non, je ne le devinais pas mâme, je risquais un :
    -Vous voulez dire que c'était des putes ?
    -Il n'a rien compris ! Encore qu'à l'occasion... mais ce n'est pas là la question: je veux dire que l'on pouvait leur confier sans crainte certaines affaires plus importantes ou délicates que la chasse au VRP suborneur de bourgeoises.
    -Ah oui, mais... mais le Chef ‘von le Gueuzec qu'en dit-il ?
    -Elles lui ont proposé de rester et même de lui voter une augmentation.
    -Et alors ?
    -Il a refusé l'augmentation mais accepté de rester quelque temps pour... « pour les mettre au courant »... ‘manquerait plus que ça !
    Là j'avais compris et je jetais triomphant toute ma mise sur la table :
    -Au courant de vos affaires malouines cher Valter ? 
    Walter Chéchignac se redressa, tapota mon épaule à la manière d'un cavalier faisant ses Adieux à son cheval tombé, me balança un regard hirsute et décloué comme un juron de sorcière, recula de trois pas, écarta le pan de son veston ... et j'eus soudain très peur.
    -Mais... mais... mais... tout ça ne me concerne pas bien sûr !
    Il renonça, aussi vite, je ne sais à quoi et souhaite ne jamais l'apprendre, il me sourit et revint à lui et vers moi :
    -Vous en êtes bien sûr, à la sortie de l'école, vous avez bien été en poste en Afrique à la Banque d'Investissement Concussionnaire de l'Est Africain...  B.I.C.E.A  pour les intimes ?
    -Oui, oui sans doute... mais je vous avouerai que durant ces trois années je n'ai trop rien compris à ce que je faisais là-bas et ce qu'était mon emploi... et s'il avait mâme une quelconque utilité...
    -Et bien un jour, si vous avez le temps je vous expliquerai combien vous avez été utile.
    Je venais de comprendre que le consul d'opérette était un véritable diplomate et sans doute même autre chose de plus...   discret et contaminant. (à suivre...)
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  • 8.
    Chez Jean-Pierre...& Fils.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>La pluie fut très bien, le curé beaucoup moins. Il voulait qu'on l'appelle Jean-Pierre, aussi le Walter Chéchignac, qui bien que représentant d'une démocratie (fort peu démocratique) populaire (et tout autant impopulaire) me semblait dans l'ensemble d'un tempérament passablement réactionnaire, lui donnait du « Monsieur l'abbé » à n'en plus finir.
    L'enterrement se passait au naturel comme en province. La seule note triste était l ‘absence de la famille des sœurs Dartemont hors le grand mâle boisé.
    -Je comprends pas, j'ai prévenu les petites elles devraient être là !
    Il s'inquiétait le chef ‘von Le Gueuzec, libre penseur, il ne professait qu'un culte, celui des convenances. 
    Jean-Pierre avait emménagé vers les années soixante-dix et meublé sa petite église gothique dans un goût astucieux pas cher, c'est à dire qu'il avait arraché tout ce qu'il pouvait arracher, monté en étagères les sarcophages mérovingiens, installé des néons partout et une cuisine intégrée prés de l'autel, avec un lave-vaisselle pour faire la vaisselle eucharistique et un four à micro-onde où réchauffer les Hosties, il avait découvert qu'elles étaient bien plus digestes comme ça et moins caloriques :
    -Vous devriez essayer avec de la tomate c'est encore meilleur mon père et ça enlève le petit arrière-goût. Lui fit remarquer  Walter Chéchignac qui lui en voulait un peu de saccager avec ses croquenots d'imbécile et sa bonne conscience en lin cordé des Vosges une part, la plus rêveuse mais non la moins active, de sa jeunesse.
    -Ah vous aussi vous l'avez remarqué... l'arrière-goût, ça me fait ça depuis quelque temps déjà et c'est pas notre fournisseur, il livre tout le diocèse et il y a que chez moi qu'il y a cet arrière-goût de brûlé, j'en suis à me demander si je vais pas les remplacer pour la messe du matin par des chipsters Belin... goût béconne... allégés s'entend... surtout que ça attire des curieux et des connaisseurs le petit goût de brûlé et toutes les vieilles superstitions ressurgissent, on connaît le pays ils vous cloueraient sur la porte du presbytère comme un rien ces ânes-là !
    -Et le confessionnal mon père ?
    -Le confessionnal, je l'ai mis dans la cour, il sert de clapiers aux lapins. Pour ce que ça sert ces trucs-là de nos jours!
    Il fallut toute la mâle énergie du Veuf Double pour empêcher Walter de se payer Jean-Pierre.
    Pour le reste, par souci œcuménique il sous-louait sa crypte à des bonzes de Ploumanac'h  qui tapaient avec un balai quand il faisait trop de bruit pendant l'élévation et son jardin de curé aux adorateurs de la fraise cosmogonique de Plougastel.
    Sur l'autel il avait posé une toile cirée à grandes fleurs, c'était quand même plus commode pour desservir et mettre un coup d'éponge à la suite.
    Dona Chupita en voyant cela, se signa une quinzaine de fois à toute vapeur, et donna un grand coup de coude à Walter Chéchignac qui, fort à propos, fit:
    -Oumph !
    -Ché mierda ! ‘è troppos stoupidos !
    Comme elle était du genre à payer comptant, Dona Chupita en guise de mortification quitta l'église sur les genoux et retourna comme ça à la maison, c'était toujours un taxi d'économisé.
    La messe se poursuivait sans elle, et chaque fois que Jean-Pierre disait Jésus a dit, il fallait se tourner vers son voisin et se taper dans les mains, tout allait de ce pas médiocre et processionnaire quand elles entrèrent.
    -FoutreDieu ! S'oublia le Chef ‘von le Gueuzec en les reconnaissant.
    Walter Chéchignac tomba dans une manière d'extase collégienne, l'âme comme investie d'une lumière surnaturelle, enfin c'était peut-être les néons qui faisaient ça, dans tout les cas l'assistance mâle partageait son émotion, il n'y avait que Jean-Pierre qui ne se rendait compte de rien et continuait de nous mouler une tourte sur la cause sacrée de la lutte contre le tabac et l'insécurité routière réunis, le Bossuet du journal de vingt heures auraient pourtant pu s'illustrer en chaire:
    -Ces demoiselles Dartemont sont mortes ! Et par Jésus crucifié et par le Dieu vivant ces demoiselles Dartemont nous sont ressuscitées !
    Car les sœurs Dartemont étaient là ! Et elles étaient venues rajeunies et en nombre, il y avait bien une demi-douzaine de mômes autour d'elles, des mômes enchocolatés et ligueurs, solidement et de longtemps établis dans le bonheur.   ( à  suivre...) 
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  • <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>7.
    Letroncheur devant l'histoire... et à droite du local à poubelles.
    <o:p> </o:p>J'étais entre La Branlaye et le Martial Medpeu, une idée du crétin dernier cité que de nous déguiser en barbus et de nous envoyer au premier métinge de campagne de l'ennemi pour étude et édification:
    -Il paraît que c'est quelque chose ce type dans une réunion publique ! Béaient-ils déjà tout prêt à mouiller leurs culottes devant l'idole des Basses Côtes du Nord, une vraie groupie.
    -Sans compter, ajouta pédagogue Médpeu à mon intention, que cela vous permetttra de faire connaissance avec l'électeur.
    Qu'il prononce seulement encore un fois ce mot et je lui vomissais dessus le demi de bière et l'andouillette poilue que j'avais dû me farcir au buffet de la gare après la réunion du bureau de la section locale du parti, les loyalistes, ceux du moins qui n'avaient pas fait sécession et qui était menés par La Bertalot.
    Il entra enfin, la sono était à fond et jouait « La gagnure. » le dernier tube du grand Jaunie, des projecteurs tournaient autour de lui, il était grand, pesant, mais là il sautillait d'aise et puis il bougeait les bras, histoire de pas se faire un claquage à son V gaullien inaugural.
    Il se laissait touché, peloté, emmené par la foule, il faisait un bout de chemin avec elle avant que de se faire propulser par elle sur la scène à la manière d'un maillot jaune facile qui enroule dans une étape de plaine.
    Il était sur scène, maintenant, se refit homme de bien le caressant, rassurant pour saluer la rangée d'adjoints, de notabilités, qui tous craignaient un peu qu'on leur lâche les chiens, pas trop rassurés quand même devant cette meute de cons à fourches bref d'électeurs en puissance.  
    Letroncheur se retourna, et leva les bras enfin, petite grimace soudaine qui me réjouit l'âme, il n'était pas assez chaud, il s'était fait mal, mais non il re-re-sourit et commença d'en raconter, sur moi bien sûr :
    -... ce petit monsieur parisien qui veut mettre ses escarpins de cour dans nos bons vieux sabots concho-ponchains...
    -Trop littéraire ! Jugea La Branlaye.
    Bien heureusement, on l'aura compris la littérature ne dura pas longtemps, très vite il mit le feu à sa chemise en allumant une cigarette, il n'avait aucune hygiène de vie et ne craignait pas même de blasphémer contre la sainte écologie apostolique et berlinoise et toutes les choses du Culte, et les gens gueulaient et soufflaient tous ensemble  pour l'éteindre comme ils auraient faits devant un gâteau d'anniversaire, il s'aspergea d'eau et chacun de s'essuyer le front, il se laissa tomber dans la foule et la foule unanime, élastique et complice le renvoya sur le ring,
    -Le-Tron-Cheur-Le-Tron-Cheur-Le-Tron-Cheur-Le-Tron...
    -Putain je les aime ! Je veux les baiser ! Gueulait-il en balançant son veston.
    Alors il replongeait dans la foule et cette fois la foule consentait,  il sortait sa bite et il rentrait là-dedans, je l'ai vue de mes yeux, baiser une foule, d'estoc et de taille, avançant là-dedans, ange exterminateur, fornicateur et pacificateur, il ouvrait une voie dans la foule vierge, la voie Letroncheur, c'était de la folie, à côté de ça un concert des Rollingues Stones ressemblait à un thé de chaisières ou une séance de loto chez des retraitées de La Baule, on était dans le Sabbat, la grande transe, le culte vaudou d'arrondissement, des femmes sacrifiaient des coqs, d'autres se foutaient à poils, les prolétaires descendaient les bretelles pour tringler de la tricoteuse, c'était beau c'était républicain, la démocratie des grands ancêtres enfin proclamée: la partouze universelle sous les yeux de l'être suprême c'est à dire du pompier de service.
    Enfin il revint sur scène, à peu prés rhabillé, survivant de sa propre connerie, le pantalon baillant, la chemise plombée, laissant voir son cul et un bon bout de son âme :
    Alors il leva les bras en l'air comme prévu et gueula :
    -Concho-ponchains... je vous l'ai bien mis !
    Et en face la déflagration, le départ de flak et une ruée d'applaudissements qui emporta la tribune comme un tsunami japonisant.
    <o:p> </o:p>   Quand nous en ressortîmes, vivants mais encore égarés par les derniers coups de sono qu'ils avaient balancés sur nos arrières et en particulier une Marseillaise que l'on aurait facilement  pu requalifier en voies de fait, la Branlaye me dit avec quelque reproche en empochant sa barbe : 
    -Ah certes... ah je vous avais prévenu que ce n'était pas gagné d'avance, ah ce n'est pas une circonscription facile, il est très bien implanté, n'est-ce pas, et puis il travaille le terrain, vous avez vu comme il laboure...
    -La bourre ? Oui, oui j'ai vu merci...
    -C'est un professionnel que voulez-vous.
    -On peut appeler cela comme ça...
    -Enfin vous vouliez voir la mer... vous l'avez vue...
    -Et maintenant quoi ? Je peux remballer les tréteaux ?
    -Je ne dis pas ça, il a des failles, c'est connu... il conceptualise pas terrible et il raffole des petites filles pré-pubères... je peux me renseigner, après tout vous avez l'investiture du parti...
    Martial Medpeu intervint à son tour en recrachant un bout de sa barbe qu'il avait avalé par mégarde:
    -Dans tout les cas il faudra soigner votre déclaration de candidature... vous l'avez préparée ?
    Je la sortais de ma poche, elle m'avait donnée du mal, une semaine que je travaillais dessus.
    -Je vous la lis ?
    -Marchez mon cher, marchez...
    Nous étions tous trois arrêtés devant un banc du square « Albert Gueuvignon 1912-1987 Double-Recordman de l'heure d'éthylisme sportif. Adjoint à la jeunesse de 1947 à 1987. », on ressemblait plus à une conspiration de clochards guignant le litron qu'à autre chose de trop recommandable. Je montais sur le banc histoire de gagner en hauteur et qui sait en inspiration :
    -Agglomérées, Agglomérés...
    Cette fois Medpeu l'avait avalée pour de bon, sa barbe.
    -Je vous demonde pardan ? Erupta La Branlaye.
    -Vous m'avez dit de ratisser le plus possible, alors j'ai pensé qu'il fallait pousser au moins jusqu'à l'agglomération... permettez, je reprends :
    Agglomérées, agglomérés...  ( à suivre...)
    <o:p> </o:p>
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  • 6.
    Le Grand Vate.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>J'allais enfin me coucher, deux jours que je n'avais pas dormi.
    Pourtant, je n'avais pas sommeil et puis il y avait les bruits de bacchanales qui venaient de l'autre bout du couloir, l'orgie trop hospitalière qui se perpétuait autour et au dessus du veuf double.
    Et aussi les maniements nocturnes du neveu de Dona Perdita, le fier Conchito, qui était insomniaque et donc permanent  et montait une garde de chaque instant auprès de son maître Walter Chéchignac.
    Drôle de garde du corps, toujours vêtu de costumes sombres et trop étroits dans quoi il resserre à grand peine sa musculature de culturiste néandertalien, une oreillette à l'oreille branchée sur « Eeertéeeeel ! », tout hérissé d'antennes, de matériel d'écoute et de protection rapprochée, tel est le terrible Conchito dont l'imbécillité n'est pas que du matin.
    Il est aussi le maître des chiens de la propriété, enfin à dire le vrai, son autorité devant le fauve est rien moins que formelle et quand il les emmène promener sur la plage dans sa fourgonnette, il en ressort souvent  rancunier... et ensanglanté :
    -Salopérias de bestias ! Ençoulados... mierda mes clefs !
    Et quand il y retourne, car il est téméraire, le neveu, c'est un étonnant spectacle que celui de la fourgonnette secouée pendant de longues minutes et de ses jurons proférés au milieu des abois.
    Il en ressort toujours ensanglanté... et encore plus rancunier.
     
    Je finis par réussir à m'endormir et ce fut le silence qui me réveilla vers 4 heures du matin.
    Enfin le silence, dans cette maison défiée par l'océan, il n'était jamais complet. 
    Reposé, la faim commençait de me gagner le ventre et je décidais de tenter une offensive nocturne vers les cuisines que je savais largement munitionnées mais que j'espérais peu défendues.
    <o:p> </o:p>Arrivé au bout du couloir j'ouvris la porte de la chambre du Chef ‘von le Gueuzec, le spectacle était ignoble comme attendu, au centre, prés du lit renversé, reposait dans une odeur de chaussette une espèce de mille feuilles humain, ou le chargé de communication parisien alternait avec la pute provinciale, quand au chef ‘von le Gueuzec il ronflait, le nez dans la chatte de l'une de ces dames et quand il ne s'étouffait pas à demi, ou recrachait des poils, il réussissait à en sortir de très étonnants sons.
    Quel scandale ! Le sexe, en tant que pratique sociale éminente mérite quand même un peu plus de sérieux et un minimum d'application il me semble !
    Nous avions réfléchi au Cercons à une proposition de loi concernant la création d'un Conseil Supérieur du Sexe d'Etat (CSSEXE), composés d'usagers (hors d'usage), de travailleurs et travailleuses du sexe (en disponibilité) et de magistrats (pédophiles), afin de mettre en place une réglementation sur les pratiques sexuelles épanouissantes obligatoires en agglomération (PSEOA), quand on sait ce que  représente en coût d'usage pour la collectivité (stress, inhibition des fonctions sociales, moindre rendement au travail, frais de teinturerie) une fellation bâclée l'on comprend qu'il est temps d'encadrer tout cela, d'ailleurs au Cercons nous passions notre temps à encadrer ce qui l'était déjà et à conditionner le reste, soit pour l'essentiel le contrevenant, passé, présent et futur.   
    <o:p> </o:p>Quand j'entrais dans la cuisine, il y avait quelqu'un, je crus reconnaître le gros bonhomme qui commandait le chalutier de Walter Chéchignac, le capitaine Kelbonbec, c'était sa folie, ce chalutier, il était fier d'être le seul Concho-Ponchain qui prit encore la mer. Il n'allait certes jamais très loin, mais comme il disait : ce n'était pas pour autant que le retour n'en était pas difficile.
    Oui, c'était bien lui, d'ailleurs il portait une casquette sur une figure bourrue de marin.
    -Bonjour capitaine.
    -Mon gars.
    Il ne mangeait, ni ne buvait, regardait ses doigts, ses mains ridées et tachées comme font les vieillards pour bien se convaincre de leur âge, et autour la pièce, et moi aussi, mais non je ne l'intéressais pas plus que cela et il revenait à ses doigts épais.
    Il se leva, enfin, il m'intimidait, c'était une présence ç't'homme-là, large, trapu, la voix charnue, profonde et lointaine, avec des intonations parigotes, aussi je n'étais pas mécontent de le voir faire mouvement et il alla ouvrir une grande armoire peinte en grise qui était encastrée dans le mur derrière lui.
    L'intérieur était garni de bas en haut et de droite à gauche, de paquets de gris et de gauloises sans filtre modèle troupier. Sans doute les stocks de guerre de Walter Chéchignac.
    -Bon, ben vous lui direz que je suis passé.
    -« direz... » Mais à qui don' ?
    -Béh à mon fils bien sûr, mon petit Voualtère. Allez bonne lunaison mon gars.
    Le « capitaine » se remplit les poches avec les paquets de gris et de gauloises et quitta la pièce le plus simplement du monde en passant à travers le mur.
    <o:p> </o:p>*
    <o:p> </o:p>   J'avançais dans l'immense chambre de Walter Chéchignac, éclairée seulement par les porte-fenêtres ouvertes sur la nuit  mousseuse et valsante qui se jouait au dehors, j'aurais voulu parler, articuler au moins mais je n'y arrivais pas, trop impressionné ou plutôt comme soudainement dépressurisé par le trou d'air qu'avait été pour moi la vision de cet homme, son père le druide, le revenant, le maçon traversant, j'allais vers Walter Chéchignac comme un môme en colonie de vacances, qui s'est pissé dessus au milieu de la nuit, va réveiller son instit :
    -Walter... cher Walter...
    J'avais enfin réussi à parler mais ce n'était pas lui que j'avais éveillé mais la Fée Morgane qui dormait prés de lui, si, si, rousse, blanche, irréelle, elle se dressa tel un spectre et je me jetais dessus en criant :
    -Oh ma fée ! Ma Fée! Sauvez-moi bonne dame!
    Et là je reçus le plus beau coup de genou dans les couilles de toute ma carrière, déjà longue, de récipiendaire de coups bas féminins.
    Elle avait une technique irréprochable ma bonne fée.
    -This man is crazy! Go ahead I Am going to blush yours ass sucker !
    -Eh béh quoi on t'a mordu ma belle? Mais qu'est-ce qu'il arrive ici ?
    Walter avait allumé la lampe de chevet et me regardait me tordre de douleur sur ses tapis pendant que sa compagne de lit toujours à poils mais bien réelle, je pouvais en témoigner, lui résumer notre récente entrevue.
    -C'est votre bonne fée qui vous a transformé en serpent La Gaspérine ?
    -Arrêtez de vous marrer et aidez-moi merde.
    -Gisela, compresses please, varm vater, do you understand my sweatie ?
    -Oh yeah.
    Dés cet instant elle se montra parfaite et maternelle, cette touriste américaine que Walter avait rencontrée sac au dos dans l'un des inénarrables cocktails portuaires qu'il hantait de sa présence diplomatique et où il représentait aussi bien ses affaires, ses trafics  que ceux de son pays d'adoption.
    -Un malentendu mon pauvre vieux, mais si ça pressait autant, j'aurais pu vous arranger le coup c'est une chic fille...
    -Mais non c'est pas ça, je peux encore lever une fille tout seul, c'est après l'autre... j'ai un peu bu... après qu'il soit parti...
    -Mais qui ça, expliquez-vous mon vieux ?
    -Mais votre père merde quoi !
    -Ah papa est passé, vous auriez pu me prévenir et comment va-t-il ?
    -Il va... comme un mort... ou plutôt un vivant... ou plutôt... il va et vient à travers les murs !
    -Ah ça c'est son côté farce...
    -Enfin merde, il est mort ou il est vivant ?
    -En principe il est mort, mais lui-même il n'est pas trop fixé, alors il apparaît et disparaît, un mort il faut que ça montre de la conviction, lui il muse, visite, il commente, il vient chercher du gris, c'est ce qu'il lui manque le plus, sa gauloise matinale en regardant la mer... pour ça que j'en garde des quantités pour lui...
    -Mais vous pensez vous qu'il est mort ?
    -J'aime pas penser à des trucs tristes et puis ça porte malheur, je pense que tant qu'il voudra bien venir, je serai content, après, on verra, j'essaierai de me faire une raison, une raison rationnelle et obtuse avec des principes de base et des présupposés, une loi intime dans le genre de vos poulets du Cercons, si vous voyez : ...tout stationnement dans les parties privatives de la conscience au delà de 22 heures ect... Je suis abonné, j'ai toute la collection, votre bulletin est une merveille... 
    <o:p> </o:p>Mais il se foutait carrément de mon travail !
    De fait j'avais été pendant trois ans, le fondateur puis le principal rédacteur du Bulletin du Cercons, c'était même moi qui en avait trouvé le titre : « modernétude ». Avec un petit  trait comptable là où il fallait et plein de sous entendus référencés. D'ailleurs c'était un ex-jésuite, ex-trotskiste, ex-lacanien, une espèce de parfait honnête homme du XX° siècle qui était mon secrétaire de rédaction. (... à suivre...)
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  • 5.
    Le veuf double.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Si je comprenais un jour quelque chose à ces gens-là !
    J'étais habitué au règne parisien, celui d'un ogre devenu podagre et végétarien, mais où, parce que l'on mettait de l'hygiène en tout et jusque dans les sentiments et les sourires d'enfant, les monstres tels que j'étais pouvaient se croire les gendres abusifs de ce vieux cannibale. Là-haut on me tolérait j'étais de la famille, innombrable et grotesque, comme cent-mille autres, ici je pouvais devenir quelqu'un : l'étranger ou  l'homme de trop. 
    Mais revenons-en au chef ‘von le Gueuzec, les fesses dans la farine et le regard sur la ligne bleu des caisses, il vient de nous faire l'annonce d'une bien triste nouvelle : la disparition subite et concomitante de « ses femmes ».
    -Vos femmes m'émeus-je ?
    -Le chef ‘von le Gueuzec a épousé puis divorcé successivement des deux sœurs Dartemont...
    -Ah oui... ah ça deux belles emmerdeuses mais quand même... cela fait un choc.
    -Je vous expliquerai... me rassura Walter Chéchignac en le rejoignant sur la butte aux farines.
    -... après Petros-Duirec je suis passé au bureau, la secrétaire mademoiselle Mauve n'était pas là, non plus que ces dames... le téléphone sonne... c'était la gendarmerie de La Ponche qui demandait un parent de Geneviève et Marie-Aude Dartemont pour... pour venir reconnaître les corps !
    Le Chef ‘von le Gueuzec s'était effondré dans les bras de Chéchignac mais il tentait comme devant la vague, le marin, de se redresser et de faire face :
    -... ils... ils étaient au passage à niveau devant le garage Renault, tu vois... ces dames voulaient changer leur vieille Renault 4 mais bon ça ne pressait pas n'est-ce pas, une lubie de Marie-Aude, le vendeur leur a proposé de faire un essai de sa dernière nouveauté... et je suis bien sûr que c'était encore Geneviève qui conduisait... il faut y aller... mon petit Valter... il faut y aller... ‘doit pas faire attendre les collègues... z'ont du travail...
    Il n'était pas difficile de deviner qu'il commençait à débloquer l'ex-garde républicain.
    -Je vais m'y rendre avec monsieur La Gaspérine...
    Ben tiens don'comme si je n'avais que ça à faire ! Et ma campagne électorale alors, et mon étude de terrain, tout le monde s'en foutait bien !
    -... ne vous inquiétez de rien chef, nous allons vous raccompagner et Dona Chupita s'occupera de vous...
    -La vieille là... bof... elle me fait un peu peur... t'as pas autre chose ?
    -Voulez-vous que je téléphone au 10/18 et que je leur demande de faire venir deux infirmières...
    -Des vraies, des diplômées avec leurs blouses blanches, qu'elles oublient pas leur blouse blanche... et puis leur thermomètre je crois que je fais un peu de fièvre.
    On le raccompagna jusque chez Walter, on le coucha dans la meilleure chambre, en le laissant aux bons soins de Dona Chupita qui lui en fourra un de thermomètre dans l'oigne en guise de bienvenue et de sanctification, un gros de jardin, même pas lubrifié.
    Walter Chéchignac téléphona au 10/18, pendant que Martial Médpeu et La Branlaye en pyjama, pas rasés ni lavés, venaient aux nouvelles.
    -Salut La Gaspèrine... bon on s'y met à l'étude de terrain ?
    Ils commençaient à m'emmerder ces deux-là, pour ce qu'ils m'étaient utiles !
    J'allais les engueuler quand les six infirmières (c'était pour un ami dans la peine, aussi Chéchignac avait-il vu large et prévu une équipe de nuit et une de jour) de chez Tintin débarquèrent, La Branlaye et Cyril Médpeu les suivirent chez le veuf double ou plus exactement ils leur prirent le train :
    -... bon pour l'étude de terrain on a bien le temps ‘pas La Gaspérine ?
    <o:p> </o:p>*
    <o:p> </o:p>Pendant le voyage, que nous fîmes dans une américaine interminable, sombre et blindée, Walter Chéchignac me donna quelque explication sur la situation conjugale de son ami  et me fit le tragique épitomé de son existence.
    Yvon le Gueuzec était entré fort jeune dans la Garde Républicaine, corps d'élite, que le monde entier nous envie, il y fit une carrière des plus honorables, jusqu'au jour où étant de faction avec quelques uns de ses collègues dans la cour d'honneur de l'Elysée il fut appelé à rendre les honneurs à ses altesses le roi et la reine de Suède.
    D'une grande tempérance jusque là dans le service, il s'étaient commis quelques trois quart d'heure auparavant dans un débit de boisson en compagnie de trois joyeux compagnons, barbeaux notoires, natifs de l'île de beauté, les ayant prévenu que les devoirs de sa charge l'allaient forcer de les quitter bientôt pour rendre l'hommage méritée de la France à ces altesses en transit, l'un d'entre eux s'exclama:
    « Le Bernadotte c'est qu'un traître, il a trahi l'empereur tu vas pas rendre les honneurs à cette canaille ! Tiens le ‘von reprends un Casa  ! Patron remettez-nous ça ! »
    <o:p> </o:p>Aussi bien quand ces majestés septentrionales se présentèrent au Palais présidentiel, au « Présentez armes ! » retentissant dans la cour pavée le Chef ‘von le Gueuzec, dit le ‘von, la tête encore chaude des mise en garde insulaires, sortit son imposant goupillon tumescent et gueula : Vive l'empereur !
    Attitude et propos qui quoi qu'ils fissent retentir l'honneur et la virilité du nom français eurent les plus néfastes effets sur son avancement, ainsi que sur les relations bilatérales franco-suédoises et même par la suite suédo-françaises, on l'imagine sans peine.
    Chassé de la garde il s'exila en province où pour subvenir à ses modestes besoins il mit en pratique sa formation de gendarme et embaucha un matin d'octobre comme Enquêteur Privé Hautement Qualifié (E.P.H.Q niveau 3) dans l'agence des sœurs Dartemont.
    Cette existence toute romantique, qui n'excluait pas le versement d'un treizième mois ainsi que les paniers-repas prévus selon les termes de la convention collective, se continua telle qu'elle avait commencé aux accents de la tragédie de boulevard et de la caleçonnade de répertoire, il séduisit l'aîné des sœurs Dartemont, l'homme avait du charme, de la prestance, une belle moustache et de la conversation, il en avait même une bonne longueur. Il l'épousa. Geneviève Dartemont était fascinante comme souvent les emmerdeuses. Après cinq ans il en divorça, par esprit de suite sans doute il se remaria avec Marie-Aude, juste un poil moins fascinante, comme dans la légion il en reprit pour cinq ans, re-divorça après quoi il entama l'océan par sa plus grande largeur se fit second-mousse sur un terre-neuvas, « soutier-adjoint sur un schooner chilien » qui tenait plus de l'exercice de prononciation que du bâtiment de commerce et puis il leur revint, sa vocation de chien de sang, cela ne l'empêchait pas « de les tringler à l'occasion mais en toute indépendance d'esprit. »           
    <o:p> </o:p>L'américaine filait sensiblement aussi vite que l'allemande, il faut dire qu'elle n'avait pas de remorque elle, le plus difficile était de l'arrêter, dame on n'arrête pas quatre tonnes et demi d'un claquement de doigts et Walter Chéchignac ne put éviter le fourgon de gendarmerie qui stationnait devant le passage à niveau.
    Manque de chance,  c'était les mêmes gendarmes que ce matin, ils avaient seulement beaucoup vieillis entre-temps.
    Walter Chéchignac avait opté pour le grand deuil de parade et ma foi avec son chapeau taupé, ses lunettes d'armateur grec, sa moustache cirée, sa canne et ses décorations de Noël il ressemblait assez à son Excellencia el Consoul Rrrénéral de las Islas Bravados y Perditas.
    Et malgré l'affliction dans quoi les plongeait la perte de leur fourgon préféré les gendarmes cette fois ne se permirent aucune remarque déplacée à notre endroit, on a beau dire mais l'uniforme civil ça impressionne encore le militaire.
    -Bonjour brigadier vous connaissez les circonstances de l'accident ?
    -Ces dames sont venues pour expliquer que leur véhicule Renault 4 immatriculée...
    -A l'essentiel, brigadier, à l'essentiel...
    -Bref leur R4 calait tout le temps alors le vendeur a voulu leur faire une démonstration de sa dernière nouveauté et... et il a calé sur la voie...
    -Où sont les corps ?
    -On les a remisés dans le hall de livraison de la concession Renault.
    Il y avait déjà une cellule de soutien psychologique auprès des voyageurs de la micheline, qui n'étaient pas blessés, qui n'avaient rien vu mais qui auraient bien voulu se faire rembourser leur ticson rapport au vécu traumatique et tout ça...
    <o:p> </o:p>Nous allâmes nous recueillir devant les dépouilles.
    -... manquent le buste de l'une et les jambes de l'autre lui expliqua à voix basse le brigadier alors vu qu'elles étaient jumelles on s'est pensé que comme ça ce serait plus présentable si on les rassemblait.
    -Excellente initiative brigadier. Et ça qu'est-ce que c'est ?
    -C'est le vendeur de la concession.
    Je soulevais le drap aux couleurs de la marque qu'il avait servi jusqu'au bout:
    Il y avait encore sur ses traits l'effroi de celui qui vient de manquer une vente.
    Emu Walter Chéchignac lui remit sur le champ l'étoile de vermeil de Fils de la Chasse Prolétarienne, le fameux Hijo de Puta avec supplément couchette  tandis qu'il élevait devant le front des troupes, soit en tonnes d'équivalents pétrole (TEP): une micheline pleine de cons et tous ses accessoires: conducteurs, lanternes et gendarmes compris, les sœurs Dartemont à la dignité de Mère de la Révolution Posthume, le non moins retentissant : Madre de todos los otros cornardos.
    Dans la voiture qui nous ramenait chez lui, Walter Chéchignac me confia :
    -Quelle épreuve ! Vous ne pouvez pas comprendre vous n'êtes pas d'ici...
    -Merci de me le faire remarquer.
    -Ne vous fâchez pas vous verrez vous allez devenir un véritable Concho-ponchain...
    -Quel avenir flatteur vous me promettez !
    -Arrêtez de grincer La Gaspèrine vous m'agacez. Enfin merde si je vous dis que les sœurs Dartemont c'était quelque chose ici ! Vous avez vu à prés de soixante-dix ans elles n'étaient pas trop mal conservées ? Encore deux belles juments.
    -Hélas je ne les ai vues qu'à l'état de puzzle... incomplet...  difficile de se faire une idée, mon cher.
    -Eh bien moi je vous le dis, j'avais encore rencontré Geneviève Dartemont le mois dernier... et bon Dieu ce que ça sentait bon, et ce que ça remuait encore bien, ah ce qu'on a pu se branlotter dans notre jeune temps dans le confessionnal en les épiant pendant l'office, ce qu'elles réussissaient bien le regard baissé et le sourire pécheresse ces garces-là, de part et d'autre de leur dix-cors royal le grand ‘von Le Gueuzec qui même pendant la messe ne pouvait s'empêcher de leur malaxer les hémisphères, à la fin il fallait retenir ses places trois bonnes semaines à l'avance. Un jour on était tellement nombreux là-dedans qu'on a mis le confessionnal sur le toit. Vrai ! Ah bordel de merde ! Oui  de se souvenir de ça... et d'imaginer ce qu'on a vu ... il a bien fait de ne pas venir le veuf double.
    -Mais dîtes-moi mon cher Walter ce ne serait pas lui qui...
    -Lui qui quoi ? Lui qui conduisait la micheline... vous oubliez que le Chef ‘von le Gueuzec  n'hérite pas, il est deux fois divorcé, j'ai des parts dans l'affaire, je vais essayer de la reprendre en sous-main et de la lui confier sans quoi il est fichu de finir clochard. Et puis rien que leurs dossiers et archives, vous imaginez depuis 150 ans la nomenclature de toutes les pécoles et vérolés d'ici et des départements avoisinants. Avec ça vous avez une place de sénateur à vie retenue d'avance.
    -Vous êtes gentil cher ami mais je préfère la mériter.
    -Vous savez en politique, l'avancement au mérite, il me semble que si ça avait jamais existé on en aurait retrouvé des traces, des vestiges... à tout le moins un peu de vaisselle cassée, non vous croyez pas... cher ami ?  ( à suivre...)
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  • 4.
    La pêche à la fenêtre
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Nous rentrâmes par la vieille ville de La Conche, le vieux quartier si pittoresque de La Marinière en surplomb de l'océan.
    Je m'émerveillais devant toute cette architecture bancale et mal calculée, de colombages et de vieilles pierres :
    -La vieille ville a été fort bien restaurée. Fis-je remarquer à Walter Chéchignac qui fumait un énorme cigare bravadien, pensif et songeur, non sans doute plus pensif que songeur.
    -C'est votre futur prédécesseur qui s'est chargé de la réfection,  le Lucien Boitel, son côté opérette qui a pris le dessus. 
    -Cela aurait été dommage de perdre un tel ensemble, c'est magnifiquement bâti, c'est un torchis de paille avec juste ce qu'il faut de glaise   n'est-ce pas ? Dis-je en caressant un pan de mur.
    Walter Chéchignac me répondit avec quelque humeur :
    -Non c'est un torchis  de paille ! ... avec juste ce qu'il faut de merde!  Vous savez nos anciens faisaient avec ce qu'ils avaient sous la main, le pays Poncho-Conchain a toujours été un coin d'élevage et de gros chieurs, depuis la nuit des temps statistiques et même un peu avant, le conchois ou le ponchain chie 1/3 de plus que la moyenne nationale, on ne sait pas l'expliquer, la nourriture peut-être ou la proximité du troupeau ? Une manière d'émulation. Alors on a construit à merde d'homme et de bêtes.
    Quand il s'est agit de tout remettre en état Lucien Boitel s'est retrouvé dans son élément et suivant les recommandations de  l'architecte en chef des  Monuments Historiques il n'a voulu employer que des techniques traditionnelles, il a fallu former des jeunes mais heureusement il restait quelques vieux artisans conchois ici on les appelle avec quelque respect vous pouvez m'en croire: les chidru'c, enfin pour ce qui est de la matière première il a quand même fallu en faire venir de l'étranger, la production locale n'y suffisant pas...
    -Ah oui... ah bien... ah tiens... décidément cette nuit est toute entière placée sous le signe de ...
    -Bah il vaut mieux commencer là-dedans une carrière que de la terminer... ‘tention vos pieds !
    -Quoi... encore !
    -Mais non vous voyez pas les fils par terre.
    De fait dans le matin bégayant je distinguais une multitude de fils qui partant des fenêtres, traversaient les rues et s'en allaient pendouiller le long des falaises.
    -C'est la pêche à la fenêtre, autre spécialité du pays, antique tradition, un jour vers le 13 ° siècle par là, ils ont décidé de ne plus partir en mer, trop risqué, marre de ne plus pouvoir se consacrer à leurs veuves, ils avaient découverts qu'il y avait un courant chaud qui drainait le poiscaille vers les falaises, et ils se sont dits qu'après tout il suffisait de sortir les gaules, de dérouler du fil et d'être patient en s'occupant de leurs dames.
    -Et cela continue, après des siècles.
    -Vous n'entendez pas les clochettes quand ça mord ? Tenez écoutez...
    Je percevais une multitude d'essoufflements fornicateurs et de tintements s'évadant des pièces et j'aperçus des orteils tressautants, attachés aux fils de pêche et dépassant des bords des fenêtres ouvertes sur la nuit froide.
    -Il y a quand même de moins en moins de vocations, le poisson il faut le tirer quand il est ferré, il y a à enrouler, aussi il faut dormir la fenêtre ouvert même en hiver. Et puis les dames hein c'est plus ça... alors il y en a quelques uns qui parlent de reprendre la mer...  Enfin en attendant cela plaît aux touristes.  
    -Vous avez l'air de bien connaître le pays Concho-ponchain.
    -Des Chéchignac il y en a toujours eu ici, des qui lisaient dans les runes, des qui empilaient la bouse...
    -Pour cela que vous êtes partis dans les îles ?
    -Tout juste, comme chantait le poète : « ... sacrer d'autres cornards, véroler d'autres veuves... » mais le malheur à l'étranger c'est que l'on finit toujours par comprendre les paroles des chansons, j'ai un ami installateur de télés au Muséum d'histoire naturelle : Lévis-Cooper, enfin il est ethnologue mais il installe des télés chez les ultimes peuplades primitives de Papouasie, pour étude, il me raconte qu'il ne faut pas plus d'un mois pour qu'ils fichent leurs traditions millénaires au panier, mettent en l'air le grand sorcier et s'entre-engueulent pour savoir s'ils regardent les variétés sacrificielles de la une ou la messe footbalistique de la 4.   
    -Malgré tout en acceptant de représenter les intérêts des Islas Bravadas y Perditos...
    -Bravados y Perditas... d'abord ce n'est pas eux que je représente, ce sont eux qui représentent ma jeunesse, et puis j'ai une dette envers le peuple bravadien et leur estimé président.
    -Adamsen Pinocevic ! Mais c'est un horrible dictateur il me semble, un régime qui fait fi des droits de l'homme et de la démocratie.
    -Et quand bien même se les mettraient-ils carrément au train que cela ne les propulserait pas beaucoup plus loin mon cher.
    -Vous ne croyez donc en rien ?
    -Le vœu de monsieur mon père était de faire de moi le quatrième empereur des Gaules. J'y suis résolument engagé, vous pouvez m'en croire  mais en attendant... rassurez-vous la veille du sacre, je me ferai sans doute républicain.
    <o:p> </o:p>  Nous étions arrivés devant la maison du druide, Chéchignac ouvrit les portes du garage, il était dans les proportions du reste de l'habitation et rempli de véhicules à moteur antiques et modernes. Il extirpa de la cohue en la poussant une voiture très basse et très longue et la mit en marche avec une grande tige pneumatique qu'il lui fourra dans le fion, cela faisait un boucan du diable:
    -Venez il faut que j'aille aux commissions, Dona Chupita n'a plus de grattons Spontex...
    -C'est que j'avais pensé prendre une douche et me reposer un peu...
    -Vous en aurez bien le temps quand vous serez sénateur et puis vous allez faire connaissance comme ça avec vos futurs électeurs.
    -Je risque en tout cas de ne pas passer inaperçu là-dedans.
    -C'est la version civile de la Porsche 917 .
    -C'est commode pour faire les courses le samedi.
    -Vous avez raison je vais accrocher la remorque.
    -Cher Walter enlevez-moi d'un doute, vous plaisantez.
    Il ne plaisantait pas.
    <o:p> </o:p>Nous primes la route du bord de mer :
    -Elle marche bien ce matin, il y a juste assez d'humidité, elle aime ça.
    Pour ma part je surveillais la remorque bâché dans le rétroviseur mais tout vibrait et tremblait tant que j'avais du mal à en suivre toutes les évolutions, je regardais le tachymètre et fus rassuré il indiquait seulement 120...
    -C'est l'exemplaire n° 11, je l'ai fait venir spécialement des Etats-Unis.
    ... 120... miles per hour! Je fis une rapide conversion et tentais de boucler fébrilement ce qui me semblait être une ceinture de sécurité et se révéla n'être à mon grand désespoir que les manches d'une combinaison de mécano négligent.
    -Attention les gen...daaaaaaaaaaarmes!
    Nous passâmes si vite que nous les oubliâmes tout de suite mais point eux et deux preux se lancèrent derechef à notre poursuite.
    -Ils ne vont quand même pas nous tirer dessus  ces corniauds-là!
    -Mais ils auraient le droit et seraient fondés à le faire, je ne sais pas si vous vous rendez compte mais c'est... c'est infiniment grave dans un périmètre d'espace naturel plafonné (P.E.N.P) et un lendemain de dépassement de seuil dépollutoire préventif (D.S.D.P) la vitesse est limitée à 27,57 kilomètres heures... et nous... nous voguons à des 275 kilomètres à l'heure.
    J'avais envie de pleurer, dans quoi m'étais-je embarqué ? Ma carrière était fichue ! Letroncheur et la presse locale allaient s'en donner à cœur joie !
    <o:p> </o:p>   Ils nous rattrapèrent seulement sur le parking de l'hypermarché Edouard Letrouble, pendant que Walter Chéchignac peaufinait son créneau je me cherchais une issue de secours ? Mais quoix ? Peut-être me mettre à la disposition des autorités et le dénoncer d'entrée comme ennemi du peuple, il n'avait pas la tête d'un qui fait son devoir citoyen et met la tête dans le sac  trois fois la semaine pour trier ses poubelles; ou bien alors tout de suite me déshonorer en leur proposant quelques pratiques autrefois tenues pour déshonnêtes mais maintenant et je le dis avec force, heureusement admises et même hautement recommandées.
    -Gendarmerie nationale, sortez de là tous les deux !
    Ils étaient très décidés, convaincus du caractère sacramentel de leur mission sur terre, les nouveaux templiers: l'extermination du pèlerin contrevenant pourtant quand le premier arrivé mit le casque à la fenêtre il eut un geste étonnant et comme par réflexe se mit le bras devant le visage en disant :
    -Vous...  c'est vous... encore... Brigadier c'est lui... c'est le...
    Le brigadier qui n'était déjà pas content de faire second, le fut encore moins en découvrant le ci-devant :
    -Faîtes escuse mon... mon excellence mais c'était rapport à la remorque bâchée que les collègues qui z'étaient planqués au tournant de la Viradelle se sont mangés dans la tronche ce tantôt...
    -Vous direz brigadier à vos petits camarades que c'est très vilain de se cacher, cela dénote une nature sournoise et trompeuse. Bonne après-midi messieurs. Vous venez La Gaspèrine.
    J'avais réussi à ramper jusques aux caddies et sans trop rien perdre de dignité, je me redressais.
    Tandis que les deux pandores bafoués retentissaient encore derrière nous  de mille imprécations :
    -... tire pas Jean-Luc ou qu'on va avoir la guerre !
    Walter Chéchignac me prit par l'épaule, une manie :
    -Que voulez-vous dans les moments d'égarements la France a toujours chié du képi et du règlement! Aussi et c'est la troisième raison de mon attachement à Las Islas Bravados y Perditas mon cher La Gaspèrine, mon appartenance au corps diplomatique me permet de me garder loin de toute cette fliquerie surnuméraire de moralistes-serre-files, psycho-vopos, hygiénistes compulsifs et autres eschatologistes  du dimanche !
    -La vie en société exige des lois.
    -Et la vie en cage: des règlements, je sais. Pour résumer: d'être devenu à moitié étranger me permet, comme disent nos ennemis  anglais: de me montrer  tout à fait « gallic » et de rosser le gendarme et  me noircir en conscience quand bon me semble. Venez restons pas là !
    De fait derrière nous le plus imbécile dans le grade le moins élevé des deux gendarmes, mal maîtrisé par son chef, avait commencé de tirer en l'air et de sommer les ‘sommateurs pousseurs de caddies.
    -Je vais demander à notre maréchal président candidat à vie d'élever une protestation auprès du Quai d'Orsay. S'ils veulent la guerre ils l'auront et c'est pas sûr qu'ils la gagnent ces cons-là !
    -Le Maréchal-Président a sûrement un excellent ministre de la Défense Nationale? Ricanais-je patriotiquement.   
    -Qué défense? Vous savez là-bas c'est tout pour l'attaque... Mais trêve de géopolitique nous sommes en mission, aux grattons Spontex, mon cher, aux grattons !
    <o:p> </o:p>Etait-ce sous l'influence des événements de la nuit et de la matinée, moi qui détestait les foules, je me retrouvais poussant un chariot d'hypermarché, mais éveillé et alerte, attentif tel un chasseur un jour d'ouverture, Walter Chéchignac remplissait mon chariot avec tout et n'importe quoi, lui aussi avait les sens aiguisés, il était incontestablement beaucoup plus animal que moi. Il me raconta qu'il avait beaucoup voyagé au temps de sa jeunesse, avec toujours une dilection particulière pour les banlieues et les quartiers périphériques :
    -Je pourrais faire un guide mondial des banlieues anonymes et des terrains vagues ...
     Et ajoutait-il, la première chose qu'il faisait partout où il arrivait c'était de visiter la supérette du quartier et de s'en  allait draguer la ménagère.
    -... oui longtemps j'ai vécu d'adultères indigènes et de gaufrettes belges. Dit-il en essuyant une larme tout en nous rechargeant largement en spécialités liégeoises... Mais assez parlé de moi. Mon cher La Gaspérine, alors heureux, vos électeurs ? Ils vous plaisent ?
    -Euh... teuh... beuh...
    La vérité était que je les détestais déjà, rien que d'imaginer les vins d'honneurs, les inaugurations de crèches, le match de foot du dimanche après-midi, les dépôts de gerbes et le bal des pompiers j'avais envie de pleurer, de toutes les façons je ne me sentais bien qu'à Paris et méprisais la province soumise et reconduite, et tout son pittoresque, et tout son mijoté, j'étais né pour la modernitude pas pour exercer mon droit de cuissage sur la 53° Miss La Conche sur Ponche.
    J'eus un soudain haut le cœur devant mon avenir peu ragoûtant et je vomis dans les petits beurres nantais.
    -Oui, je vois, on peut même parler de vocation. Tenez essuyez-vous.
    J'obéissais, je me mouchais aussi et quand je relevais les yeux ce fut pour découvrir le chef ‘von le Gueuzec qui trônait assis sur les paquets de farine.
    -Qu'est-ce qu'il a il est malade ? Demanda-t-il à « son petit Valter ».
    -Déception amoureuse. Alors chef votre filature s'est-elle bien passée?
    -Bien, très bien j'ai vendu tout mes ballons et les photos sont impeccables... mais... ah mon petit Valter...
    Le chef ‘von le Gueuzec tenta de se lever, y réussit enfin, fit trois pas et s'abattit dans les bras de Walter Chéchignac :
    -Ah mon petit Valter si vous saviez ce qui m'arrive... mes femmes... mes femmes sont mortes ! (à suivre...)
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  • 3.
    Le 10/18
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>C'était en bord de nationale, un bâtiment de style psychédélique tardif, années soixante-dix, le 10/18, qui tenait de la boîte à partouze de chef-lieu et du patronage d'arrondissement. Au bar, presque seul, plus que seul, un très grand type d'une soixantaine d'années en sombre et en veston démodé à petits revers, l'on aurait dit un croque-mort, un membre décédé de l'Institut, ou un sauveur de patrie en costume de ville, n'importe quoi d'encombrant, de  passé, de révolu, macromégale pesant, plein d'os surnuméraires, très belle figure du paléolithique, il n'était point difficile de deviner que cet animal-là braquait mal en ville et chauffait dans les embouteillages de conscience.
    -Il vous rappelle quelqu'un s'pas ? Si je vous dis qu'il est natif de Bayeux. Cherchez pas c'est le fils naturel d'un général très connu dans les années soixante. Comment est-ce déjà... mais si un type qui a fait une gentille carrière dans la chansonnette patriotarde, le genre cosmique troupier, un qui levait les bras comme personne... le genre calamité agricole... ah zut j'ai tous ses disques à la maison... quand je vous dirai le nom...
    -Noooon ! Non ne le dîtes pas !
    Je transpirai soudain devant l'énormité de la révélation, comme nombre de mes compatriotes, j'avais fait le pèlerinage à Pigeonney les deux Gogues et visité la grotte miraculeuse:
    Je murmurais :
    -Vous voulez dire... le général de...
    -C'est cela mâme ! D'ailleurs ici pour tout le monde c'est Gaullichon et pour les intimes seulement, dont je m'honore d'être, c'est le Chef ‘von le Gueuzec.
    Le fils de grand homme se faisait manipuler à main lasse par une camarade qui n'était guère de plus de deux promotions avant lui.
    Cela sentait la sueur et le linge de corps, la chaussette et le Mir vaisselle.
    -Ce n'est pas un établissement que je vous recommande mais c'est ici que le chef ‘von le Gueuzec a ses habitudes. Votre moustache, elle se décolle...
    Sur mon insistance il m'avait prêté une moustache d'estivant pour passer incognito:
    -Essayez de faire bonne impression à Tintin.
    -Qui est Tintin ?
    -Le chef du bureau local des R.G ?
    -Il est ici ?
    -C'est le barman en string bedonnant qui est tout occupé à sa vaisselle de verres. C'est quoi ça ? Ajouta-t-il en désignant mon revers.
    -Les arts et lettres. Je suis encore jeune mais j'attends le...
    -J'essaierai de vous avoir un grand cordon de Los Conchidores de las Islas Bravados y Perditas, c'est rouge et très décoratif avec un petit haut tout simple ça impressionne dans les cocktails dînatoires.
    -On m'a dit que le mérite agricole était bienvenue dans les circonscriptions rurales...
    -Sans doute mais pour ça il faut intriguer et ce n'est pas notre genre n'est-ce pas... Mes respects chef .
    -Tiens Valter quel bon vent...
    Il parlait avec une autorité affectée et clapeuse de membre (sans doute encombrant) de l'institut et une voix tellurique, souterraine, vibrante et résonnante.
    -La douce brise du matin...
    -Il est si  tard.
    -Pas loin de six heures.
    -Ouh là là, je dois voir notre correspondant à La Ponche et j'ai une filature du côté de Petrose-Duirec... tiens merci mon enfant te fatigue pas va ça viendra plus maintenant.
    Il glissa un bifton dans le sous-tif de la dame méritante et artiste qui soulagée, s'en alla soigner en coulisses sa tendinite et répétait sa liste des courses pour le marché.
    -Il se fait tôt ! Gueula de sa voix de baryton martin le chef ‘von le Gueuzec.
    -Je vous raccompagne Chef ? Proposa Chéchignac.
    -Tu es gentil Valter mais j'ai la camionnette dehors. Adieu Tintin.
    -A ce soir Chef.
    <o:p> </o:p>Sa camionnette de fonction l'attendait, splendide véhicule d'un modèle utilitaire et périmé, laqué de noir, qui annonçait en gros sur les flancs en belles anglaises dorées :
    <o:p> </o:p>Dartemont Soeurs
    Enquêtes privées et commerciales. Filatures.
    Maison de confiance . Fondée en 1856.
    12, coin Maurin,12
    La Marinière - La Conche sur Ponche.
    <o:p> </o:p>-C'est avec ça que vous faîtes vos filatures ? Demandais-je stupéfait par cette démonstration un peu trop évidente de candeur provinciale.
    -Béh dame elle est toute équipée. J'ai même la stéréo et la glacière.
    -Mais vous ne craignez pas de vous faire repérer. Ajoutais-je avec cet air de supériorité ricanante, vérole de conscrit que j'avais contractée dans certains établissements supérieurs autant que  parisiens, que mes électeurs me reprocheront toujours et dont je conserverai des séquelles toute ma vie, la clinique est définitive là dessus.
    -Ba-ba-ba ! Les gens ne font plus attention à rien, ils sont bien trop occupés à leurs petites affaires, toutes les saloperies et les lâchetés, les égoïsmes mijotés qu'ils ont en cours.
    Pour ma part je suis franc, j'annonce la couleur, je ne me cache pas plus que nécessaire.
    -Quand cela s'avère « nécessaire » le chef ‘von le Gueuzec sait être un véritable Frégolo.
    -Sur ce coup, tu vois mon petit Valter j'avais pensé à un petit ensemble de plage, mais pour me mettre en plagiste c'est encore un peu tôt en saison et puis je sors de grippe alors je vais vendre des ballons, multicolores, ça me payera toujours l'essence.
    Il avait ouvert la porte arrière et commença de gonfler des ballons. Chéchignac lui prit la roue, ne sachant quelle attitude adoptée, je fis comme eux et nous nous retrouvâmes, tous les trois en bord de départementale à gonfler des ballons multicolores de couleur rouge, il n'avait que ça en magasin.
    Le consul Chéchignac en profita quand même pour lui expliquer ma petite affaire.
    -Je vois, j'espère que tu n'as pas eu trop de dégâts chez toi mon petit Valter.
    Il commençait à m'agacer avec son petit Valter, ma situation était quand même plus préoccupante que la sienne, écœuré, j'arrêtais de gonfler, je manquais  décidément de souffle.
    Ils l'avaient remarqué.
    -Et forcément ce jeune homme s'inquiète pour son avenir. Ma foi avec Letroncheur en face il y a de quoi. Ce garçon n'a aucun principe moral seulement des principes électoraux.
    Malgré tout je l'imagine mal se lancer dans des dépenses somptuaires et puis je ne vois pas comment il pourrait justifier dans ses comptes de campagne le défraiement de deux tueurs boliviens à plein temps, surtout avec tout ce qu'ils ont pu s'envoyer comme mauvais champagne cette nuit au 10/18. Toute la réserve de mousseux de Tintin y est passée et à la suite celle de liquide vaisselle. Il te les a traités grand seigneur à cette heure ils doivent encore faire des bulles.
    -Vous les avez vus ?
    -Je les ai croisés au buffet de la gare, ils m'intriguaient ces pékins-là et je les ai suivis jusqu'ici... un peu par désœuvrement je l'avoue.
    -Et beaucoup par vocation. Et Tintin il est au courant ?
    -Mais mon petit Valter tu sais bien qu'il  n'est jamais au courant de rien pourquoi il travaille aux Renseignements Généraux pour pas avoir l'air trop con en ville et être un minimum rencardé sur la marche de son affaire. Si j'avais su qu'ils étaient venus chez toi pour faire du schproum, je te les aurais réglés quand ils ont rembarqué au train de 5 heures 17 pour Paris. Pour le reste j'ai noté leurs identités, j'ai demandé à une des filles de Tintin de me passer leurs passeports le temps nécessaire, je vais me renseigner et je te tiendrai au courant.
    Le Chef ‘von le Gueuzec serra la main de Walter Chéchignac, finit d'attacher ses ballons et repartit dans sa camionnette aux armes de Dartemont Sœurs. Il n'avait pas même songé à me saluer. (à suivre...)
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  • 2.
    La Maison du druide
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>J'avais insisté pour faire un brin de toilette chez eux avant de me présenter à mon comité d'accueil officiel.
    Ils y avaient consenti à regrets.
    Il fallut faire un détour le couple La Rincée habitait en dehors de la ville en plein marais salant.
    -Mon mari a abandonné le métier, trop fatigant et puis ça lui donnait soif ! Pour quoi il travaille en mairie.
    -Et il n'a plus soif ?
    -Si mais il a une prime. Y a plus que moi qui y travaille encore un peu aux bassins.
    Sous la lune et avec la blancheur du sel, ce paysage géométrique prenait des airs de confins.
    J'y mis les pieds, avançais mais le gros La Rincée me rattrapa  par le col après quelques mètres d'exploration.
    -N'allez pas par là vous allez vous casser la gueule !
    -Votre épouvantail... là-bas il est tombé
    Je désignais une forme quasi humaine recouverte de sel et en émergeant à demi, un bras levée haut au ciel.
    -C'est curieux je ne savais pas qu'il y avait le besoin d'épouvantail dans un marais salant ?
    -Béh... béh mais comment don' ! Mais... mais si comme de juste ! ‘Faut bien ça pour éloigner le volatile. Me confirma la Marie Bertalot accourue fort à propos à mon secours... La Rincée va t'occuper de... de l'épouvantail, qu'on risque de rentrer tard ce tantôt.
    -L'épouvantail ? Quel épouvantail !
    -Mais si là-bas ! Là-bas ! Bouges-toi don' !
    Il obéit l'énorme à son énergique moitié avec une lâcheté de fauve trop bien nourrie.
    -Bon ben maintenant que vous êtes nettoyé monsieur La Gaspérine  y faudrait p'us tarder on nous attend à la maison du druide !
    La maison du druide ? Curieuse destination.
    <o:p> </o:p>*
    <o:p> </o:p>-... et pourquoi l'appelle-t-on la maison du druide ?
    -Rapport à son père Le Grand Vate qui en était un.
    -De druide ?
    -Tout juste, une vedette, il travaillait dans le music-hall et puis il a épousé sur le tard une américaine, très jeune et très riche et il a fait construire ici face à l'océan rapport que c'était bon pour sa concentration cosmogonique. 
    -Et ce Walter Chéchignac est l'enfant de leur union.
    -Le père Chéchignac avait soixante-dix ans passés quand il l'a eu, faut dire aussi qu'il est mort centenaire quand à l'autre l'étrangère elle vit toujours à Nice.
    -Et le fils a hérité des dons de son père ?
    -Lui il est dans la diplomatie, il est consul de ch'ais pas quoi et d'ailleurs... pensez si ça lui laisse du temps ... et puis il fait des affaires... ah pour ça il est bien serviable mais c'est un malouin !
    -Un malouin ?
    -Comprendre : dans le temps il aurait vécu des nègres, maintenant va savoir ce qu'il trafique.
    Un malouin fils de mage  cela promettait.
    Je toussotai :
    -N'est-ce pas un peu compromettant que de m'aboucher avec...
    -Qui c'est qui vous a demandé de coucher avec... et puis c'est le seul au pays qui aye pas peur de Letroncheur et qui veuille bien de vous, alors c'est ça ou l'asile de nuit ! Précisa avec quelque hargne La Rincée.
    Dans quel pays étais-je don'tombé ? 
    Je me souvenais avec un peu de ressentiment de ce que m'avaient raconté Amédée de La Branlaye et Martial Medpeux le préposé aux sondages et aux études d'opinion :
    -Ce coin-là  y a plus qu'à démouler. Taux de chômage au dessus de la moyenne nationale : ça leur met la pression, terre de tradition pour l'alcoolisme et les processions :  obscurantisme et vision double. Dire s'ils croient aux apparitions et aux chiffres officiels de l'inflation ces cons-là ! Et avec ça ils ne jurent que par la pêche et l'élevage autant dire que si on leur coupe les droits à prîme et autres subventions  hasta la vista !
    J'avais rendez-vous avec eux chez ce Chéchignac j'allais leur parler du pays.
    <o:p> </o:p>Nous débarquâmes chez lui à la nuit. C'était une énorme bâtisse musculeuse, ramassée et tapie sur son promontoire de récifs, guettant la mer comme pour lui mordre l'échine ou lui sauter au cou, cela ressemblait plus à une retraite de... de malouin, précisément qu'à une loge de druide.  
    Le mauvais temps donnait dans le coin une représentation très véridique et l'on sentait dans ses fibres et sous ses pieds se déroulait l'acte vengeur.
    Une gouvernante sombre, duègne en grand deuil, dentelles dans les tons et bottes jaunes de pêcheur de crevettes vint nous ouvrir :
    -Bonjour Dona Chupita  je suis avec le monsieur pour monsieur Walter. Annonça la velue.
    Elle prit ses aises dans le grand hall années cinquante, déposant cirés et chapeaux sur les bergères de velours rouge .
    -Ils sont en bas au théâtre ils écopent. Nous annonça l'ouvreuse en m'éclairant le visage de sa torche.
    Le théâtre voilà bien que ce cette demeure rappelait, un théâtre, ou plutôt l'un de ces music-halls de quartier des années cinquante, opulents, nourris de staff et velours rouge.
    Le plus étonnant était que l'on s'y sentait fort bien tout de suite, oui chez soi ou plutôt comme en enfance.
    Il y avait le long des couloirs des affiches du Grand Vate Chéchignac: voyant, druide, extra-lucide et lanceur de couteaux : un programme à lui seul.
    Le théâtre était en dessous et taillé dans la roche, sans doute pourquoi il prenait l'eau, nous arrivâmes par la scène, quelques types en smoking mais  bottés de caoutchouc écopaient dans l'orchestre.
    -Bonjour Marie c'est gentil de venir nous voir, tu m'a amené ton homme ça tombe bien les chiottes ont explosés !
    La voix venait du trou du souffleur, et malgré la rampe allumée qui nous éblouissait je crus ressentir un regard.
    -Vous inquiétez pas Monsieur Walter on va voir ç'qu'on peut faire ! 
    La Rincée se mit au travail il se jeta même dedans les pieds joints pendant que Walter Chéchignac abandonnait l'immersion périscopique  et nous rejoignait sur la scène.
    Il fit la bise à la Marie Bertalot et me serra la main sans façon :
    -Bienvenue au pays monsieur La Gaspèrine, j'espère que vous vous plairez ici. Drôle d'inauguration mais enfin paraît-il que cela porte bonheur. Me dit-il en regardant mes escarpins de parachutiste mondain baignant dans une boue verdâtre et malodorante. 
    -C'est de la... ?
    -C'en est ? Et de la millésimée ! D'un coup tout est remonté en surface. Secousse tellurique ? Remuement océanique ? Je ne saurais dire. Dans tout les cas un véritable feu d'artifice. Il y a longtemps que j'aurais dû faire curer la fosse.Venez vos amis vous attendent on a presque fini de les dégager, les pauvres, j'avais préparé un petit récital de musique de chambre et en vous attendant je leur faisais visiter le théâtre en prévision de l'une   de vos prochaines réunions, ils ont voulu s'isoler un peu, ne vous inquiétez pas mais l'un des deux semble très choqué, c'est celui qui a actionné la chaîne.
    -... pouvais pas prévoir... chialait Martial Médpeux que j'eus quelque mal à reconnaître sous sa gangue qui le faisait ressembler à un Godzilla nourrisson et repentant.
    L'altiste s'occupait de lui enlever la croûte du bout de son archet tandis que la pianiste en robe du soir souquait ferme, que le chef d'orchestre dirigeait avec énergie l'andante terrassier et que le ténor officiant réclamait du papier sur l'air de « Gente, gente, all armi, all armi ! ». 
    Walter Chéchignac, que je ne vous ai point encore décrit, imaginez un bel homme d'une trente-huitaine d'années qui aurait l'air de se ficher perpétuellement du monde en se lissant la moustache, Walter Chéchignac donc, me prit par l'épaule, j'étais plus grand que lui, et il m'entraîna vers les loges.
    -Dîtes-moi cher monsieur La Gaspèrine quelqu'un de vos relations ou collègues vous en voudrait-il ?
    -Mais... mais non, je ne sais pas... ici personne ne me connaît.
    -Et à Paris ?
    Je me rebiffais :
    -Non. Bien entendu.
    -Bien entendu, bien entendu, nous savons que votre réputation est sans tâche.
    On aurait cru qu'il parlait à une chambrière qu'il venait d'engager dont il avait obtenu les meilleurs renseignements de son curé mais ... mais qu'il regrettait maintenant d'avoir choisie.
    Etait-ce donc lui qui m'avait choisi ? Ce... fils de mage de music-hall, ce...
    -A dire le vrai, mon cher La Gaspèrine il semblerait qu'il ne s'agit point là d'un accident.
    Ma colère céda devant ma stupéfaction :
    -Vous voulez dire... un attentat.
    -Précisément deux livres de Semtek d'appellation contrôlé carrées sous la dunette, heureusement la charge aura basculé dans toute cette masse accumulée depuis des années sauf à quoi la grande famille des cosmonautes compterait deux nouveaux membres.
    -Vous... vous croyez que Letroncheur s'amuserait à ça ?
    -Letroncheur... c'est un démagogue c'est à dire l'exact contraire d'un manuel mais enfin... pour ne pas laisser la question en suspens je vous proposerai d'aller rendre visite à l'un des amis de mon père qui s'est fait une spécialité de résoudre ce genre d'interrogations.
    -Vous voulez dire un... druide c'est ça ?
    -Par Dieu non, non un détective privé, vous verrez c'est une personne de qualité, un ancien garde républicain, vous dire si nous sommes en confiance. Enfin que tout cela ne nous empêche pas de bien manger et bien boire.
    Je n'avais pas beaucoup d'appétit je n'en ai jamais tellement eu, surtout devant de tels buffets pour retour de chasse de notables apoplectiques fin de siècle. Trois étages de charcutaille, de poulaille et de viandailles, augmentées de desserts  turgescents.
    -Comment peut-on encore manger à l'aube du XXI° siècle du cervelas vinaigrette ? Cela dépasse mon entendement.Dis-je à mon voisin de table le chef d'orchestre pondéreux qui n'était autre que le Maestro belge Adrian Van Der Meuh .
    -‘inaigrette? Pourquoi vous le préféreriez atomique ? Ah ! Ah !
    -Eh bien voyez, j'imaginais pas que dé travailler la mierda ça puisse aussi bien ouvrir l'appétit ! Remarqua le ténor, le grand Décato Vafanculi.
    J'insistais :
    -Mais vous maître pour l'exercice de votre art, vous ne pensez pas qu'une certaine discipline de vie est nécessaire.
    -Vous savez, moi, je braque mal dans les adagis, alors j'ai évité de m'en faire une spécialité et pour ce qui est de la discipline et de garder sa ligne je laisse ça aux bonnes sœurs et aux gigolis de palace à tout ceux qui se touchent et se gênent. 
    Walter Chéchignac me regardait, avec désolation et sans trop d'appétit.
    Martial Médpeu, toujours effondré, faisait des raies avec sa fourchette dans sa purée de marrons en répétant :
    -... ‘est pas moi... pouvais pas prévoir... tiré sur la chaîne...
    -Ah ça aussi ‘faudra vous y faire, ici c'est pas comme à Paris, on sait encore avoir faim ! Me fit humainement remarqué la velue en reprenant de la geline en croûte.        
    Tout ce petit monde serviable, corvéable et artiste faisait un sacré boucan, si bien que l'on n'entendait plus la vieille gueularde dehors, la mer non pas recommencée, mais maintenant radotante et bientôt baveuse et bavouillante.
    <o:p> </o:p>Il était quatre heures du matin quand « le récital d'Adieux  et d'hommage à notre hôte » commandé par Van Der Meuh commença sur la grande terrasse surplombant l'océan.
    La musique éveillait nos âmes, le calme emplissait nos sens, la salle était immense et la lumière d'un tact infini. Instant inéfragable.
    <o:p> </o:p>Nous nous quittâmes sur le pas de la porte, moi sur le même rang que notre hôte :
    -Un jour Port-Saïd, le lendemain Tourcoing... la vie d'artiste... Prophétisait tel un indicateur des chemins de fer Vafanculi en consultant son programme.
    -Ten v'là que ça me reprend ! Gueula Van Der Meuh. La faim et la tringlette.
    -Je me suis permis de vous faire préparer des paniers pour la route. Le rassura Chéchignac. Pour le reste cher maître je ne m'inquiète guère...
    -Vous avez raison sitôt arrivé à l'hôtel j'enfile mon assistante...
    -Vous oubliez Adrian qu'ils vous l'ont changé... c'est un jeune homme qui vous assiste maintenant, charmant au demeurant ! Lui fit remarquer la pianiste, Mademoiselle Br... polonaise au nom imprononçable.
    -Merde c'est pourtant vrai, m'ont foutu un jeune con à la place... bah à la guerre comme à la guerre, et puis c'est formateur ! Cela lui sera fort utile pour sa carrière.
    -Divino Walter murmura la grande cantatrice Margaretha Coucourbitowa en rentrant  profondément sa langue dans la bouche de Chéchignac qui n'en demandait pas tant.
    Sans être médisant il n'était pas difficile de deviner qu'ils ne se connaissaient pas seulement de la veille. Bref cela commençait à sentir furieusement le sexe, rien ne sent d'ailleurs plus le sexe que la musique d'orchestre, l'effort accompli en commun sans doute qui crée une familiarité d'athlète. Moi-même je bandouillais douillettement, pour ma part c'était cette Mademoiselle Br... pianiste déconcertante dont la simple contemplation de son dos nue, agissant, ondulant, expirant, souplement, m'avait troublé les sangs toute la soirée.
    Leur minibus fut enfin chargée, le piano à queue, les pattes en l'air sur la galerie et les artistes sagement sanglés à leur siége comme des mômes en colonie de vacances, c'était Van der Meuh qui conduisait, c'était toujours Van der Meuh qui conduisait et c'était comme ça depuis l'enfance nous assura-t-il avec quelque assurance.
    Il vérifia la tension des sandows, plongea la main dans le panier de victuailles puis dans la culotte de la pianiste, fit une drôle de moue en la retirant, se prit une claque et enfin pressé par l'horaire il démarra.
    <o:p> </o:p>Après avoir bien agité nos mouchoirs pour saluer leur départ, je me préparais à m'aller coucher à l'imitation de La Branlaye baillant, et de l'inconsolable Medpeu quand Walter Chéchignac me reprit par l'épaule, cela devenait décidément une habitude.
    -Bien puisque nous voilà en train, mon cher La Gaspèrine nous allons pouvoir rendre cette visite utile dont je vous entretenais tout à l'heure.
    -Vous voulez maintenant ?

    -Bah il n'est que cinq heures... nous avons bien le temps... (à suivre...)

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  • 1.
    vé.vé.vé.taartagle.com !
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Je fus parachuté sur La Conche sur Ponche au tout début du mois de Juin, de nuit bien entendu, l'on craignait une défense opiniâtre des ultimes défenseurs de la Section locale.
    J'atterris sur l'antenne du bistrot « Au Père Brouillard », glissais tout le long de la toiture, passais au travers de la véranda et pris place fort bruyamment sur une banquette de moleskine en bout de salle qui amortit éloquemment ma chute.
    Malgré le bruit, malgré l'explosion des vitres, et ma tenue hétéroclite, partie costume de ville, partie toile de parachute, harnais et cordages, les trois ivrognes de faction et le patron sentinelle admirable, sans doute grisé par le devoir inlassablement accompli au long des tournées, ne remarquèrent rien et civilement le Père Brouillard, qui méritait bien son nom, vint me servir:
    -C'est ben vous qui avez demandé un Saumur ?
    -Euh... oui tout à fait... articulai-je en retirant les bouts de verre de ma chevelure chauve, soit de mon cuir plus tellement chevelu.
    -Tiens le temps se couvre, commence à faire froid pour la saison. Météorisa le vieux père à point en contemplant sans l'apercevoir sa véranda crevé. Vous avez du jus de tomate sur vot' cravate.
    Il regagna son comptoir tandis que je tentais de remettre en marche mon poste émetteur.
    -Allô Charlie Bravo Tango champignons pommes  de terre appelle la base... sui' t'arrivé... heu' répète... sui't'arrivé...
    -... shrruuunnk... shruuuunnnk... où z'êtes vous Charlie patate...
    -‘tendez que je fasse le point... je vais vous donner ma position je répète... je vais...
    -Shruunk... Mais on s'en fout de ta position donne nous plutôt ton numéro de portable eh grosse truffe! shrruuunk... shruuunk...  
    De fait tout l'appareillage de cosmique troupier dont m'avait pourvu Amédée de la Branlaye, le chargé des circonscriptions au parti m'apparut soudain, hors de saison et superflu, je livrais à mon correspondant le numéro attendu et sortit mon téléphone portable, tout mon être aiguisé, aux aguets en ce pays hostile, quasi ennemi.
    Il ne se passa pas trois minutes avant que l'appareil ne sonnât et que ne surgissâssent devant moi trois cirés jaunes hilares.
    -Ah béh le v'là ce con dit le plus massif !
    Tandis qu'une militante velue se précipitait vers moi une mallette à croix-rouge de premiers secours à la main.
    -Ah j'ai bien fait de prendre la trousse à pharmacie... on était au rendez-vous, on a entendu l'avion mais quoi vous n'avez pas vu nos feux dans la clairière ?
    -Non le pilote n'était pas très aimable, il a dit qu'il ne voulait pas perdre son temps et je crois bien... mais je me souviens mal à cause de la chute... enfin oui il me semble qu'il m'a poussé dehors...
    -Il vous a jeté comme ça n'importe où ? Ah c'est bien des parisiens ça ! ‘tendez  ‘va' vous soigner... me rassura la velue.
    -Pu... pu... purquoi je suis blessé ?
    -Tiens don' regardez vous plutôt dans la glace là-bas, vous êtes pas beau à voir !
    Je me regardais, j'étais non seulement blessé mais ridicule, mon costume et ma cravate en haillons enroulé, emmailloté dans la toile du parachute comme en des langes de nouveau-né, mon attaché case pendant ouvert et répandu, le tout baignant dans ma sauce d'écorché.
    -Qu'est-ce y z'ont besoin de nous envoyer des parisiens ces cons-là ? C'était le massif armoricain qui avait tonné. Il semblait s'être spécialisé dans les réflexions de bon sens proférées sans hygiène de bouche à l'endroit des parisiens.
    Mais le bon sens provincial ne m'impressionnait pas plus que les odeurs corporelles.
    -Ecoutez-le pas il est un peu déçu parce que lui il en avait pour Letroncheur comme pas mal de chez nous. Il travaille à la mairie et dans le temps il lui faisait le chauffeur. Me susurra la tendre poilue qui me soignait et m'enveloppait de coton et de bandes velpeau.
    -Chère Madame...
    -Appelez-moi Marie... Marie Bertalot...
    -Chère Marie s'il me fallait écouter tous les imbéciles du pays je n'en finirais pas!
    -Je dis pas pour çui-ci vu que c'est mon mari, La Rincée qu'on l'appelle dans le pays, mais pour les autres il faudra, c'est un métier vous savez, pour ça Lulu y savait y faire.
    -Lulu, quel Lulu ?
    -Le Lucien Boitel... votre prédécesseur... quel dommage... son accident...
    Le sus-dit Boitel Lucien, représentant des (basses) côtes du nord s'était benoîtement estronché contre un calvaire en revenant d'une sauterie électorale. Belle mort laïque et républicaine face à la réaction cléricale la plus érective.
    Dans le parti auquel j'appartenais l'Union pour le Rassemblement, il était membre comme moi du courant majoritaire: le Cercons (Cercle Européen Républicain Consternant et Social), le bureau directeur ayant décidé de remplacer poste pour poste, après moult détours et retours l'investiture du Parti m'était revenue au grand désappointement du régional de l'étape et député le déjà nommé Jean-Pierre Letroncheur qui depuis ne décolérait pas et fomentait au su et au vu de tout le monde un coup de force contre ma candidature.
    -Venez maintenant on va vous évacuer vers un endroit sûr, il faut pas qu'on sache que vous êtes déjà en ville.  
    -Et pourquoi don' je vous prie ?
    -Rapport à ce que les types de la Section ont dit s'ils vous trouvaient z'en ville: y n'ont promis de vous enfermer dan' h'un casier à zomards et de s'en aller vous mouiller au large ! Précisa en rigolant le gros va de la gueule dit La Rincée.
    Se rincer il savait faire c'était se laver qu'il ne savait pas.
    -Z'alors partons mon cher!
    N'ayant aucune envie de prendre la mer par un temps pareil je me ralliais à la proposition d'un repli tactique sur des bases que j'espérais préparées de longtemps à l'avance... (à suivre) 
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