• Walter Chéchignac par H.T.Fumiganza

    9.
    Re-Les sœurs Dartemont.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>C'était visible qu'il la regrettait sa casemate de tir, son confessionnal à double oeilleton le Walter Chéchignac. Il regardait les nièces et sœurs Dartemont à la sournoise.
    Tout de suite l'église s'était remplie, c'est qu'il n'y avait pas que les sœurs Dartemont et leurs mômes, il y avait aussi deux maris supplétifs, à notre grand et viril désespoir. Deux maris marqués sur l'état des stocks, et qui ne demandaient sans doute pas tellement à être mis en ligne, le genre cadre supérieur bien formé, bien noté, intelligent, père de famille, officier de réserve mais qui raterait perpétuellement la dernière marche à cause de sa réserve et de sa famille, sans exotisme aucun donc, sans culpabilité prouvée non plus.
    Je pris sur moi, de les conduire à l'autel, soit devant les bières.
    -Et deux bières à suivre, deux ! Commenta Jean-Pierre en agitant son torchon.
    Je leur présentai la première ligne, les notables, dont le Chef ‘von le Gueuzec et monsieur le Consul  Général Walter Chéchignac, qui bredouilla, je n'invente rien, il était encore subjugué par l'apparition et ne vit pas même que l'un des petits garçons venait de lui visser sur son pantalon à hauteur de braguette un cornet de glace désaffecté qui lui faisait un nez de clown en partie basse.
    Et puis il y avait ce parfum dont m'avait parlé Walter, c'était vrai les sœurs Dartemont anciennes et modernes, vivantes et défuntes exhalaient un parfum d'inédit et de sensualité puissants.
    <o:p> </o:p>Nous passâmes au salon... pardon au cimetière, la chapelle des Dartemont avait encore belle allure avec ses deux fausses cheminées et ses fenêtres en dentelles, transatlantique haut sur l'océan même si la gîte, arthrite des vieux paquebots, commençait de se faire sentir.
    Le plus surprenant était sur les inscriptions l'absence complète de prénoms masculins.
    -Etonnant le nombre de génération de sœurs Dartemont qui se sont succédées, elles vont toujours par paire, vous les avez comptées ? Demandai-je à Chéchignac qui s'en fichait bien.
    -Euh... pardon... les sœurs eh bien oui elles sont deux...
    Il fallut leur faire une place puisque maintenant, grâce aux talents botanisateurs de la gendarmerie, elles étaient à nouveau au complet. Le fossoyeur était à peu prés saoul, avec son aide qui partageait toutes ses convictions et rajoutait à l'occasion sa tournée personnelle, il essayait de mettre de l'ordre là-dedans, comme un quincaillier un jour d'inventaire, il cherchait dans les réserves, ressortait les invendus et renversa enfin l'un des plus vieux cercueils qui tel une bûche sèche se fendit en deux par le milieu, laissant voir une morte de 146 printemps en dentelles désuète quoique encore parfaitement conformée de chair et dégageant ce même parfum affolant.
    <o:p> </o:p>*
     
    Nous nous retrouvâmes tous au 12, coin Maurin, dans l'immeuble de l'agence Dartemont Soeurs où Maître Jeanneton devait procéder à l'ouverture du testament, n'y étant point convié, à la différence du Chef ‘von le Gueuzec et de Walter Chéchignac, je patientais en visitant les bureaux de Dartemont Sœurs.
    Cela respirait l'humidité, la province bien conduite et le grand siècle... de l'industrie. Rien n'avait sans doute beaucoup changé depuis l'ouverture, 150 ans auparavant, ah si, on avait installé l'automatique à cadran et l'éclairage électrique par lampes à incandescence.
    Surtout, et c'était pour moi une grande tentation, ici l'on pouvait se perdre, trouver l'anonymat, ne plus être familier de quiconque hors de soi, et vivre, et l'âge vous recouvrait comme la neige borde et pardonne le voyageur égaré.
    Les mômes avaient déjà pris possession de l'immeuble, ils montaient et descendaient les étages criards et vengeurs.
    Les maris étaient tricards comme moi et n'avaient pas été invités au tirage.
    Je me rapprochais du cruciverbiste. Il faisait des mots croisés en gilet de laine, et soignait à l'occasion, avec une abnégation admirable et sans discrimination aucune les avaries de genoux, les plaies d'âme et les écorchures diverses de toute la progéniture Dartemont mêlée.
    -Jean-Marie La Gaspèrine.
    -Marcel Belcourt.
    Il était charmant, ingénieur chimiste de vocation, il travaillait chez Proctel & Gambler, division armement ménager, à la mise au point de lessives neutroniques et de défoliants de surfaces de nouvelles générations.
    J'en appris très vite assez sur le sujet pour faire le vœu solennel de ne plus laver mon slip qu'à la main et au savon de Marseille.
    -Dîtes-moi Marcel vous croyez que vous pourriez trouver la cuisine, j'ai besoin d'un bon café.
    C'était l'autre gardien titulaire des sœurs Dartemont qui venait de couper court à notre conversation.
    -Jean-Marie La Gaspérine.
    -Hulme de Chambeulac très heureux.
    -Je vais vous conduire à la cuisine, si vous voulez.
    Je n'avais bien entendu pas la moindre idée d'où elle se trouvait mais cela ne l'empêcha pas de me suivre fidèlement de la cave au grenier, avec retour en rappel par la terrasse.
    -... je voulais vous montrer l'océan.
    -Difficile de passer à côté ici, non.
    C'est vrai il était agaçant mais j'imaginais qu'à Paris je l'aurais jugé très fréquentable et peut-être même utile.
    -... La Gaspérine... vous êtes parent avec l'écrivaine ?
    -C'est ma mère.
    -Mais alors vous êtes le fils du Président Régis Cardemeule ?
    Il connaissait les classiques du répertoire... d'adresses parisiennes.
    -Eh oui. 
    -Ah bon et qu'est-ce que vous fichez don' ici ? Vacances ?
    -Etudes plutôt ne le répétez pas mais je prépare ma campagne électorale, je me présente à la municipalité.
    -Ma foi pourquoi pas, l'électeur doit bien venir dans le coin.
    -Comme partout il y faut des soins et de l'arrosage.
    Il rit sur deux temps, tourna le dos à l'océan et trouva en trois pas la cuisine introuvable.
    <o:p> </o:p>Sa conversation était tous comptes faits bien moins enrichissante que celle du parfait petit chimiste, c'était un parisien comme j'en avais tant connus, avocat d'affaire, prétentiard, salonnard, un pue la laque mondain, une parfaite utilité, qui raccrochait son wagon dés qu'on le sifflait et faisait le petit train, l'omnibus sur les voies secondaires des affaires et de la politique.
    Après tout je faisais partie comme lui et au même étage de la domesticité de la République, mais moi j'avais de réelles espérances alors que lui n'avait plus que de doux espoirs. 
    <o:p> </o:p>Enfin Walter Chéchignac  sortit du bureau et il m'entraîna par le bras vers les doublevécés, tout allait par paire ici, je l'ai dit.
    Il nous y enferma, tira la chasse d'eau et s'ouvrit à moi :
    -Elles sont givrées, les frangines, elles veulent reprendre l'agence de leurs grandes tantes...
    -Et vous n'êtes pas satisfait ? Je croyais que vous en teniez plutôt pour la tradition et tout ce genre de choses ?
    -Mais enfin mon petit vieux, elles n'y connaissent rien, elles sont... charmantes certes, mais vous voyez deux mères de famille dirigeant une... une agence de détectives privés !
    -Je vous étonnerai, mais je n'ai pas trop de mal à l'imaginer. Une affaire provinciale, les histoires de cocu et de comptable félon, cela s'apprend vite non ?
    -Il est bien question de cela, il n'y a pas que cela, Dartemont Sœurs c'est... enfin c'est une très vieille maison familiale avec un réseau de correspondants de confiance souvent reconduits de père en fils, je vous ai dit que j'avais des intérêts dans l'affaire, ces demoiselles étaient les héritières d'une certaine tradition française de discrétion et d'accommodement bref elles savaient se rendre utiles et sortir quand c'était nécessaire de ce tout-venant de façade, vous me comprenez La Gaspérine ?
    A dire vrai non, je ne le devinais pas mâme, je risquais un :
    -Vous voulez dire que c'était des putes ?
    -Il n'a rien compris ! Encore qu'à l'occasion... mais ce n'est pas là la question: je veux dire que l'on pouvait leur confier sans crainte certaines affaires plus importantes ou délicates que la chasse au VRP suborneur de bourgeoises.
    -Ah oui, mais... mais le Chef ‘von le Gueuzec qu'en dit-il ?
    -Elles lui ont proposé de rester et même de lui voter une augmentation.
    -Et alors ?
    -Il a refusé l'augmentation mais accepté de rester quelque temps pour... « pour les mettre au courant »... ‘manquerait plus que ça !
    Là j'avais compris et je jetais triomphant toute ma mise sur la table :
    -Au courant de vos affaires malouines cher Valter ? 
    Walter Chéchignac se redressa, tapota mon épaule à la manière d'un cavalier faisant ses Adieux à son cheval tombé, me balança un regard hirsute et décloué comme un juron de sorcière, recula de trois pas, écarta le pan de son veston ... et j'eus soudain très peur.
    -Mais... mais... mais... tout ça ne me concerne pas bien sûr !
    Il renonça, aussi vite, je ne sais à quoi et souhaite ne jamais l'apprendre, il me sourit et revint à lui et vers moi :
    -Vous en êtes bien sûr, à la sortie de l'école, vous avez bien été en poste en Afrique à la Banque d'Investissement Concussionnaire de l'Est Africain...  B.I.C.E.A  pour les intimes ?
    -Oui, oui sans doute... mais je vous avouerai que durant ces trois années je n'ai trop rien compris à ce que je faisais là-bas et ce qu'était mon emploi... et s'il avait mâme une quelconque utilité...
    -Et bien un jour, si vous avez le temps je vous expliquerai combien vous avez été utile.
    Je venais de comprendre que le consul d'opérette était un véritable diplomate et sans doute même autre chose de plus...   discret et contaminant. (à suivre...)
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