• Walter Chéchignac 5 par H.T.Fumiganza

    5.
    Le veuf double.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Si je comprenais un jour quelque chose à ces gens-là !
    J'étais habitué au règne parisien, celui d'un ogre devenu podagre et végétarien, mais où, parce que l'on mettait de l'hygiène en tout et jusque dans les sentiments et les sourires d'enfant, les monstres tels que j'étais pouvaient se croire les gendres abusifs de ce vieux cannibale. Là-haut on me tolérait j'étais de la famille, innombrable et grotesque, comme cent-mille autres, ici je pouvais devenir quelqu'un : l'étranger ou  l'homme de trop. 
    Mais revenons-en au chef ‘von le Gueuzec, les fesses dans la farine et le regard sur la ligne bleu des caisses, il vient de nous faire l'annonce d'une bien triste nouvelle : la disparition subite et concomitante de « ses femmes ».
    -Vos femmes m'émeus-je ?
    -Le chef ‘von le Gueuzec a épousé puis divorcé successivement des deux sœurs Dartemont...
    -Ah oui... ah ça deux belles emmerdeuses mais quand même... cela fait un choc.
    -Je vous expliquerai... me rassura Walter Chéchignac en le rejoignant sur la butte aux farines.
    -... après Petros-Duirec je suis passé au bureau, la secrétaire mademoiselle Mauve n'était pas là, non plus que ces dames... le téléphone sonne... c'était la gendarmerie de La Ponche qui demandait un parent de Geneviève et Marie-Aude Dartemont pour... pour venir reconnaître les corps !
    Le Chef ‘von le Gueuzec s'était effondré dans les bras de Chéchignac mais il tentait comme devant la vague, le marin, de se redresser et de faire face :
    -... ils... ils étaient au passage à niveau devant le garage Renault, tu vois... ces dames voulaient changer leur vieille Renault 4 mais bon ça ne pressait pas n'est-ce pas, une lubie de Marie-Aude, le vendeur leur a proposé de faire un essai de sa dernière nouveauté... et je suis bien sûr que c'était encore Geneviève qui conduisait... il faut y aller... mon petit Valter... il faut y aller... ‘doit pas faire attendre les collègues... z'ont du travail...
    Il n'était pas difficile de deviner qu'il commençait à débloquer l'ex-garde républicain.
    -Je vais m'y rendre avec monsieur La Gaspérine...
    Ben tiens don'comme si je n'avais que ça à faire ! Et ma campagne électorale alors, et mon étude de terrain, tout le monde s'en foutait bien !
    -... ne vous inquiétez de rien chef, nous allons vous raccompagner et Dona Chupita s'occupera de vous...
    -La vieille là... bof... elle me fait un peu peur... t'as pas autre chose ?
    -Voulez-vous que je téléphone au 10/18 et que je leur demande de faire venir deux infirmières...
    -Des vraies, des diplômées avec leurs blouses blanches, qu'elles oublient pas leur blouse blanche... et puis leur thermomètre je crois que je fais un peu de fièvre.
    On le raccompagna jusque chez Walter, on le coucha dans la meilleure chambre, en le laissant aux bons soins de Dona Chupita qui lui en fourra un de thermomètre dans l'oigne en guise de bienvenue et de sanctification, un gros de jardin, même pas lubrifié.
    Walter Chéchignac téléphona au 10/18, pendant que Martial Médpeu et La Branlaye en pyjama, pas rasés ni lavés, venaient aux nouvelles.
    -Salut La Gaspèrine... bon on s'y met à l'étude de terrain ?
    Ils commençaient à m'emmerder ces deux-là, pour ce qu'ils m'étaient utiles !
    J'allais les engueuler quand les six infirmières (c'était pour un ami dans la peine, aussi Chéchignac avait-il vu large et prévu une équipe de nuit et une de jour) de chez Tintin débarquèrent, La Branlaye et Cyril Médpeu les suivirent chez le veuf double ou plus exactement ils leur prirent le train :
    -... bon pour l'étude de terrain on a bien le temps ‘pas La Gaspérine ?
    <o:p> </o:p>*
    <o:p> </o:p>Pendant le voyage, que nous fîmes dans une américaine interminable, sombre et blindée, Walter Chéchignac me donna quelque explication sur la situation conjugale de son ami  et me fit le tragique épitomé de son existence.
    Yvon le Gueuzec était entré fort jeune dans la Garde Républicaine, corps d'élite, que le monde entier nous envie, il y fit une carrière des plus honorables, jusqu'au jour où étant de faction avec quelques uns de ses collègues dans la cour d'honneur de l'Elysée il fut appelé à rendre les honneurs à ses altesses le roi et la reine de Suède.
    D'une grande tempérance jusque là dans le service, il s'étaient commis quelques trois quart d'heure auparavant dans un débit de boisson en compagnie de trois joyeux compagnons, barbeaux notoires, natifs de l'île de beauté, les ayant prévenu que les devoirs de sa charge l'allaient forcer de les quitter bientôt pour rendre l'hommage méritée de la France à ces altesses en transit, l'un d'entre eux s'exclama:
    « Le Bernadotte c'est qu'un traître, il a trahi l'empereur tu vas pas rendre les honneurs à cette canaille ! Tiens le ‘von reprends un Casa  ! Patron remettez-nous ça ! »
    <o:p> </o:p>Aussi bien quand ces majestés septentrionales se présentèrent au Palais présidentiel, au « Présentez armes ! » retentissant dans la cour pavée le Chef ‘von le Gueuzec, dit le ‘von, la tête encore chaude des mise en garde insulaires, sortit son imposant goupillon tumescent et gueula : Vive l'empereur !
    Attitude et propos qui quoi qu'ils fissent retentir l'honneur et la virilité du nom français eurent les plus néfastes effets sur son avancement, ainsi que sur les relations bilatérales franco-suédoises et même par la suite suédo-françaises, on l'imagine sans peine.
    Chassé de la garde il s'exila en province où pour subvenir à ses modestes besoins il mit en pratique sa formation de gendarme et embaucha un matin d'octobre comme Enquêteur Privé Hautement Qualifié (E.P.H.Q niveau 3) dans l'agence des sœurs Dartemont.
    Cette existence toute romantique, qui n'excluait pas le versement d'un treizième mois ainsi que les paniers-repas prévus selon les termes de la convention collective, se continua telle qu'elle avait commencé aux accents de la tragédie de boulevard et de la caleçonnade de répertoire, il séduisit l'aîné des sœurs Dartemont, l'homme avait du charme, de la prestance, une belle moustache et de la conversation, il en avait même une bonne longueur. Il l'épousa. Geneviève Dartemont était fascinante comme souvent les emmerdeuses. Après cinq ans il en divorça, par esprit de suite sans doute il se remaria avec Marie-Aude, juste un poil moins fascinante, comme dans la légion il en reprit pour cinq ans, re-divorça après quoi il entama l'océan par sa plus grande largeur se fit second-mousse sur un terre-neuvas, « soutier-adjoint sur un schooner chilien » qui tenait plus de l'exercice de prononciation que du bâtiment de commerce et puis il leur revint, sa vocation de chien de sang, cela ne l'empêchait pas « de les tringler à l'occasion mais en toute indépendance d'esprit. »           
    <o:p> </o:p>L'américaine filait sensiblement aussi vite que l'allemande, il faut dire qu'elle n'avait pas de remorque elle, le plus difficile était de l'arrêter, dame on n'arrête pas quatre tonnes et demi d'un claquement de doigts et Walter Chéchignac ne put éviter le fourgon de gendarmerie qui stationnait devant le passage à niveau.
    Manque de chance,  c'était les mêmes gendarmes que ce matin, ils avaient seulement beaucoup vieillis entre-temps.
    Walter Chéchignac avait opté pour le grand deuil de parade et ma foi avec son chapeau taupé, ses lunettes d'armateur grec, sa moustache cirée, sa canne et ses décorations de Noël il ressemblait assez à son Excellencia el Consoul Rrrénéral de las Islas Bravados y Perditas.
    Et malgré l'affliction dans quoi les plongeait la perte de leur fourgon préféré les gendarmes cette fois ne se permirent aucune remarque déplacée à notre endroit, on a beau dire mais l'uniforme civil ça impressionne encore le militaire.
    -Bonjour brigadier vous connaissez les circonstances de l'accident ?
    -Ces dames sont venues pour expliquer que leur véhicule Renault 4 immatriculée...
    -A l'essentiel, brigadier, à l'essentiel...
    -Bref leur R4 calait tout le temps alors le vendeur a voulu leur faire une démonstration de sa dernière nouveauté et... et il a calé sur la voie...
    -Où sont les corps ?
    -On les a remisés dans le hall de livraison de la concession Renault.
    Il y avait déjà une cellule de soutien psychologique auprès des voyageurs de la micheline, qui n'étaient pas blessés, qui n'avaient rien vu mais qui auraient bien voulu se faire rembourser leur ticson rapport au vécu traumatique et tout ça...
    <o:p> </o:p>Nous allâmes nous recueillir devant les dépouilles.
    -... manquent le buste de l'une et les jambes de l'autre lui expliqua à voix basse le brigadier alors vu qu'elles étaient jumelles on s'est pensé que comme ça ce serait plus présentable si on les rassemblait.
    -Excellente initiative brigadier. Et ça qu'est-ce que c'est ?
    -C'est le vendeur de la concession.
    Je soulevais le drap aux couleurs de la marque qu'il avait servi jusqu'au bout:
    Il y avait encore sur ses traits l'effroi de celui qui vient de manquer une vente.
    Emu Walter Chéchignac lui remit sur le champ l'étoile de vermeil de Fils de la Chasse Prolétarienne, le fameux Hijo de Puta avec supplément couchette  tandis qu'il élevait devant le front des troupes, soit en tonnes d'équivalents pétrole (TEP): une micheline pleine de cons et tous ses accessoires: conducteurs, lanternes et gendarmes compris, les sœurs Dartemont à la dignité de Mère de la Révolution Posthume, le non moins retentissant : Madre de todos los otros cornardos.
    Dans la voiture qui nous ramenait chez lui, Walter Chéchignac me confia :
    -Quelle épreuve ! Vous ne pouvez pas comprendre vous n'êtes pas d'ici...
    -Merci de me le faire remarquer.
    -Ne vous fâchez pas vous verrez vous allez devenir un véritable Concho-ponchain...
    -Quel avenir flatteur vous me promettez !
    -Arrêtez de grincer La Gaspèrine vous m'agacez. Enfin merde si je vous dis que les sœurs Dartemont c'était quelque chose ici ! Vous avez vu à prés de soixante-dix ans elles n'étaient pas trop mal conservées ? Encore deux belles juments.
    -Hélas je ne les ai vues qu'à l'état de puzzle... incomplet...  difficile de se faire une idée, mon cher.
    -Eh bien moi je vous le dis, j'avais encore rencontré Geneviève Dartemont le mois dernier... et bon Dieu ce que ça sentait bon, et ce que ça remuait encore bien, ah ce qu'on a pu se branlotter dans notre jeune temps dans le confessionnal en les épiant pendant l'office, ce qu'elles réussissaient bien le regard baissé et le sourire pécheresse ces garces-là, de part et d'autre de leur dix-cors royal le grand ‘von Le Gueuzec qui même pendant la messe ne pouvait s'empêcher de leur malaxer les hémisphères, à la fin il fallait retenir ses places trois bonnes semaines à l'avance. Un jour on était tellement nombreux là-dedans qu'on a mis le confessionnal sur le toit. Vrai ! Ah bordel de merde ! Oui  de se souvenir de ça... et d'imaginer ce qu'on a vu ... il a bien fait de ne pas venir le veuf double.
    -Mais dîtes-moi mon cher Walter ce ne serait pas lui qui...
    -Lui qui quoi ? Lui qui conduisait la micheline... vous oubliez que le Chef ‘von le Gueuzec  n'hérite pas, il est deux fois divorcé, j'ai des parts dans l'affaire, je vais essayer de la reprendre en sous-main et de la lui confier sans quoi il est fichu de finir clochard. Et puis rien que leurs dossiers et archives, vous imaginez depuis 150 ans la nomenclature de toutes les pécoles et vérolés d'ici et des départements avoisinants. Avec ça vous avez une place de sénateur à vie retenue d'avance.
    -Vous êtes gentil cher ami mais je préfère la mériter.
    -Vous savez en politique, l'avancement au mérite, il me semble que si ça avait jamais existé on en aurait retrouvé des traces, des vestiges... à tout le moins un peu de vaisselle cassée, non vous croyez pas... cher ami ?  ( à suivre...)
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