• Walter Chéchignac 4 par H.T.Fumiganza

    4.
    La pêche à la fenêtre
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Nous rentrâmes par la vieille ville de La Conche, le vieux quartier si pittoresque de La Marinière en surplomb de l'océan.
    Je m'émerveillais devant toute cette architecture bancale et mal calculée, de colombages et de vieilles pierres :
    -La vieille ville a été fort bien restaurée. Fis-je remarquer à Walter Chéchignac qui fumait un énorme cigare bravadien, pensif et songeur, non sans doute plus pensif que songeur.
    -C'est votre futur prédécesseur qui s'est chargé de la réfection,  le Lucien Boitel, son côté opérette qui a pris le dessus. 
    -Cela aurait été dommage de perdre un tel ensemble, c'est magnifiquement bâti, c'est un torchis de paille avec juste ce qu'il faut de glaise   n'est-ce pas ? Dis-je en caressant un pan de mur.
    Walter Chéchignac me répondit avec quelque humeur :
    -Non c'est un torchis  de paille ! ... avec juste ce qu'il faut de merde!  Vous savez nos anciens faisaient avec ce qu'ils avaient sous la main, le pays Poncho-Conchain a toujours été un coin d'élevage et de gros chieurs, depuis la nuit des temps statistiques et même un peu avant, le conchois ou le ponchain chie 1/3 de plus que la moyenne nationale, on ne sait pas l'expliquer, la nourriture peut-être ou la proximité du troupeau ? Une manière d'émulation. Alors on a construit à merde d'homme et de bêtes.
    Quand il s'est agit de tout remettre en état Lucien Boitel s'est retrouvé dans son élément et suivant les recommandations de  l'architecte en chef des  Monuments Historiques il n'a voulu employer que des techniques traditionnelles, il a fallu former des jeunes mais heureusement il restait quelques vieux artisans conchois ici on les appelle avec quelque respect vous pouvez m'en croire: les chidru'c, enfin pour ce qui est de la matière première il a quand même fallu en faire venir de l'étranger, la production locale n'y suffisant pas...
    -Ah oui... ah bien... ah tiens... décidément cette nuit est toute entière placée sous le signe de ...
    -Bah il vaut mieux commencer là-dedans une carrière que de la terminer... ‘tention vos pieds !
    -Quoi... encore !
    -Mais non vous voyez pas les fils par terre.
    De fait dans le matin bégayant je distinguais une multitude de fils qui partant des fenêtres, traversaient les rues et s'en allaient pendouiller le long des falaises.
    -C'est la pêche à la fenêtre, autre spécialité du pays, antique tradition, un jour vers le 13 ° siècle par là, ils ont décidé de ne plus partir en mer, trop risqué, marre de ne plus pouvoir se consacrer à leurs veuves, ils avaient découverts qu'il y avait un courant chaud qui drainait le poiscaille vers les falaises, et ils se sont dits qu'après tout il suffisait de sortir les gaules, de dérouler du fil et d'être patient en s'occupant de leurs dames.
    -Et cela continue, après des siècles.
    -Vous n'entendez pas les clochettes quand ça mord ? Tenez écoutez...
    Je percevais une multitude d'essoufflements fornicateurs et de tintements s'évadant des pièces et j'aperçus des orteils tressautants, attachés aux fils de pêche et dépassant des bords des fenêtres ouvertes sur la nuit froide.
    -Il y a quand même de moins en moins de vocations, le poisson il faut le tirer quand il est ferré, il y a à enrouler, aussi il faut dormir la fenêtre ouvert même en hiver. Et puis les dames hein c'est plus ça... alors il y en a quelques uns qui parlent de reprendre la mer...  Enfin en attendant cela plaît aux touristes.  
    -Vous avez l'air de bien connaître le pays Concho-ponchain.
    -Des Chéchignac il y en a toujours eu ici, des qui lisaient dans les runes, des qui empilaient la bouse...
    -Pour cela que vous êtes partis dans les îles ?
    -Tout juste, comme chantait le poète : « ... sacrer d'autres cornards, véroler d'autres veuves... » mais le malheur à l'étranger c'est que l'on finit toujours par comprendre les paroles des chansons, j'ai un ami installateur de télés au Muséum d'histoire naturelle : Lévis-Cooper, enfin il est ethnologue mais il installe des télés chez les ultimes peuplades primitives de Papouasie, pour étude, il me raconte qu'il ne faut pas plus d'un mois pour qu'ils fichent leurs traditions millénaires au panier, mettent en l'air le grand sorcier et s'entre-engueulent pour savoir s'ils regardent les variétés sacrificielles de la une ou la messe footbalistique de la 4.   
    -Malgré tout en acceptant de représenter les intérêts des Islas Bravadas y Perditos...
    -Bravados y Perditas... d'abord ce n'est pas eux que je représente, ce sont eux qui représentent ma jeunesse, et puis j'ai une dette envers le peuple bravadien et leur estimé président.
    -Adamsen Pinocevic ! Mais c'est un horrible dictateur il me semble, un régime qui fait fi des droits de l'homme et de la démocratie.
    -Et quand bien même se les mettraient-ils carrément au train que cela ne les propulserait pas beaucoup plus loin mon cher.
    -Vous ne croyez donc en rien ?
    -Le vœu de monsieur mon père était de faire de moi le quatrième empereur des Gaules. J'y suis résolument engagé, vous pouvez m'en croire  mais en attendant... rassurez-vous la veille du sacre, je me ferai sans doute républicain.
    <o:p> </o:p>  Nous étions arrivés devant la maison du druide, Chéchignac ouvrit les portes du garage, il était dans les proportions du reste de l'habitation et rempli de véhicules à moteur antiques et modernes. Il extirpa de la cohue en la poussant une voiture très basse et très longue et la mit en marche avec une grande tige pneumatique qu'il lui fourra dans le fion, cela faisait un boucan du diable:
    -Venez il faut que j'aille aux commissions, Dona Chupita n'a plus de grattons Spontex...
    -C'est que j'avais pensé prendre une douche et me reposer un peu...
    -Vous en aurez bien le temps quand vous serez sénateur et puis vous allez faire connaissance comme ça avec vos futurs électeurs.
    -Je risque en tout cas de ne pas passer inaperçu là-dedans.
    -C'est la version civile de la Porsche 917 .
    -C'est commode pour faire les courses le samedi.
    -Vous avez raison je vais accrocher la remorque.
    -Cher Walter enlevez-moi d'un doute, vous plaisantez.
    Il ne plaisantait pas.
    <o:p> </o:p>Nous primes la route du bord de mer :
    -Elle marche bien ce matin, il y a juste assez d'humidité, elle aime ça.
    Pour ma part je surveillais la remorque bâché dans le rétroviseur mais tout vibrait et tremblait tant que j'avais du mal à en suivre toutes les évolutions, je regardais le tachymètre et fus rassuré il indiquait seulement 120...
    -C'est l'exemplaire n° 11, je l'ai fait venir spécialement des Etats-Unis.
    ... 120... miles per hour! Je fis une rapide conversion et tentais de boucler fébrilement ce qui me semblait être une ceinture de sécurité et se révéla n'être à mon grand désespoir que les manches d'une combinaison de mécano négligent.
    -Attention les gen...daaaaaaaaaaarmes!
    Nous passâmes si vite que nous les oubliâmes tout de suite mais point eux et deux preux se lancèrent derechef à notre poursuite.
    -Ils ne vont quand même pas nous tirer dessus  ces corniauds-là!
    -Mais ils auraient le droit et seraient fondés à le faire, je ne sais pas si vous vous rendez compte mais c'est... c'est infiniment grave dans un périmètre d'espace naturel plafonné (P.E.N.P) et un lendemain de dépassement de seuil dépollutoire préventif (D.S.D.P) la vitesse est limitée à 27,57 kilomètres heures... et nous... nous voguons à des 275 kilomètres à l'heure.
    J'avais envie de pleurer, dans quoi m'étais-je embarqué ? Ma carrière était fichue ! Letroncheur et la presse locale allaient s'en donner à cœur joie !
    <o:p> </o:p>   Ils nous rattrapèrent seulement sur le parking de l'hypermarché Edouard Letrouble, pendant que Walter Chéchignac peaufinait son créneau je me cherchais une issue de secours ? Mais quoix ? Peut-être me mettre à la disposition des autorités et le dénoncer d'entrée comme ennemi du peuple, il n'avait pas la tête d'un qui fait son devoir citoyen et met la tête dans le sac  trois fois la semaine pour trier ses poubelles; ou bien alors tout de suite me déshonorer en leur proposant quelques pratiques autrefois tenues pour déshonnêtes mais maintenant et je le dis avec force, heureusement admises et même hautement recommandées.
    -Gendarmerie nationale, sortez de là tous les deux !
    Ils étaient très décidés, convaincus du caractère sacramentel de leur mission sur terre, les nouveaux templiers: l'extermination du pèlerin contrevenant pourtant quand le premier arrivé mit le casque à la fenêtre il eut un geste étonnant et comme par réflexe se mit le bras devant le visage en disant :
    -Vous...  c'est vous... encore... Brigadier c'est lui... c'est le...
    Le brigadier qui n'était déjà pas content de faire second, le fut encore moins en découvrant le ci-devant :
    -Faîtes escuse mon... mon excellence mais c'était rapport à la remorque bâchée que les collègues qui z'étaient planqués au tournant de la Viradelle se sont mangés dans la tronche ce tantôt...
    -Vous direz brigadier à vos petits camarades que c'est très vilain de se cacher, cela dénote une nature sournoise et trompeuse. Bonne après-midi messieurs. Vous venez La Gaspèrine.
    J'avais réussi à ramper jusques aux caddies et sans trop rien perdre de dignité, je me redressais.
    Tandis que les deux pandores bafoués retentissaient encore derrière nous  de mille imprécations :
    -... tire pas Jean-Luc ou qu'on va avoir la guerre !
    Walter Chéchignac me prit par l'épaule, une manie :
    -Que voulez-vous dans les moments d'égarements la France a toujours chié du képi et du règlement! Aussi et c'est la troisième raison de mon attachement à Las Islas Bravados y Perditas mon cher La Gaspèrine, mon appartenance au corps diplomatique me permet de me garder loin de toute cette fliquerie surnuméraire de moralistes-serre-files, psycho-vopos, hygiénistes compulsifs et autres eschatologistes  du dimanche !
    -La vie en société exige des lois.
    -Et la vie en cage: des règlements, je sais. Pour résumer: d'être devenu à moitié étranger me permet, comme disent nos ennemis  anglais: de me montrer  tout à fait « gallic » et de rosser le gendarme et  me noircir en conscience quand bon me semble. Venez restons pas là !
    De fait derrière nous le plus imbécile dans le grade le moins élevé des deux gendarmes, mal maîtrisé par son chef, avait commencé de tirer en l'air et de sommer les ‘sommateurs pousseurs de caddies.
    -Je vais demander à notre maréchal président candidat à vie d'élever une protestation auprès du Quai d'Orsay. S'ils veulent la guerre ils l'auront et c'est pas sûr qu'ils la gagnent ces cons-là !
    -Le Maréchal-Président a sûrement un excellent ministre de la Défense Nationale? Ricanais-je patriotiquement.   
    -Qué défense? Vous savez là-bas c'est tout pour l'attaque... Mais trêve de géopolitique nous sommes en mission, aux grattons Spontex, mon cher, aux grattons !
    <o:p> </o:p>Etait-ce sous l'influence des événements de la nuit et de la matinée, moi qui détestait les foules, je me retrouvais poussant un chariot d'hypermarché, mais éveillé et alerte, attentif tel un chasseur un jour d'ouverture, Walter Chéchignac remplissait mon chariot avec tout et n'importe quoi, lui aussi avait les sens aiguisés, il était incontestablement beaucoup plus animal que moi. Il me raconta qu'il avait beaucoup voyagé au temps de sa jeunesse, avec toujours une dilection particulière pour les banlieues et les quartiers périphériques :
    -Je pourrais faire un guide mondial des banlieues anonymes et des terrains vagues ...
     Et ajoutait-il, la première chose qu'il faisait partout où il arrivait c'était de visiter la supérette du quartier et de s'en  allait draguer la ménagère.
    -... oui longtemps j'ai vécu d'adultères indigènes et de gaufrettes belges. Dit-il en essuyant une larme tout en nous rechargeant largement en spécialités liégeoises... Mais assez parlé de moi. Mon cher La Gaspérine, alors heureux, vos électeurs ? Ils vous plaisent ?
    -Euh... teuh... beuh...
    La vérité était que je les détestais déjà, rien que d'imaginer les vins d'honneurs, les inaugurations de crèches, le match de foot du dimanche après-midi, les dépôts de gerbes et le bal des pompiers j'avais envie de pleurer, de toutes les façons je ne me sentais bien qu'à Paris et méprisais la province soumise et reconduite, et tout son pittoresque, et tout son mijoté, j'étais né pour la modernitude pas pour exercer mon droit de cuissage sur la 53° Miss La Conche sur Ponche.
    J'eus un soudain haut le cœur devant mon avenir peu ragoûtant et je vomis dans les petits beurres nantais.
    -Oui, je vois, on peut même parler de vocation. Tenez essuyez-vous.
    J'obéissais, je me mouchais aussi et quand je relevais les yeux ce fut pour découvrir le chef ‘von le Gueuzec qui trônait assis sur les paquets de farine.
    -Qu'est-ce qu'il a il est malade ? Demanda-t-il à « son petit Valter ».
    -Déception amoureuse. Alors chef votre filature s'est-elle bien passée?
    -Bien, très bien j'ai vendu tout mes ballons et les photos sont impeccables... mais... ah mon petit Valter...
    Le chef ‘von le Gueuzec tenta de se lever, y réussit enfin, fit trois pas et s'abattit dans les bras de Walter Chéchignac :
    -Ah mon petit Valter si vous saviez ce qui m'arrive... mes femmes... mes femmes sont mortes ! (à suivre...)
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