• Walter Chéchignac 3 par H.T.Fumiganza

    3.
    Le 10/18
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>C'était en bord de nationale, un bâtiment de style psychédélique tardif, années soixante-dix, le 10/18, qui tenait de la boîte à partouze de chef-lieu et du patronage d'arrondissement. Au bar, presque seul, plus que seul, un très grand type d'une soixantaine d'années en sombre et en veston démodé à petits revers, l'on aurait dit un croque-mort, un membre décédé de l'Institut, ou un sauveur de patrie en costume de ville, n'importe quoi d'encombrant, de  passé, de révolu, macromégale pesant, plein d'os surnuméraires, très belle figure du paléolithique, il n'était point difficile de deviner que cet animal-là braquait mal en ville et chauffait dans les embouteillages de conscience.
    -Il vous rappelle quelqu'un s'pas ? Si je vous dis qu'il est natif de Bayeux. Cherchez pas c'est le fils naturel d'un général très connu dans les années soixante. Comment est-ce déjà... mais si un type qui a fait une gentille carrière dans la chansonnette patriotarde, le genre cosmique troupier, un qui levait les bras comme personne... le genre calamité agricole... ah zut j'ai tous ses disques à la maison... quand je vous dirai le nom...
    -Noooon ! Non ne le dîtes pas !
    Je transpirai soudain devant l'énormité de la révélation, comme nombre de mes compatriotes, j'avais fait le pèlerinage à Pigeonney les deux Gogues et visité la grotte miraculeuse:
    Je murmurais :
    -Vous voulez dire... le général de...
    -C'est cela mâme ! D'ailleurs ici pour tout le monde c'est Gaullichon et pour les intimes seulement, dont je m'honore d'être, c'est le Chef ‘von le Gueuzec.
    Le fils de grand homme se faisait manipuler à main lasse par une camarade qui n'était guère de plus de deux promotions avant lui.
    Cela sentait la sueur et le linge de corps, la chaussette et le Mir vaisselle.
    -Ce n'est pas un établissement que je vous recommande mais c'est ici que le chef ‘von le Gueuzec a ses habitudes. Votre moustache, elle se décolle...
    Sur mon insistance il m'avait prêté une moustache d'estivant pour passer incognito:
    -Essayez de faire bonne impression à Tintin.
    -Qui est Tintin ?
    -Le chef du bureau local des R.G ?
    -Il est ici ?
    -C'est le barman en string bedonnant qui est tout occupé à sa vaisselle de verres. C'est quoi ça ? Ajouta-t-il en désignant mon revers.
    -Les arts et lettres. Je suis encore jeune mais j'attends le...
    -J'essaierai de vous avoir un grand cordon de Los Conchidores de las Islas Bravados y Perditas, c'est rouge et très décoratif avec un petit haut tout simple ça impressionne dans les cocktails dînatoires.
    -On m'a dit que le mérite agricole était bienvenue dans les circonscriptions rurales...
    -Sans doute mais pour ça il faut intriguer et ce n'est pas notre genre n'est-ce pas... Mes respects chef .
    -Tiens Valter quel bon vent...
    Il parlait avec une autorité affectée et clapeuse de membre (sans doute encombrant) de l'institut et une voix tellurique, souterraine, vibrante et résonnante.
    -La douce brise du matin...
    -Il est si  tard.
    -Pas loin de six heures.
    -Ouh là là, je dois voir notre correspondant à La Ponche et j'ai une filature du côté de Petrose-Duirec... tiens merci mon enfant te fatigue pas va ça viendra plus maintenant.
    Il glissa un bifton dans le sous-tif de la dame méritante et artiste qui soulagée, s'en alla soigner en coulisses sa tendinite et répétait sa liste des courses pour le marché.
    -Il se fait tôt ! Gueula de sa voix de baryton martin le chef ‘von le Gueuzec.
    -Je vous raccompagne Chef ? Proposa Chéchignac.
    -Tu es gentil Valter mais j'ai la camionnette dehors. Adieu Tintin.
    -A ce soir Chef.
    <o:p> </o:p>Sa camionnette de fonction l'attendait, splendide véhicule d'un modèle utilitaire et périmé, laqué de noir, qui annonçait en gros sur les flancs en belles anglaises dorées :
    <o:p> </o:p>Dartemont Soeurs
    Enquêtes privées et commerciales. Filatures.
    Maison de confiance . Fondée en 1856.
    12, coin Maurin,12
    La Marinière - La Conche sur Ponche.
    <o:p> </o:p>-C'est avec ça que vous faîtes vos filatures ? Demandais-je stupéfait par cette démonstration un peu trop évidente de candeur provinciale.
    -Béh dame elle est toute équipée. J'ai même la stéréo et la glacière.
    -Mais vous ne craignez pas de vous faire repérer. Ajoutais-je avec cet air de supériorité ricanante, vérole de conscrit que j'avais contractée dans certains établissements supérieurs autant que  parisiens, que mes électeurs me reprocheront toujours et dont je conserverai des séquelles toute ma vie, la clinique est définitive là dessus.
    -Ba-ba-ba ! Les gens ne font plus attention à rien, ils sont bien trop occupés à leurs petites affaires, toutes les saloperies et les lâchetés, les égoïsmes mijotés qu'ils ont en cours.
    Pour ma part je suis franc, j'annonce la couleur, je ne me cache pas plus que nécessaire.
    -Quand cela s'avère « nécessaire » le chef ‘von le Gueuzec sait être un véritable Frégolo.
    -Sur ce coup, tu vois mon petit Valter j'avais pensé à un petit ensemble de plage, mais pour me mettre en plagiste c'est encore un peu tôt en saison et puis je sors de grippe alors je vais vendre des ballons, multicolores, ça me payera toujours l'essence.
    Il avait ouvert la porte arrière et commença de gonfler des ballons. Chéchignac lui prit la roue, ne sachant quelle attitude adoptée, je fis comme eux et nous nous retrouvâmes, tous les trois en bord de départementale à gonfler des ballons multicolores de couleur rouge, il n'avait que ça en magasin.
    Le consul Chéchignac en profita quand même pour lui expliquer ma petite affaire.
    -Je vois, j'espère que tu n'as pas eu trop de dégâts chez toi mon petit Valter.
    Il commençait à m'agacer avec son petit Valter, ma situation était quand même plus préoccupante que la sienne, écœuré, j'arrêtais de gonfler, je manquais  décidément de souffle.
    Ils l'avaient remarqué.
    -Et forcément ce jeune homme s'inquiète pour son avenir. Ma foi avec Letroncheur en face il y a de quoi. Ce garçon n'a aucun principe moral seulement des principes électoraux.
    Malgré tout je l'imagine mal se lancer dans des dépenses somptuaires et puis je ne vois pas comment il pourrait justifier dans ses comptes de campagne le défraiement de deux tueurs boliviens à plein temps, surtout avec tout ce qu'ils ont pu s'envoyer comme mauvais champagne cette nuit au 10/18. Toute la réserve de mousseux de Tintin y est passée et à la suite celle de liquide vaisselle. Il te les a traités grand seigneur à cette heure ils doivent encore faire des bulles.
    -Vous les avez vus ?
    -Je les ai croisés au buffet de la gare, ils m'intriguaient ces pékins-là et je les ai suivis jusqu'ici... un peu par désœuvrement je l'avoue.
    -Et beaucoup par vocation. Et Tintin il est au courant ?
    -Mais mon petit Valter tu sais bien qu'il  n'est jamais au courant de rien pourquoi il travaille aux Renseignements Généraux pour pas avoir l'air trop con en ville et être un minimum rencardé sur la marche de son affaire. Si j'avais su qu'ils étaient venus chez toi pour faire du schproum, je te les aurais réglés quand ils ont rembarqué au train de 5 heures 17 pour Paris. Pour le reste j'ai noté leurs identités, j'ai demandé à une des filles de Tintin de me passer leurs passeports le temps nécessaire, je vais me renseigner et je te tiendrai au courant.
    Le Chef ‘von le Gueuzec serra la main de Walter Chéchignac, finit d'attacher ses ballons et repartit dans sa camionnette aux armes de Dartemont Sœurs. Il n'avait pas même songé à me saluer. (à suivre...)
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