• Walter Chéchignac 23 par H.T.Fumiganza

    23.
    Pratiques confiscatoires et croyances limitantes en milieu aqueux.
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>-Dîtes-moi Kelbonbec c'est quoi ce type là-bas ?
    -C'est un universitaire, un chercheur en ethno-sociologie qui prépare une thèse sur le rapport à la mer et la nidification chez le marin-pêcheur.
    -Il n'est peut-être pas utile capitaine si nous sommes amenés à quelque confrontation  de s'encombrer d'un possible témoin?
    -Lui ça risque pas. Il voit rien, il comprend rien et si ça rentre pas dans la grille ça n'existe seulement pas. Et puis c'est le petit-fils du Père Manganec alors... sans compter qu'en cas d'avarie il pourra toujours servir de poupée de bord à l'équipage.
    <o:p> </o:p>   Il n'y avait pas que le chercheur qui était en surnombre et point inscrit au rôle, je découvris une fois en mer que feu Marcel Chéchignac dit le Grand Vate était du voyage. Il jouait avec trois des marins de la Détestation  à la bertille, un jeu de cartes de terre neuvas qui se pratiquait le plus souvent sans cartes et quelques fois avec un couteau, chacun des joueurs s'arrachait quelques poils qu'il tenait dans son poing fermé et il annonçait trois poils,  cinq poils, les enchères montaient vite : deux ongles, un orteil, deux oreilles le sans couille étant la plus haute enchère et consentie seulement par nuit de pleine lune en doublant le cap Horn sans clignotant et à force de rhum. Ceux qui avaient réussi de telles paris étaient l‘objet d'un respect unanime et dûment appareillés se reconnaissait à un léger tintement à la marche.   
    Au temps de nos rois, le Cardinal de Richelieu avait interdit ce jeu de con...chois qui prenait dans sa marine en découvrant que La Bertille, le grand amiral des galéres joueur invétéré retentissait comme l'angélus en grand conseil. On lui en expliqua les règles il les jugea coûteuses :
    -A la mer il faut des couilles !
    -Les miennes sont du meilleur bronze éminence ! Lui avait rétorqué La Bertille qui devait se faire tuer la semaine d'après à la bataille de Méffenbourg sur Meuse en recevant en partie basse un boulet de 15 livres, cette greffe-là n'avait pas pris mais le jeu conchois depuis portait son nom.
    Le Père Chechignac ne jouait pas si grand jeu, économe de ses poils du cul il savait manœuvrer comme il fallait.
    Etonnant cette manière qu'il avait de hanter avec familiarité et désinvolture, la casquette en bas et les mains dans les poches comme en pensionné flâneur, en bouliste repenti nos existences terrestres... et maritimes. Ici tous l'appelaient «  Feu Père ».
    Son fils le regardait taper le carton avec la tendresse amusée d'un jeune papa qui découvre son dernier-né en train de chier dans le compotier offert par belle-maman.
    -Vous n'avez rien perdu mon cher Marcel ! S'exclama admiratif le bosco, quinquagénaire distingué quoique salé et boucané par la proximité du large où son métier le cantonnait quotidiennement. 
    Chéchignac m'avait dit qu'il avait été dans une autre vie ingénieur agronome et donc pourrait peut-être utilement me renseigner sur les derniers progrès et ce que serait la mode d'hiver en matière de betteraves à nœuds car j‘étais bien certain que la terrible Mademoiselle Br... n'avait point abandonné la partie, alors autant avoir un sujet de conversation lors d'une prochaine rencontre.
    D'ailleurs chacun des membres de l'équipage de La Détestation avait eu une existence notable avant leur destinée maritime, le cuistot était un ancien président de cour d'appel, Hulme de Chambeulac, qui venait d'être relâché, l'avait eu comme professeur et les deux marins ravaudeurs de filets avaient exercés quelques hautes responsabilités dans l'industrie semi-lourde.
    Tous connaissaient Bédoncle le barman de La Bégude qui n'avait pu nous accompagner car il recevait, à l'invitation des sœurs Dartemont, son oncle des Espiasses, qui voulait voir la mer et se reposer d'une année épuisante, et que tous appelaient « Patrate » ou « Expectance », c'était je crois des titres honorifiques, des espèces de magistratures morales chez les barmen et tenanciers. (voir "Les Oeuvres Probatiennes" en vente dans toutes les bonnes librairies!) 
    -La Bertille c'est comme le char à voile ça ne s'oublie pas mon gars! Remets-nous une bolée autant le rentrer avant le mauvais temps.
    -Oui n'est-ce pas cela vient sur nous ne dirait-on point ? Confirma le bosco avant que de se corriger « pour pas décevoir » en apercevant le petit blanc ethnologuant :
    -...  je va' nous cherchions une bouteille.
    Le bosco s'étant levé pour aller prendre du cidre conchois, qui à la supériorité sur tous les autres d'être élaboré avec du raisin et seulement le noyau des pommes,  je l'interrogeai.
    -Mais cela ne vous gêne pas, enfin de jouer avec... avec un mort ?
    -Béh non pourquoi cela ? Certes le bridge conviendrait mieux mais... une idée ça ! Il faudra que j'organise une table de bridge la prochaine fois que l'on va au Blétznec.
    Le raisonnement valait ce qu'il valait.
    -Je peux jouer avec vous ? Demanda le sociogéne intrigué par les plaisirs simples des spécimens à l'étude et soucieux de gagner leur confiance en s'épargnant les transes rituelles d'initiation et autres pratiques scarificatoires douloureuses .
    -Désolé la table est faite, et puis à cinq c'est emmerdatoire la Bertille.
    -Mais... mais vous n'êtes que trois ! Fit-il remarquer avec quelque aplomb comptable
    -Ah ouais... ouais mais on attend du renfort... ma belle-doche qui doit nous rejoindre à la nage... 
    Le sociogogue nota la remarque avec sa traduction sur sur son carnet d'observation : « ... attirance maladive et familiale pour l'eau et les exercices nautiques. Alcoologie compulsive... ‘se fout' de moi ces cons-là  ‘otudjuuu!  ‘va te leur fout' un motif moi ! »  
    Il était le seul qui ne voyait pas le fantôme, sans doute à cause de ses dons d'observation.
    <o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p><o:p> </o:p>*
    <o:p> </o:p>Le commandant du yacht bleu avait annoncé qu'il relâcherait dans le petit port  très « high life » de La Diguedondac'h et quand nous fûmes en vue nous l'aperçûmes déjà à quai pelotés par d'autres bestiaux de même tonnage, un vrai concours milliardairicole.
    -Le mieux serait d'attendre la nuit. Décida le consul Chéchignac en repliant sa longue-vue et en faisant distribuer à l'équipage double ration de  cigares bravadiens et vieux calva conchois.
    <o:p> </o:p>A minuit la tempête prophétisée par le grand Vate n'était toujours pas là mais pourtant ça commençait à pas mal tanguer, même le sociotruc qui, enfin admis dans le cercle des joueurs de Bertille, se lançait dans des enchères insensées :
    -... cinq cacas de nez !
    -Tapis !
    -Mes... mes aaaamis....Aaah... aaaalons-y ! Commanda Chéchignac déjà bien écorné.
    <o:p> </o:p>Sur le port le yacht bleu était illuminé comme un transatlantique déroulant en plein pacifique et les héritiers qui semblait-il n'avaient point dessaoulés depuis quinze jours organisaient une énième fiesta en recevant force collègues milliardaires rameutés là par phonie satellitaire et instinct grégaire. 
    Nous nous préparâmes, mais à ma grande surprise nous n'enfilâmes point des tenues en néoprène de plongeur autonome mais des smokings en soie sauvage de mondain hétéronome :
    -Où don' avez-vous trouvé ça mon cher Valter ?
    -J'en garde toujours tout un assortiment à bord du chalutier. On imagine pas combien la pêche au Blétznec peut occasionner de mondanités... ah voilà  papa !
    Le grand Vate Marcel Chéchignac était demeuré en civil, il n'y avait de changé que la paire de lunettes de soudeur autogène qu'il avait passé sur le front :
    -Avec mes yeux bleus j'ai toujours craint la lumière et les éblouissements, le gamin est comme ça lui aussi, bon les gars vous m'amenez les bouteilles à bord s'pas. A tout de suite.
    Il enjamba le passavant et s'en alla à pieds sur l'eau épaisse et battante comme un flanc de mule.
    C'était vrai qu'il avait de très beaux yeux bleus le spectre, mais ça aussi ce ne devait quand même pas être très réglementaire.
    <o:p> </o:p>*
    <o:p> </o:p>   Nous n'eûmes aucun mal à faire monter notre délégation à bord du yacht bleu, Son Excellence le consul général Chéchignac connaissait tout le monde ou presque. Il saluait chacun tout en tirant très naturellement son petit chariot contenant les bouteilles et le chalumeau oxyacéthylénique.
    Le bosco se chargea de les acheminer jusqu'au grand mage dessoudeur tandis que les héritiers du propagateur de The Real  and Uncomestible  French Mustard me faisaient les honneurs de leur nouvelle résidence nautique.
    C'était un couple de septantenaires de Chicago, elle en layette à smokes rose bonbon, lui en smoking lamé bleu-pétrole, ils faisaient plus gagnants du super-maxi Bingoconno que vieux bostoniens et s'extasiaient sur toutes les saloperies coûteuses et les « pipoles » soldés qui ornaient leur nouvel intérieur.
    Après une bonne demie-heure de papotages incompréhensibles, ils ne parlaient pas français et j'avais obtenu seulement 19,5/20 à l'oral d'anglais du concours de sortie de l'Ecole, je fis appel au sociotrope qui avait passé une licence de coréen moderne et deux certificats de javanais d'affaires, par bonheur le Chicaguien se révéla être un heureux mélange des deux idiomes. Bref nous nous exprimions en un anglais coloré et gestuel, quasi divinatoire.
    Sur ce le grand Vate autogène vint faire son rapport à son fils.
    -Dis-moi mon garçon, le collègue en bas, le mort dans le congélateur il va pas bien du tout...
    -Je m'en doute père.
    -Non lui il se néglige  vraiment, ils l'ont collé dans un grand congélateur bahut publicitaire aux armes de Scrotom the real strawberry's french mustard .
    -Sans doute là qu'il mettait ses échantillons, il profitait de ses croisières pour visiter ses représentants paraît-il.
    -En fait d'échantillons j'ai plutôt l'impression que c'est ‘h'une belle collection de saloperies qu'il y a là-dedans, ton macchabée il est farci comme une oie de Noël mais pas avec de la truffe, avec des vers et des mouches et des puces et des poux et  d'autres bestioles encore enfermés dans des tubes de verre, je ne sais pas ce qu'ils préparent mais cela ne sent pas bon...
    -Vous voulez dire Feu Père que ce pourrait être de... de l'offensif ? S'inquiéta le Chef ‘von le Gueuzec qui déductivait à la paresseuse, le reptilien à la portière en s'empiffrant de toasts au caviar.
    -Ben ‘possible que c'en soye mon gars et du contagieux, j'ai bien fait de m'y coller, rien qu'à voir le titulaire il a une toute sale gueule tu peux me croire et c'est pas le mal de mer. Non vrai c'est pas de la réclame un cadavre comme ça et même ça fait du tort ! Conclut le Mage Chéchignac en pelant de ses gros doigts surnaturels quelques rondelles de saucisson conchois, le seul qui soit élaboré avec de la couenne de receveur des contributions de première classe.
    -Et dans deux jours ils l'enterrent en grande pompe au cimetière américain de La Ponche il y aura même un sous-secrétaire d'état américain pour la cérémonie.
    -Ma foi c'est pas tant la cérémonie qu'il faut redouter que ses suites. Et pas besoin d'ouvre-boîtes, ‘pas difficile de deviner qu'en le manipulant comme il convient au moment de la mise en bière les tubes vont casser et libérer en grand dans la nature toutes les saloperies ! Confirma feu le grand Marcel Chéchignac en se grattant les couilles, pour vérifier qu'elles étaient toujours comme aurait dit le cher Hulme de Chambeulac : « bien plésentement là ! »
    -Un mort qui vérole d'autres morts ? Ah le concept est intéressant, nous ne sommes pas loin du crime parfait mon petit Valter... mais décidément il n'y a  vraiment plus de respect pour rien.
    -Créer un foyer d'infection dans un cimetière, l'idée est généreuse. De fait entre les scolaires qui visitent avec leur instituteur et les familles qui viennent des U.S.A se recueillir sur les tombes des leurs cela ferait une bonne rampe de lancement, la contagion s'étendrait vite et un peu plus loin que l'arrondissement.
    -Les vers et les mouches ! Quelle saloperie ces bestioles-là ! S'exclama le grand Vate en lâchant ses charcuteries apéritives. Tu te souviens Voualtére au tout début de ma mort j'allais encore fleurir ma tombe quand je m'emmerdais, j'essayais d'aménager un peu le la chose de rendre ça joliet mais rien que de voir et de penser à ces trucs-là ça m'a coupé l'inspiration. Heureusement que tu t'en occupes...
    -A propos tu as vu p'pa le monument que j'ai commandé ? 
    -Le monu... oui très bien... un peu haut peut-être ?
    -Quarante-trois mètres cinquante père ! Record d'Europe ! Il a fallu que j'éclaire les yeux à cause des avions. J'ai fait venir de Corée du nord le sculpteur par malle diplomatique,  tu as vu comment il a réussi les boutons du veston et les lacets de tes chaussures !
    -Euh...Oui, très bien, un peu haut mais bien. Bon maintenant  je rentre il se fait tard, garde-toi bien mon garçon... tu as raison c'est peut-être bien contagieux pour vous aut' ç'te saloperie-là alors ce serait aussi bien de vous en débarrasser. Maintenant ce que j'en dis moi... ah aussi, j'oubliais, j'ai refait toutes les soudures et condamné les serrures... et encore un truc... les bouteilles sont vides, ‘oublie pas de les ramener elles sont consignées ! Puis aussi évitez de prendre la mer cette nuit ça va secouer ! Kénavo Chef ‘von le Gueuzec...
    -A se revoir Feu Père et bien des choses à tout le monde là-haut hein... si vous croisez mes femmes... Oh dîtes-moi vous auriez pas un tu-yau pour le tiercé de dimanche ?
    -Toujours le turf toi mon gars ! Le 17 et le 15, ils ont pas de poids et avec ce qui reste à pleuvoir  pour le vouiquinde ce sera du lourd, m'étonnerait pas qu'y soyent à l'arrivée. Allez bonne lunaison m'sieurs-dâmes !
    <o:p> </o:p>Cette fois le Grand Vate Turfiste Marcel Chéchignac s'évapora dans la nuit chaude sans éveiller l'attention des invités déjà tous passablement envapés. Les serveurs circulaient avec des lignes de cocaïne tracées à même les plateaux et chacun de sortir sa paille d'argent même monsieur le sous-préfet, personnalité invité s'en mettait un grand coup à la santé de la narine nationale.
    -C'était un brave homme ton papa toujours prêt à donner un coup de main à la manœuvre. Remarqua le bosco pris d'une nostalgie subite et vérifiable.
    Pour ma part je m'interrogeais sur la destinée de ce pauvre Joël Noyeux :
    -Dîtes-moi mon cher Walter vous croyez que c'est pour cela, j'entends à cause de la possible contagion que les autorités ont dépecé le pauvre Noyeux et soigneusement planqué sa peau ?
    -Peut-être, c'était le genre à faire tapisserie dans les raves-parties non ?
    -Plutôt oui.
    -Il s'emmerdait, il aura voulu visiter le bateau, il s'est paumé, retrouvé à fond de cale et là... ‘pas un peu cinéphile le collègue ?
    Décidément il m'épatait avec ses sherlocholmades le cher Walter.
    -Mais oui en effet quand il était gamin c'était un élève docile et mâme... bien mâme insignifiant mais il n'y avait que le jeudi matin qu'il s'animait, la veille il avait passé sa journée dans les cinémas de quartier à bouffer des esquimaux en regardant les nouveaux films sortis.
    -Eh bien alors il a ouvert le congélo pour se chercher un esquimau... un esquimau d'entracte comme dans le temps...
    -Et il aura suffit d'un... d'une puce en rupture de banc pour... Quand même quel destin incompréhensible !
    -Vous devriez faire une loi pour réglementer le destin individuel... Mais non croyez-moi c'est la nostalgie qui l'a tué. (à suivre...)
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