•  

    Le Royal Chouquettes à l'assaut! 1/1 by G.M.Neoletto

    "Messieurs les Mestres, assurez vos chapeaux, nous allons avoir l'honneur de charger!"

    Quand j'ai signé mon engagement au 12° Trembleurs j'aurais jamais pensé que trois mois après je me retrouverais en Afghanistan, je me disais que l'armée ça me donnerait un métier, je pouvais pas penser que ce serait "fossoyeur".

    Après six jours d'instruction complète où on nous a appris à remplir les formulaires, fait signer une "convention obsèques  48 heures chrono rendu devant votre porte en cercueil plombé", expliqué comment faire notre paquetage et dire en anglais dés qu'on croisait un civil suspect (ils le sont tous!):

    "We are here to defend your dignity and the global democracy please raise yours hands, put you against the wall and take down your trousers hurry-up! I ask you please... drink Coca-Cola!"

    On s'est installé au camp militaire Françoise Dolto à Pushtwadla à une centaine de bornes de Kaboul c'était au moment des fumanges,  la récolte de la fumette quoi.

    Notre colonel nous a fait un spiche, c'était un jeune gars moderne, fils de géné, neveu de géné, beau-père de futur géné, diplômé de psychologie d'état-major, c'est dire s'il connaissait la combîne, il nous a expliqué qu'il fallait surtout  décontextualiser le conflit et il a conclu:

    -N'oubliez pas que dans une guerre asymétrique il ne faut jamais insulter à la dignité des populations locales.

    Les anciens ils  priaient tous pour qu'il soit décontextualisé le plus vite possible, le colon, il devait passer général comme tout le monde et aller pantoufler dans une filiale d'une grande boîte parisienne de publicité, d'événementiel et de Relations Publiques, bref il s'était reconverti dans le trafic d'influence et la location de carnet d'adresses mais la nomination arrivait pas.

    Les ritals qu'on avait remplacés étaient pas sortis une seule fois, la maman de leur colonel qui le leur avait défendu.

    A notre droite on était les voisins d'un contingent jamaïcain, ils faisaient une foire du Diable, ils étaient venus avec leurs "soeurs", eux ils se mêlaient vachement aux populations locales, ils prêtaient leurs soeurs en cas de besoin contre une participation aux frais, ils ont même pris part aux fumanges, il faut dire aussi qu'ils avaient acheté la récolte sur pieds et puis un matin ils sont partis, ils avaient tout revendu, uniformes, jeeps, flingots, interprètes de l'OTAN, et même leurs soeurs sur le marché aux bestiaux du coin, comme ça qu'on s'est retrouvé voisins de palier d'un seigneur local qui leur avait racheté leur part y compris leur droit au bail sur un bout du camp militaire:

    -C'est pas des trucs à faire entre collègues de l'axe du bien. Il a résumé le colon vachement déçu par la mentalité otanesque.

    Bon notre nouveau voisin de palier c'était pas non plus une buse le khan Kiluiamine Unchtar, il était pachtoune, il avait fait des études d'Econométrie Médiévale à Aix-La-Chapelle et de Plastiquage Comparé à Karachi, il roulait en vélib', souvenir de Paris, il rêvait de faire bobo parisien mais il était pas encore résolu à se faire couper les couilles, c'était un amoureux de la culture classique française, il avait tous les disques de Simone Sartre et tous les bouquins de Michèle Torr. Il avait reçu chez lui pas mal d'intellectuels parisiens, BHL c'était son grand copain, il avait même fait financer avec le fric de l'ONU un square à sa gloire avec un buste du grand homme. Le marrant c'est que d'habitude un square c'est au coin de deux rues, mais là comme il n'y avait pas de rues c'était au coin de nulle part et de rien du tout, remarquez ça résumait bien l'oeuvre de l'embusté.

    Quand je l'ai vue aux jumelles la statue de l'intellectuel parisien elle était tout maculée de merdes de pigeons.

    -'Pas croyab' ce qu'ils peuvent chier ces bestiaux-là je dis à Blanzac,

    -Pauv' couillon qu'y me répond t'en as beaucoup vu des pigeons dans le coin? C'est de la merde de peshmergas.

    -Quoi tu veux dire...? Putain c'est des acrobates les Pêches-Melba! 

    -C'est surtout des gros chieurs!

    Ceci dit ils sont quand même assez modernes dans le secteur ils pratiquent le tri sélectif des poubelles il y a même un bac à infidèles c'est celui avec le couvercle toujours rouge.

    Les ricains on les voyait pas beaucoup et on évitait de les appeler, y se foutaient de nous les frenchies, y nous appelaient les conserves de nouilles "tin noodles" à cause des planchers en alu de nos blindés qui se déchiraient comme une conserve quand on se faisait bomber.

    C'est que dans le coin ils en connaissent un bout rayon armurerie, les mômes à huit ans ils savent démonter une Kalach les yeux fermés et dévisser un soldat de l'Otan à quinze mètres sans avoir à viser.

    L'ennui c'est que le khan Kiluiamine Unchtar un matin il a décidé que nos chiottes étaient chez lui, il faut dire que c'est des nomades ces mecs-là, et comme ça depuis Alexandre le Grand et même avant, ils ont que les limites qu'ils se donnent alors il pouvait aussi bien faire le tour du camp et nous le réquisitionner pan à pan. Le colon il a appelé le géné qui lui a dit que les  problèmes de voisinage il ne voulait pas en entendre parler, il attendait lui aussi d'embaucher comme DRH dans la société de Miss France une filiale de TF1.

    - Les histoires de voisinage il me semble que c'est quand même une bonne part de la problématique de la guerre. Il a dit le colon en raccrochant re-déçu.

    Alors il a décidé de faire une démonstration de force pour dégager ses chiottes:

    -Bon on se dirige à trois compagnies en sécurité maximale vers le square BHL la section Jaunard en ternaire se détache et reprend la position dans un mouvement enveloppant, vous m'envelopperez bien ça hein Jaunard, dans la tradition, vous voyez, pas trop large... pas trop serré non plus... pendant que la colonne de route continue sa marche en avant, le tout bien entendu dans la discrétion il s'agit de montrer sa force mais sans insulter à la grande dignité des populations.

    Un mouvement enveloppant avec une section ça ne me plaisait pas trop, surtout que j'en étais de la section Jaunard, ça risquait de pas tellement envelopper grand chose, on allait manquer de papier d'emballage.

    On se met en route, le square BHL Intellectuel parisien était à pas cinq cent mètres mais on l'a jamais atteint.

    On a subi quatorze attaques, les ménagères de moins de 50 ans qui leur faisaient l'appui feu, entre deux feuilletons égyptiens à la télé elles nous balançaient des rasades de RPG 7 et quand on  est arrivé en vue du square les mômes ont lâché leurs balançoires pour nous jeter des pétards qui nous ont torché deux VAB c'est dire si ils sont doués et comme on est aimé

    Avec la section Jaunard on a quand même réussi à envelopper ce qu'on pouvait et on est arrivé devant nos chiottes, nos chiottes outragés, nos chiottes capturés mais nos chiottes bientôt ... libérés, instant émouvant, le lieutenant il a détaché trois hommes dont moi pour faire les sommations d'usage, en sueur, on avait tous passablement les chouquettes, j'ai frappé héroïquement à la première porte (comme ça que j'ai obtenu ma Légion d'Horreur) et on a entendu:

    -Y a quelques uns!

    Ils étaient 600 peshmergas enfermés là-dedans.

    Le lieutenant il a préféré décrocher, ça devenait un peu trop asymétrique, s'agissait de pas finir d'insulter à ce qu'il nous restait de dignité comme aurait dit not' chef de corps.

    -Bon a dit le colon pendant qu'on se repliait en ordre... élastique, vous me creuserez des feuillées réglementaires en attendant l'installation de nouveaux lavatories, mais cette fois vous  les mettrez à côté de mon bureau que je puisse garder un oeil dessus, j'ai pas envie qu'il me les barbote encore une fois, pour un pays de khan c'est vraiment un  pays de khan!

    version imprimable: http://revue.lurbaine.net 

     

    Partager via Gmail Delicious Technorati Yahoo! Google Bookmarks Blogmarks Pin It




    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique