• Casse-toi 'pov' con à Matignon! 1/1 par Lofti Benayak

    Le journal de François F. soumis.

     

    Les jours de remaniement c'est toujours difficile, il y a une ambiance tendue, ça téléphone de tous les côtés, moi comme d'habitude je me mets dans les coins, je me fais petit, ouais encore plus petit quoi parce que mon vénéré maître est très énervé, mais cette fois ça a été encore pire, la veille déjà on avait eu une entrevue vachement tendue, je m'étais rebellé, non mais pour de bon:

    -J'en ai marre de passer pour un con et que tu fasses tout dans mon dos sans m'en causer, j'en ai parlé toute la nuit avec Pineulope et...

    -Et...

    Il avait son petit sourire cruel mais je me suis pas laissé démonter, de toutes les façons Pineulope, ma femme mon mari, mon autre chef quoi, elle m'avait dit que si je me dégonflais encore un coup je pouvais aussi bien pas revenir à Matignon, et elle avait donné des consignes aux gardes républicains de pas me laisser entrer, vrai j'étais à bout, je me suis mis à pleurer:

    -Et je veux des ministres à moi, rien qu'à moi, des que j'aurais choisis moi-même et qui m'obéiraient.

    Il a dû sentir que j'étais prêt à tout parce qu'il a changé de sourire (il en a toute une panoplie qu'il transporte avec lui comme un lanceur de couteaux se baladent toujours avec son jeu de couteaux trafiqués), il m'a même tapoté l'épaule.

    -Bon écoute, c'est vrai qu'à ton âge c'est normal de vouloir des ministres bien à soi, mais il faut comprendre mon garçon, que dans la vie tout n'est pas donné comme ça, j'ai des obligations tu le sais, tu es en âge de comprendre... mais enfin je vais voir ce que je peux faire.

    Il est passé derrière son bureau et il a refait ses comptes, j'osais pas trop le déranger, enfin il a levé la tête:

    -Bon... enfin ça va pas être commode... vo-yons... écoute je vais te donner les personnes âgées, tu aimes bien ça les personnes âgées, t'es toujours fourré avec eux, t'arrête pas d'inaugurer des foyers du troisième âge, tu t'entends bien avec eux n'est-ce pas, allez arrête de pleurer, là mouche-toi!

    -Oh ce que t'es chic alors! Un ministre à moi, rien qu'à moi, un que personne jamais m'enlèvera ni ne me démissionnera, un que je nourrirai et que je soignerai et que...

    -C'est ça... c'est ça, vas y réfléchir et puis tu me feras une liste et je verrais ce que je peux faire.

    J'étais content mais content, les idées se bousculaient dans ma tête à l'arrière de mon tandem (il m'a collé un tandem avec chauffeur quand il a fait son ouverture aux écolos mais je m'en fous comme il m'avait déjà supprimé les motards et puis mon chauffeur monsieur Mouillard est ancien recordman de l'heure amateur du Chauvinois)

    Arrivé à Matignon, je me précipite chez Pineulope, je lui avais déjà téléphoné la bonne nouvelle et elle m'attendait en haut de l'escalier d'honneur, elle avait pas l'air trop contente et qu'est-ce qu'elle était grande, trois marches avant le palier, j'ai osé:

    -Ah ça y est j'ai mon ministre à moi!

    -Les vieux ! It's peanuts!

    -Ah ne parle pas comme ça de nos aînés veux-tu, ce sont eux qui ont fait la France d'aujourd'hui...

    Eux qui avaient élu Giscard et puis Mitterrand deux fois même quand il était déjà mort et puis Chirac et puis... et puis... ourps ah ouais ça commençait à chiffrer quand même! Salauds de vieux!

    -Well, c'est mieux que rien, allez hurry up va manger ton soupe and tu fais ton coucher à neuf heures!

    Dans mon petit lit de ma petite chambre sous les combles (Pineulope elle aime prendre ses aises dans un grand lit) j'arrivais pas à m'endormir, je pensais à mon ministre, qui j'allais bien pouvoir prendre, j'avais en tête quelques noms, tous des natifs de Pathétique-sur-Navrant comme moi, des "pays" quoi, le Père Laridondette peut-être qui s'occupe si bien de la salle paroissiale ou Mademoiselle Migeon si dévouée aux autres, oh oui une bien bonne personne et je m'endormis après avoir fait une prière de remerciement à Sainte Blondaine du Dahut qui avait si merveilleusement exaucé mon voeu.

    Le lendemain, j'arrive tranquillement à l'Elysée avec ma petite liste, oh il y avait du monde partout, partout et ça téléphonait, je fais discrètement signe à l'huissier en chef Monsieur Boulon que je suis là et que je sollicite une entrevue, il m'avait pas vu, il me facilite bien les choses, lui aussi il est du Chauvinois et après trois heures d'attente sur mon petit bout de banquette enfin mon maître admiré me reçoit, il n'a pas l'air de bonne humeur.

    -Quoi qu'est-ce que tu veux toi encore?

    -Je... je t'ai apporté ma petite liste, si tu as le temps...

    -Ta petite liste de Noël?

    -Mais non c'est pour mon ministre que tu m'as promis hier, tu sais bien!

    A ce moment l'un de ses portables sonnent, il en a quatorze, je sais pas comment il s'y retrouve, quel homme!

    -Oh Mister my Président! My deepest respects of the evening Mister my Président...

    Et il commence à causer en anglais, langue que j'entends à cause de Pineulope qui m'engueule toujours en anglais, parce qu'elle dit que ça vient mieux, enfin il écoute surtout et il faut voir comme il est respectueux et obéissant, il raccroche enfin, il a tout blêmi du visage.

    -Ah écoute je peux pas, le directeur des Finances Publiques sort d'ici, c'est la faillite, on peut même plus imprimer les papiers pour l'emprunt d'état, on va faire ça par Internet comme pour les crédits revolving, ils souscriront, ils sont tellement cons. En attendant je suis obligé de prendre plus que des ministres payants. Ah il faudra aussi que tu te charges de virer les arabes du gouvernement, tu te débrouilles comme tu veux tu fais un plan social, mais pas des mille et des cents, leur huit jours, la prime de retour au pays et basta on a plus le rond!

    -Mais et ton grand truc, la Diversitude!

    -Pour ça pas de problèmes il y en aura des arabes, mais des qui ont du fric pas du goinfrard de travailleur social, j'ai pris deux koweitiens très bien et un cousin du cheikh d'Abu-Dhabi, il n'y a qu'un problème je sais pas où je vais mettre l'américain?

    -L'américain?

    -Ouais un collègue de la CIA, John D. Kaykett,  le chef vient de m'appeler et il veut absolument que je le prenne il part en retraite et il a besoin de s'occuper...

    -Mais... mais tu as un chef?

    -Ben oui comme tout le monde!

    Quand même j'imaginais pas qu'il obéissait aussi bien lui aussi.

    -Mais... mais ton type-là il est pas français!

    -Mais on s'en fout de ça on lui trouvera des papiers, c'est pas un problême et puis il a une maison dans le Lubéron, il parle un peu français... enfin comme nous et moi quoi!

    -Mais et mon ministre... mon ministre que tu m'avais promis !

    Je recommençai de pleurer:

    -Ah et puis arrête de chialer tu vas encore tâcher le parquet et après j'ai le petit personnel CGT sur le dos!

    -Salaud! Salaud! Salaud! T'avais promis! Je répétais en serrant mes petits poings.

    Là il s'est vraiment mis en colère:

    -Casse-toi 'pov con à Matignon! Il a gueulé... et je suis parti.

    Depuis j'ose plus rentrer à Matignon, Pineulope doit être furax, je dors dans le garage à vélos

    de Monsieur Mouillard, qui est bien obligeant, ce qui est marrant c'est que personne s'est aperçu de ma disparition.

     

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