• Mouloud l'Afghan (suite 2) L.Benayak

    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p> 3.<o:p> </o:p><o:p> </o:p>
    Ce que je me rappelle aussi ça a été ma première piéce de théatre. C'est Jean-Fernand Lecoïtteux qui s'occupait de la M.J.C Nelson Allenda et de la programmation théatrale de la salle des fêtes Salvator Adamo... non c'était un autre nom de chanteur: Mandelo je crois, lui qui a décidé de mobiliser les mômes des écoles pour faire un truc contre le racisme et la montée du... tsoin... tsoin...
    C'était un imaginatif.
    A l'époque c'était commak, on imagine pas népa, c'était p'us les militaires qu'on mobilisait, mais nous les mômes, et on avait intérêt à présenter un livret militant à jour, surtout, moi, vu que comme j'étais « concerné » comme « ils » disaient, j'étais dans les premiers à partir pour le front... de la culture, pourtant maman voulait pas en entendre parler de ces trucs-là, elle disait, les gens il faut les prendre un par un, elle pensait que les foules c'était des lieux de perdition .
    Les profs il voulait me faire découvrir mon arabitude :
    -Toi tu es né où ?
    -Béh à Bézons ?
    -Non mais je veux dire tu viens d'où ?
    -Béh de Bézons ?
    -Attends ! attends mais tu vas où comme ça ?
    -Béh nulle part je reste à Bézons.
    -Non tu ne comprends pas tu n'es pas comme les autres ?
    -Vous voulez dire... à cause... à cause du zob ?
    Mais en face ça rigolait pas et le prof d'éthique social (c'est pas traduisible en français) y jouait les serre-files et y répétait qu'y fallait se dresser (je pensais à Raymond quand y disait ça et je me marrais) contre le Flan National.
    Moi je connaissais un peu la question vu que Marcel Shrbznskzyk mon beau-père il en était, rapport qu'y trouvait qu'y avait trop d'étrangers par chez nous.
    Et quand je lui demandais de quoi ça causait, y me répondait :
    -... eh ben...
    -Y sont contre le smic et la sécu peut-être ?
    -Ben non.
    -Y veulent peut-être baisser la retraite des vieux et les allocs?
    -Non mais t'y penses pas fiston.
    -Y z'ont sans doute dans l'idée de développer les libertés z'économiques  et de p'us indemniser les chom'dus?
    -Surtout pas malheureux !
    -Eh ben quoi alors ?
     -Alors... alors c'est tout pareil que la sociale sauf que c'est Le Flan National, le seul vrai flan... eh ben qui  soye national quoi.
    Ouais ça m'avait pas non plus tellement convaincu.<o:p> </o:p>


    *

    Bref je me suis retrouvé dans la troupe, pour les répétitions on cantonnait à la M.J.C. Ce qu'il voulait le Fernanbel, c'était comme ça que tout le monde l'appellait le Jean-Fernand Lecoïtteux, rapport à Fernandel sauf que lui on avait transformé en Fernanbel parce que c'était un homme de gauche, de la gauche qui se touche, celle qui répéte toujours les mêmes choses (pasqu'on les répéte jamais assez), le racisme, le fachisme, les bulles dans le Vichy, les heures les plus sombres de notre histoire, Fernand bêle quoi, ouais ce qu'il voulait c'était de la disciplîne ce qu'ils aiment bien ces types-là c'est la manœuvre, leur côté adjudant, au vrai y a pas plus culottes de peau que ces cons-là et entre chiens de quartier il font même des concours de celui qu'aura collé le plus beau motif.
    « .. la discipline qui est la force principale des collectifs-associatifs.... »
    Voir comment qu'y potassent leur manuel d'infanterie à l'usage des sous-offs et caporaux culturels, faire défiler la piétaille, bouger leur monde tous ensemble, les trucs de masse,  et que ça obéisse au sifflet ou plutôt au pipeau parce que la seule différence entre les flics et eux c'est que les flics vous font marcher au sifflet et eux au pipeau.
    Et puis il y avait l'innénarable (combien de n à innénarables ? J'en mets trois des fois qu'on vienne à manquer.) style troupier brechto-coréen du nord.
    Comme les feuilletons sociaux de la Tévé, vous avez l'impression de vous appuyer des trucs chinois des années 70, L'héroïque chef de la Gare 782, le matin glorieux de l'assistante-sociale du groupement 813.
    Loin, très loin de Mauriac Raymond. Avec des bons flics non fumeurs qui passent à tabac (parce que c'est des répressifs ces bougres-là, pas du gentil anar qui cultive son herbe et saute ses chèvres, non, non du bon bourgeois catéchuméne de la nouvelle religion) le méchant  déviationniste.
    En ce moment il passait un épisode du Commissaire N. où Roger H. que Maman avait connu bouilleur de député-maire était passé commissaire du peuple assermenté contre les réactionnaires paysans de la ferme collective 804. <o:p> </o:p>
    Son assistante Destop Chapoteau (Destop parce que sa mère quand elle l'attendait avait essayé de se la faire passer au Débouche-chiotte, un truc de bonne femme ) et comme elle avait pas réussi (et c'était plutôt dommage) pour commémorer tendrement elle l'avait baptisé commak, aussi pour emmerder l'officier d'état-civil, c'est dire qu'elle militait depuis le berceau Miss Débouche-chiottes et que c'était pas ça qui lui avait tellement ouvert l'esprit. Donc pour commencer, sur instructions cachetés de Fernanbêl,  Miss Destop nous a séparé en groupes, les blancs à droite, les arabes et les noirs à gauche, mon copain Touki qui avait une maman flamande et un papa martiniquais, elle savait pas où le carrer, elle lui a fait ouvrir la bouche pour regarder les dents :
    -La dentition, ça trompe pas, ça la dentition ! Ouais allez à gauche.
    Après on a répété, la piéce était de Fernanbel, pour ce que je connaissais du théatre ça m'avait l'air très premier degré et pas bien torché, il aurait mieux fait de demander à Mauriac Raymond, il m'avait raconté comment qu'il écrivait dans les années cinquante en une soirée des piéces pour le Théatre du Grand Guignol.
    Le Fernanbel, lui c'était comme tous ces apparatchiks cultureux: un pue la sueur, une feignasse et un trembleur,  « il serait jamais assez seul ce type » comme disait Raymond quand y causait de ç't engeance là ! <o:p> </o:p>


    *

    Et puis un jour le Fernanbel il a privé de goûter le groupe des blancs.
    -Ben pourquoi monsieur ? C'est dégueulasse ? Il a demandé Touki.
    -Comme ça parce que je l'ai décidé et pour qu'« ils » comprennent bien ce que c'est le racisme ordinaire.
    Nous on leur a passé de la bouffe aux blancs mais c'était pas bien fameux pour l'ambiance.
    Après il nous a fait asseoir pendant que les blancs restaient debout, au bout d'un moment le fils Mazzolini  des transports Mazzolini  il a dit :
    -Bon ben ça me fait trop chier votre truc!
    Et il s'est barré, ils l'ont laissé passer parce qu'il faisait déjà pas loin de ses quatre-vingts kilos, il jouait au rugby comme le père Mazzolini des Transports Mazzolini.
    -Un fachisse comme son camionneur de père ! N'oubliez pas que ce sont les camionneurs qui ont installé Pinochet !
    Et c'est là qu'il s'est pris sa première baffe de la tournée le Fernanbel parce que le Pascal Mazzolini des Transports Mazzolini il avait pas trouvé la sortie et il était revenu pour demander poliment parousque ça se trouvait .
    Miss Destop lui a gentiment indiqué en ramassant Fernandbêl qui geignait là où il avait atterri : bien après le huitiéme rang.
    Mais ça l'a pas calmé Fernanbêl au contraire il en a rajouté à chaque séance, dans le genre vexation, et le plus marrant c'est que peu à peu tout le monde acceptait ça, comme principes de base et morale commune, la guerre de position et la loi de Fernanbel, même notre prof principal Madame Sylvie Pons, qui était gentille mais conne, mais lâche, mais gentille, mais prof quoi.
    Moi j'aurais bien renaudé, j'étais un peu des transports Mazzolini par le beau-père mais je faisais pas 80 kilos et je jouais pas au rugby, il y avait plein de barbus qui venaient voir l'espérience théatreuse et qui nous regardaient comme des animaux, même des types du Ministère.
    Le mieux c'est qu'au bout de quinze jours la haîne était bien installée entre nous et qu'on se causait plus entre blancs et noirs, ah là ce qu'y godait le Fernanbel ! Et la Miss Destop qui était toute mouillée, elle aussi !
    -Oui ça vient bien, je suis content, il répétait l'auteur en nous regardant, s'entrefoutre sur la gueule pour n'importe quoi.<o:p> </o:p>


    *

     Et moi comme un con je sais pas comment un jour de répétitions où ça valsait sévére, je me suis retrouvé au milieu et puis en dessous et je me suis réveillé à l'hosto et Etienne d'O. quand je suis sorti devant les caméras du journal de FR.3 de 19 heures 12, il a dénoncé le retour de la bête immonde et Maman qui le connaissait par cœur le bonhomme elle lui a balancé son bouquet à travers la gueule et elle lui a dit :
    -Lui, il ramasse son os et il retourne à la niche !
    Au passage Perez y Perez qui accompagnait Maman il lui a mis un gentil coup de genou dans les couilles eh ben ça l'a pas arrêté Etienne d'O. et y fallait le voir cassé en deux et se tenant les balloches, se forcer à sourire et lever le bouquet en l'air comme un vainqueur du maillot à point dans le Tour de France pendant que nous on repartait tous ensemble dignement dans la bagnole à caravane du Cirque Jean Richard Jaune et rouge de Perez y Perez.
    Mais sur France 3 au journal de 23 heures 13 on a vu que le discours d'Etienne d'O. pas l'arrivée de l'étape ni le départ de la caravane.


    4.

    Pour en revenir aux motards, un jour y s'en est pointé un et il avait une lettre de la Présidence, mais c'était pas pour maman, c'était à moi qu'elle était adressée: une invitation pour aller bouffer à l'Elysée pour Noël.
    Vrai, Maman elle m'a récuré pendant trois jours, il fallait voir comme j'étais beau au final, les santiags cirées, l'authentique cravate en soie phosphorescente et la chemise rose à jabot de dentelles moussantes que m'avait refilées Perez y Perez avec son costard de gala à rayures larges rouges et noires.
    Il faut dire que pour Maman le gitan c'était le modèle insurpassable de l'élégance masculine.
    C'est d'ailleurs lui qui m'a accompagné jusqu'à l'Elysée dans une Mercedes rose qu'il venait de lever. Dés qu'on s'est pointé ils ont remonté le pont-levis, fait tomber la herse et regarnit les crêneaux en archers ça a vite pleuvu des hallebardes et le GIGN nous est tombé sur le rable.
    Résultat on s'est retrouvé tous les deux à poils dans le poste de police du palais.<o:p> </o:p>
    Heureusement Perez y Perez avait eu le temps dans un réflexe de grand taulard de se carrer mon invitation dans l'orifice et dés qu'il a eu les mains libres il est allé à la pêche et il l'a ramené en surface, un peu chauffée (il bouffait vachement pimenté le grand d'Espagne) mais encore lisible, même par un gendarme.
    Alors ils te nous ont tous salué et on a pu se rhabiller. <o:p> </o:p>


    *

    Quand même ça m'a mis en retard toutes ces formalités et quand je me suis arrivé dans la salle à manger ils étaient déjà tous à table et là où j'ai été déçu c'est quand je me suis aperçu que le Mitérance il était pas là. Autour de la table il y avaient une vingtaine de personnes, que des garçons, ça allait de cinq à cinquante ans, ils bouffaient leur consommé en faisant des slurp plus ou moins sonores, au vrai je me serais cru dans un réfectoire de pension de province, d'abord je leur ai trouvé à tous d'assez tristes gueules. Sans doute que la soupe devait pas êt' bien fameuse, on m'a avancé une assiette et une chaise, je m'y suis collé avec les autres, c'était froid. On avait même pas vue sur les jardins mais sur un coin de cour pisseux et le service était plutôt du style fonctionnaire de base vite fait, mal fait, ça te singeait l'ancien régîme mais il y avait toujours un petit détail soviétique qui vous rappelait qu'on  était bien en république et que la grâce et la haute civilisation avait déserté pour de bon, pli de nappe trop marqué ou traces de doigts sur les cristaux d'un peigne-cul de service.    
    Le môme qui était à côté de moi et qui était le benjamin de l'équipe faisait des efforts visibles pour finir sa soupe :
    -Si t'en as marre t'as qu'à me la refiler. Je lui ai proposé, parce que depuis tout môme les mômes ça me fait chialer.
    -C'est vrai toi t'aimes cha la choupe toi ?
    -Non, mais je me démerderai pour la faire passer.<o:p> </o:p>
    Et au premier entracte j'ai balancé la collecte de soupe que j'avais organisée dans la plante verte la plus prôche, ouverte l'après-midi, elle a pas trop apprécié, elle a fait gluurb ! et elle a perdu de l'altitude et du maintien.<o:p> </o:p>
    Le plus vieux parmi les anciens, un type propret, 70% couennerie, 25 % Dralon et 5 % fibres divers a protesté :
    -Allons, allons un peu de tenue, pour les nouveaux arrivants je leur rappelle que nous avons l'honneur d'être invités dans un palais de la République.
    -Un meublé de la république tu veux dire ! A rectifié un autre type que j'avais pas remarqué jusque là, il devait avoir dans les quarante ans et portait une énorme barbe, des lunettes épaisses en fausse écaille et un pull détricoté qui le vieillissait un peu plus, il était à la limite de la cloche et lui n'avait pas fait d'effort de présentation.
    Après la soupe il y avait du roastbeef trop cuit et j'ai découpé les tranches du môme qui y arrivait pas, les patates sautées avaient pas dû sauter bien haut ou elles étaient retombées trop fort, elles étaient toutes molles:
    -Y'a pas des frites... le bisteck c'est bon avec les frites !
    -Mais sûr qu'y en a, y a qu'à demander... garçon deux portions de frites en terrasse !
    Ma commande a réveillé le mec en veste blanche qui ronflait dans un coin, il s'est à moitié écroulé et puis y  s'est cassé, sans doute pour demander des ordres, il a pas mis dix minutes avant de revenir avec des frites.. molles. 
    Le môme était content, moi j'ai arrêté là les frais et j'ai allumé une Marlboro.
    -Voilà la tabagie qui commence a dit l'ancien !
    -Padillac !
    -Oui.
    -Merde !
    C'était l'un des deux jumeaux qui étaient en face de nous qui venait d'assaisonner l'ancien, Padillac donc.
    Ils avaient dans les vingt balais, et sentaient leur XVI° à plein nez, portant blazer et cravate crânement :
    -Nous c'est les frères Ribaudeau-Potard, Jean-François et Jean-Louis... t'es nouveau, toi t'étais pas là l'année dernière ?
    -Ah non... c'est la première fois, mais au juste c'est quoi ça ?
    -Le souper des batards. Tu n'étais pas au courant. Commémoration annuelle depuis qu'il a pris l'Elysée et les champs environnants.
    -Les nistons à Jupiter. Le club le plus privé sinon le plus sélect ou le moins fourni de Paris. A précisé un grand pédé tout en jambes qui avait gardé son imperméable. (à suivre...)
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