• La vraie soupe au mégot parisienne par G.M.Neoletto 1/2

    La vraie soupe au mégot parisienne par G.M.Neoletto 1/2

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    Avec Jean-Nick Kloporth nous sommes amis depuis bientôt dix ans, nous avons fait Sup de Conss' ensemble, promotion Jean Luc Delarue. Sup de Conss', oui ce n'est pas encore très connu, c'est l'Ecole Supérieur de Contrôle Sociale. Nous sommes tous deux fonctionnaires, lui travaille au Laboratoire Central de Paramétrage Social LCPS et moi à l'Observatoire Parisien de Conduites Antisociales non Agrégogênes OPCANA. Les crétins qui rêvent de revenir à la loi de la jungle nous qualifieraient sans doute de flics sociaux mais je pense que nos missions sont quoiqu'on en dise d'une grande utilité.

    Malgré les RTT, les 21 heures de boulot hebdomadaire, les pauses café, apéritives, repas, digestives (non l'addition c'est en face !), les congés maladies, ressourcement, éthiques, les formations aux nouvelles réglementations administratives, formations aux nouvelles simplifications administratives, formations aux nouvelles formations. Bref en dépit d' un planningue dingue, nous trouvons encore le temps une fois par mois de nous faire de petites bouffes.

    Le mois dernier il m'avait gâté en m'invitant chez Jean-Luc Le Gerbeur à La Compoilade Boulevard Eddy Merckx dans le 5° où j'avais dégusté un Haricot de Mouton servi en tube (oui comme le dentifrice !) accompagné d'escargots à la nage (indienne): une merveille ! 

    Ce mois-ci me revenait donc le choix du restau' et je me décidais en contraste avec toute cette modernitude pour l'authenticitude d'un vrai bistrot parisien et lui donnait rendez-vous au Sapeur Couronné rue Jacques Anquetil dans le 18°. 

    L'établissement était tenu depuis cinq générations par la même famille d'auvergnats, ce n'était pas l'un de ces remakes, au demeurant fort sympathiques, où un couple de jeunes gens régressifs: très comme il faut en noir amincissant font comme si, jouent à la marchande, au mastroquet comme avant : à preuve on a gardé le zinc en strat années 50, mis des affiches et des photos d'époque aux murs et on a même engagé à l'année un poivrot qui a sa licence professionnel.

    Non là le tenancier était poilu de partout, il lui en sortait même des oreilles, il avait un accent chuintant et plus important que tout un mégot perpétuel au coin de la bouche.

    Car la spécialité du restaurant c'était la vraie soupe au mégot à l'ancienne, je sais que pour certains de mes collègues hygiénistes sociaux de strict observance cela peut heurter leur croyance profonde et sembler une pratique quelque peu transgressif sinon blasphématoire mais enfin si l'on veut conserver à la vie parisienne un peu de son charme natif il faut montrer une certaine tolérance vis à vis de l'indigène et de ses coutumes, et puis quoi ! même si je ne prise pas loin de là les carreaux vichy (qui me rappelle un peu trop la période la plus sombre de notre histoire) j'aime à me laisser aller dans une ambiance désuète et surannée  même si je me replonge tout de suite après dans les délices de notre contemporanéité compulsive. A ce propos j'ai lu quelque part que la mairie de Paris allait  remettre en service une compagnie de sergents du gay (je ne suis pas sûr de l'appellation exacte) qui nous prouve assez que même dans une ville musée il faut des gardiens et savoir renouer avec des traditions utiles.

    Le tramway à gazogène étant une fois encore en panne (on doit assumer les aléas du progrès). J'avais pris un vélo-taxi et pour une fois le type n'était pas un fainéant, j'arrivais en avance, j'en profitais pour me faire cirer les chaussures devant l'entrée du restaurant. Jean-Nick lui eut un peu de retard et dés son entrée je lui plaçais ma première semonce :

    -J'espère que tu as fait attention et que tu n'as pas encore garé ton vélo sur un passage clouté, deux fois dans la semaine ça fait beaucoup !

    -Ah ma vache là tu m'as eu : 1-0 !

    C'était un rituel entre nous que de mettre en avant les fautes sociales de l'autre commis au cours du mois écoulé ; rien de plus simple grâce à nos fonctions nous avions chacun libre accès aux fichiers et il nous suffisait de les croiser.

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    C'est pour ça que j'ai voté Sarkopéte,  parce qu'il a compris, lui, et avant tous les autres que le croisement des fichiers et le flicage mutualisé était la grande aventure du 21° siècle : nos cathédrales à nous !

    Je posais sur la table la cellophane entourant la barrette de shit Equitabeule Traide que je venais d'acheter dans un distributeur automatique (ghanéen) à la sortie du métro.

    -Ne jette pas l'emballage n'importe où pour un type qui a eu un avertissement pour tri non réglementaire de ses déchets cela peut être grave ! 1 partout !

    Ah l'enfoiré il avait lui aussi croisé les fichiers: de fait j'avais écopé d'un avertissement quinze jours auparavant pour avoir mis un pot de yaourt vide (bio le yaourt quand même !) dans le mauvais container d'une amie chez qui je passais la soirée, la police avait remonté la filière grâce aux traces ADN laissées sur l'opercule fermant le yaourt (je fais partie des 77 % de consommateurs de yaourts qui lèchent l'opercule) et j'avais passé 16 heures en garde à vue au commissariat du 15 °.

    Nous nous racontâmes quelques anecdotes de travail, Jean-Nick me raconta en particulier qu'il avait participé à une opération de gendarmerie visant à retrouver dans un village de la France rurale un type (après un profilage serré on était sûr du sexe de l'individu) qui envoyait des lettres anonymes à fort contenu discriminant et sexiste à la députeuse UMPpiste du cru, l'opération avait été remarquablement combinée: à six heures du matin neuf cents gendarmes mobiles en treillis et la mitrailleuse à l'azimut avaient investi le village, parqué les 380 hommes de plus de seize ans dans un parc à bovins, déroulé les barbelés et monté le mirador (ils ont en des pliants très commodes maintenant) et ils te leur avaient gratté la glôte à fins de recueillir les traces ADN.

    Le maire un extrémiste, élu du Flan National avait protesté que c'était là des méthodes dignes de la Gestapo, mais manque de chance pour lui après une rapide perquisition il fut trouvé à son domicile des armes de guerre: couteau suisse (allemand) à décapsuleur renforcé:

    -J'ai fait l'Algérie. Fut sa seule explication.

    Il l'avait faite mais du mauvais côté. Il suffisait de voir les décorations qu'il affichait sans vergogne dans sa salle à manger.    

    Malheureusement la moisson n'avait pas été suffisante l'anonyme utilisant des enveloppes autocollantes et pré-timbrées ce qui laissa nos pandores perplexes.

    Le juge d'instruction, c'était Plombiveau, ordonna alors de procéder à un second grattage mais à l'opposé soit au niveau du rectoum de chacun des 380 suspects, il avait repéré des traces douteuses sur les missives, ce qui fut fait, sans protestation cette fois, l'édile rétif ayant été incarcéré entre temps (il purge une peine de deux années de prison pour refus d'obtempérer à un banal examen qui nous en aurait appris bien plus sur lui et sa destinée terrestre que n'importe quel introspectif moyen n'en découvrira jamais sur sa propre personne !).

    Hélas là encore ce fut  sans grand résultat, hormis un taux un peu supérieur à la moyenne d'hémorroïdaires.

    Mais on ne soulignera jamais assez combien le métier de gendarme est devenu une activité passionnante, outre le grattage de conduit (dans les deux sens) sur suspect, le gonflage et dégonflage de ballons multicolores, le planquage derrière panneaux pour surprendre le contrevenant et autres disciplines nourrissantes, s'est ajouté la pratique de la psychologie.  

    L'un des brigadier chefs profileurs assermentés eut l'idée somme toute astucieuse de faire procéder à une analyse ADN des fautes d'orthographe, de syntaxe et de ponctuation et grâce à cela le coupable fut confondu: un garçon de ferme solitaire et renfermé...

    -... en bonne justice il devrait en prendre pour vingt ans... si le lobby onaniste ne fait pas pression ! Conclut un peu désabusé Jean-Nick.

    Ah les groupes de pression c'est notre hantise quoique je ne conteste aucunement leur nécessité.

    Après quelques anecdotes du même tonneau glanées au long de nos divertissants travaux de fonctionnaires/factionnaires le grand moment vint enfin: toute fumante et odorante arriva la soupière porté à grand train par la belle-fille du patron :

    -Bon appétit messieurs !

    L'appétit ne nous fit point défaut, nous en reprîmes deux fois chacun.

    -Alors tu en penses ? Demandai-je à Jean-Nick.

    -Elle est fameuse ! Il y a longtemps que je n'avais pas bouffé une soupe au mégot aussi bonne !

    La soirée se passait donc au mieux et nous nous dirigions gentiment vers les sempiternelles et loyales profiteroles quand je ressentis le besoin de me rendre aux vaters.

    Ils étaient parfaitement tenus, l'on devinait que c'était là le domaine réservée de la patronne, elle y avait apporté sa touche personnelle de mauvais goût franchouillard : abattant en bois mouluré, balayette haute époque en vrais poils de sanglier et porte-rouleaux surdoré, bref on y était bien et j'y musais quelque temps.

    Malheureusement sur le chemin du retour je me trompais de porte et là je vis... je vis simplement ce que sans doute je n'aurais pas du voir, l'innommable: le cuistot auvergnat tout érigé qui trempait son doigt dans la sauce à fins de la goûter et  savoir si elle était ou non trop salée. Il fit plusieurs fois le geste, trempant et re-trempant jusqu'à satisfaction. J'en fus... on le comprend bien... bouleversé et quand je revins à notre table Jean-Nick vit mon changement :

    -Qu'est-ce que tu as Jean-Fultre ?

    Je n'arrivais pas à articuler, enfin je bredouillais :

    -Il... il trempe...

    -Tu veux dire... tu es sûr ?

    -Je l'ai vu de mes yeux vu : il trempait son gros doigt dans la sauce.

    -Ah ben ça alors...

    Il était aussi anéanti que moi. (... à suivre...)
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