• Divin meublé! 1/1 par A.Sottos

     

    Divin meublé. 1/1 by A.Sottos

     

    Je suis stagiaire au Cabinet Auguste Couhard du Plessis-Les-Meules, c’est la principale agence immobilière du pays. Ce jour-là nous avions été  appelés avec le vieux père Couhard par une vieille dame pour faire une estimation de son pavillon, elle habitait dans les vieux quartiers du Plessis, tout en haut de la colline d’Acremont .

    L’endroit était charmant, même si les immeubles récents que l’on y avait bâtis en contrebas défiguraient un peu le vieil et digne Acremont tout chamarré de vigne-vierge, de clochetons troubadours et de décors émaillés.

    La propriétaire nous attendait, une vieille dame à l’ancienne, plus comme l’on doit que comme il faut, une petite vieille indémodable que cette veuve Cornepied née Le Trouhaduc. Elle nous avait préparé un thé avec brioches et confitures, et elle nous l’a servi avant de nous raconter l’histoire de sa maison.

    -C’est mon arrière-grand père Célestin Le Trouhaduc qui a fait construire la maison, quoique marié et père de neuf enfants il était diacre, c’est pourquoi on l’a toujours appelé la maison du diacre. Il avait gagné le terrain au jeu à un anglais pendant la bataille de la Somme. Il ne connaissait pas le pays mais dés qu’il est venu ici tout de suite il a voulu faire construire... à cause de la vue...

    Nous étions devant la grande baie cintrée à petit bois ouverte dans le mur du salon :

    -A droite vous avez le col de la Pognée, au milieu c’est le massif des Tringlettes et sur la gauche on peut voir Dieu.

    J’avalais de travers mon thé pendant que le père Couhard qui avait du métier se mettait en pilotage automatique.

    -Ah tiens don’ ! s’étonna-t-il sans y mettre trop d’intention. 

    Elle s’était levée pour aller chercher dans une encoignure d’énormes jumelles de marine qu’elle tendit au Père Couhard :

    -Donnez-les à mon jeune collaborateur, il a de bien meilleurs yeux que moi.

    -Tenez regardez bien jeune homme... plus bas... là... vous voyez pas le gros orteil  qui bouge...

    J’ajustais un peu mieux les grosses jumelles de marine:

    -Ah  non je ne vois rien... sinon... oh merde... c’est pas possible !

    La partie haute était masquée par les nuages mais la partie basse était bien visible et sensiblement animée et comme impatiente.

    Elle m’avait repris les jumelles :

    -...et là-bas à gauche par grand beau temps on voit un petit bout du paradis... et même j’aperçois quelques fois mon Raymond défunt, mon époux, Monsieur Cornepied, il me fait des signes. Il m’ennuie. Je sais pas trop ce qu’il fabrique là-bas c’était pas tellement son genre, sans doute une erreur de l’administration.  

    Le Père Couhard s’était levé et avait pris les jumelles pour se rendre compte « de visu ».

    -Et donc vous voulez vendre Madame ?

    -Oh oui moi je quitte pour entrer en maison... de retraite... un pavillon c’est de l’entretien... non vrai c’est trop de travail à mon âge, pour ça aussi que je le vends tout meublé, de toutes les façons ça rentrerait pas dans mon studio.

    -Eh cela ne vous manquera pas ? Je veux dire la vue... étonnante que l’on a depuis chez vous !

    -‘pensez don’ on s’en lasse vite... et  là-bas dans mon nouveau logement de la place Jean Sarkozy c’est pas la vue qui manque, on a vue sur le Stade Nelson Pinochet au nord et sur le Shopi Augusto Mandela au sud. Et puis ici il y a le bruit... vous n’entendez pas ?

    Nous tendîmes chacun une oreille et bien vite les deux dans un bel unisson avant de le distinguer enfin: le son, on aurait cru le bourdonnement joyeux et tellurique d’une énorme cour de récréation qui enflait comme la mer mais sans jamais se libérer par la vague, c’était très étonnant, tout à fait inhumain, sans fin ou recommencement,  soir ni matin.

    -A la longue c’est entêtant !

    Le Père Couhard fut le premier à remonter en surface et à ouvrir sa serviette :

    -Très bien chère Madame, on va signer quelques papiers et établir un mandat mais je vous préviens, il faudra se montrer raisonnable c’est quand même pas le bien courant qu’on vend dans la semaine, on va devoir faire de la publicité, passer des annonces...

    Pour ma part je ne comprenais pas sa réserve et je sortis de là plein d’enthousiasme:

    -Non mais vous vous rendez compte monsieur Couhard un pavillon avec vue sur le Bon Dieu.

    -Oui eh bien t’excite pas trop mon gars, ça m’étonnerait qu’on ait la clientèle pour ça.

    Le plus étonnant c’est qu’il avait raison, oh des visites on en a faites, des célibataires mystiques, des défroqués nostalgiques, des communistes borgnes et des libre penseurs pas encore convaincus on a même eu quelques couples très convenables et solvables intéressés par la maison mais, à chaque fois la femme faisait remarquer qu’il manquait une place de parking, que c’était trop isolé ou trop vieillot et qu’il y aurait trop de frais pour remettre en état et à chaque fois le mari obéissait et quittait le jeu à regrets. Moi-même tenté par le... le potentiel du bien, je l’ai fait visiter à mon amie:

    -Mais ce bruit !... oh c’est horrible on dirait des enfants ! Je supporterais pas et puis on est loin de tout ici.

    Loin de quoi ? Loin du reste mais si près du Bon Dieu ! Et comme les autres, avec les autres, après les autres, j’ai compris que les femmes ne nous sauveraient plus, que l’on était passé de l’Ève fautive à l’Ève coupable et qu’elles nous condamneraient cette fois définitivement.

    Quand même je venais souvent l’après-midi, pour me rendre compte, la propriétaire n’habitait plus le pavillon et je restais des heures à voir et écouter, à ne plus être seul au monde.

    Et puis un jour, après deux ans, le Père Couhard a débarqué dans mes habitudes avec un couple de jeunes gens modernes, des parisiens en exil fonctionnaire au Plessis-Les- Meules :

    -Tiens qu’est-ce que tu fais là toi, tu avais une visite ?

    -Oui, oui mais ils sont pas venus... ils ne viendront plus.

    Les jeunes gens modernes ont fait l’affaire dans la semaine à un très bon prix, il y avait des frais pour transformer un joli pavillon début de siècle en une espèce de morgue proprette et ripolinée. Ils ont aussi fait construire un mur anti-bruits dans le jardin et puis ils ont muré la grande baie et installé un immense  écran de télé dessus.

    version imprimable:http://revue.lurbaine.net 

     

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