• Déconstructons! A.Sottos 2/2

    Jean-Mich Beurleymois, élu local, de la race des déconstructeurs de cathédrales .
    A.Sottos 2/2
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      On a été obligé de contacter le curé, le Père Ardouin qui desservait Sainte Euphrasie en même temps que 74 autres paroisses, il venait à Sainte Euphrasie, une fois l'an seulement, pour le Te Deum des Otages, une tradition qui remontait à un vœu datant de la guerre de 70 après que les prussiens eussent relâché des Plessislesmeuliens qu'ils avaient pris en otages.

    Il avait soixante douze ans, c'était un curé post-conç (post-conciliaire note de la rédaction), pour lui le compteur était resté bloqué sur les années 70 et il recevait tout le monde à cul ouvert,  il nous a répondu que c'était une riche idée qu'il avait voulu l'offrir comme temple aux adorateurs de Krishnou mais qu'ils n'en avaient pas voulu à cause du manque de chauffage, que tout ça c'était des vieilleries et qu'on foute don' tout par terre comme ça il n'aurait même plus à se déplacer pour ce foutu Te Deum !

    Malheureusement tout le monde ne montra pas la même attitude consensuelle et en pleine séance du conseil municipal qui devait entériner la déconstruction de Sainte Euphrasie la Mère Chouplot débarqua, elle avait le fusil à la main et son homme  lui courait derrière avec les cartouches et la musette :

    -Paraîtrait-il que vous voudriez raser Sainte Euphrasie bande de saligauds !

    Jean-Claude Moulzandeux, notre maire a fait face :

    -Mais bien sûr que non madame Chouplot, il est hors de question de raser l'église, nous allons simplement la déconstruire !

    -Ah bon ! Mais qu'est-ce qu'y m'a raconté ce grand con ! S'étonna-t-elle en se retournant vers son époux. Et comment c'est –y-que vous allez y faire monsieur not' maire?

    -Oh vous l'allez voir, madame Chouplot, c'est beaucoup plus moderne : lors d'une démolition normale on amène un bulldozer, on rase tout et on prévient pas la presse... et tout le monde proteste, lors d'une déconstruction : on amène un bulldozer, on rase tout et on prévient la presse... et tout le monde applaudit.

    Elle est resté deux minutes silencieuse la Mère Chouplot, elle nous a tous regardé et :

    -Raymond les cartouches !

    Ah ça a été une sacré courette dans la salle du conseil municipal, pourtant je croyais que depuis de récentes affaires une loi avait été promulguée qui interdisait complètement la chasse à l'élu surtout pendant les conseils municipaux.

    On a fait enfermer la mère Chouplot et tant qu'on y était le maire a aussi fait embarquer le père Pipart pour consommation de gaufrettes sur la voie publique et Max Poinsseau parce- que ses meules (de foin s'entend) n'étaient pas aux normes européennes modèle 99/24 révisées 09/05 modifiées 12/06.

    Mais le problème du budget municipal n'était toujours pas réglé, on a mis aux voix la déconstruction de l'église il n'en a pas manqué une seule.

    -Je propose d'ériger à la place une éolienne de 72 mètres de haut symbole de l'ouverture du Plessis-les-Meules et des Plessislesmeuliens à la contemporanitude et de notre prise de conscience à tous des enjeux écologiques du XXII° siècle... et suivants

    C'est dire s'il voyait loin notre maire. Encore un visionnaire, il commençait à y avoir de la concurrence.

    Pour la déconstruction  de l'église et l'érection de l'éolienne géante on a fait une grande fête, on a dansé sur les ruines, on a fait des feux, on s'est mis des plûmes aux cul, pour rigoler et on a re-dansé autour des feux, on a joué du bidon, fallait voir Jean-Claude il était quasiment en transe et avec la sous-préfète ils ont fait l'amour devant tout le monde, c'était très beau avec les flammes qui les éclairaient ; sur le coup de cinq heures du matin alors qu'on était tous en adoration devant l'éolienne géante sur fond de soleil levant, il est arrivé un motard belge qui avait paumé son chemin, je sais pas qui a proposé de faire un sacrifice pour inaugurer les temps nouveaux loin des obscurantismes passés.

    -Allaye don' mais voulez-vous bien me lâcher bande d'emplumés !

    On a rattrapé le motard belge sur la route nationale et Plombasec le boucher l'a paré très proprement.

    -Je le barde ou pas ?

    Après on s'est tous senti mieux et on est allé se coucher.

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    Pendant six mois tout a bien marché, l'éolienne donnait tout ce qu'elle pouvait, c'est pas le vent qui manque par ici mais on a vite grillé les batteries et elle est tombée en panne une dizaine de fois, ça ne faisait rien il y avait un moteur auxiliaire et on la faisait marcher au mazout parce que les gens d'ici y auraient vu un mauvais présage si elle était restée immobile trop longtemps et Jean-Claude notre maire il tenait à sa réélection.

    De toutes les façons pour obtenir les pièces il fallait s'adresser au Tadjikistan parce  que le fabricant hollandais sous-traitait le service après vente auprès d'un industriel local, le temps qu'ils nous dépêchent un dépanneur à cheval, on perdait bien trois semaines, c'est bien l'Europe mais c'est pas encore assez grand tant qu'on aura pas intégré les steppes d'Asie centrale ça servira pas vraiment. Ceux qui habitaient sur la place de l'ex-Eglise se plaignait bien un peu du bruit mais bon il faut aussi savoir faire des concessions au confort quand c'est pour l'avenir de la planète.

    Avec tout ça le budget communal battait de l'aile, on a déconstruit encore le monument aux morts qui comme l'a dit le maire était plutôt un monument à la guerre et loti le cimetière communal pour donner des logements aux fonctionnaires de l'Observatoire de Branlettogie Urbaine (ou quelque chose comme ça, je me souviens plus exactement de quoi ils s'occupent mais eux non plus alors !) qui nous arrivaient par cars entiers.

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      Et puis une fin d'après-midi de Novembre sur le coup de six heures un minibus est arrivé sur la place, à l'intérieur il y avait le quatuor Bortak.

    -Merde ils viennent pour le  Te Deum ! Me suis-je exclamé ! (j'aime beaucoup m'exclamer, surtout en public !)

    Cela faisait bien trente ans qu'ils venaient chaque année le quatuor Bortak pour une unique représentation, celle du Te-Déum des Otages, ils étaient tous aveugles, père, mère, neveu et nièce il n'y avait que le fils qui ne l'était pas, il conduisait les orgues et le minibus, manque de pot nous a expliqué le vieux père il était mort au Printemps .

    -Mais ne vous inquiétez pas il est toujours avec nous, tout ira très bien. Comme à l'ordinaire.

    L'ordinaire il avait quand même un peu changé mais à les regarder s'habiller, déployer leurs pupitres, s'échanger les partitions (en braille!) et s'installer comme chaque année, personne n'osait trop leur signaler qu'il n'y avait plus d'église au dessus de leurs têtes et que les orgues eux aussi avaient disparu.

    Il y avait autre chose qui nous trottait: on se demandait qui pouvait bien conduire le minibus.

    Petit à petit tout le monde s'est rassemblé autour du quatuor d'aveugles, la même foule que chaque année, l'éolienne s'était mise à ronfler, il y avait un vent à décorner un président de la République.

    Le spectacle était comique: ce minuscule chef d'orchestre à baguette et canne d'aveugle, en habit de soirée, au pied de notre blanche, énorme et meuglante éolienne.

    Soudain le vieil aveugle s'est tournée vers l'engin, il a tapoté de sa baguette sur son pupitre et l'hélice s'est  arrêtée de tourner, malgré le vent terrible et maudissant.

    Sur ce le vieil homme  a pointé sa baguette vers l'emplacement de la grande tribune où se tenaient avant leur démolition les orgues de Sainte Euphrasie, il l'a levé sans faiblesse... et les orgues ont retenti comme je ne les avais jamais entendus.

    « www.jarretelagaufrette.gouv.encWalter Chéchignac 23 par H.T.Fumiganza »
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