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    15 Aôut

     

    15 Août: Fête nationale de notre vieille France. Fête de l'assomption de la très sainte vierge. Que de souvenirs j'ai de ces processions à travers la campagne de Bonpèze où enfants de choeur nous défilions aux côtés de l'Abbé Pellefigues derrière la statue de notre Sainte-Mère et au milieu des bannières et des chants.

    Je retrouve dans une armoire mon vieil uniforme de chef scout, je le mets, j'y rentre encore, le temps a passé je ne suis certes plus ce jeune homme de quinze ans assez étincelant d'après mon souvenir, ou d'après d'autres ce "guenuchon neurasthénique" c'était là mon totem, à l'époque  je montais aisément aux arbres (je ne fréquentais point encore les dames) et je traversais de longues périodes d'apathie morale mais ne nous apitoyons pas, le short n'est pas trop short. Je mets les bas de laine aussi et le sifflet et le chapeau et les pataugas et je descends comme ça, très réglementaire sinon tout à fait élégant, sur la terrasse où les enfants, ma Poupetkë et la belle-mère prennent le petit déjeuner et me découvrent en cet étonnante tenue qui marquent de manière éclatante, quoique assez peu confortable cela me sert aux cou...des, la fidélité à mon passé et à ma foi.

    -Et où allez-vous ainzi aggoutré mon ami?

    -Faire un petit tour ma chérie.     

    -Moi jé té dis qu'il est gomplétement fondu ce gon-là! Commente la reine-Mère en se resservant en alka-seltzer.

    Je rejoins la procession sur la place de l'église. Le curé de Bonpéze le père Prosper-Théobald Obouduban-Oujustandsou  un solide congolais, fier buveur et qui posséde une très belle voix de basse, est fort désappointé, l'un de ses enfants de choeur n'est pas là:

    -Je crois bien que ce petit saligaud est-t-allé-z-aux putes à Sainte Peyre! Il me manque un porte-bannière, vous marchez avec nous Monseigneur?

    -Je suis tout à votre disposition mon père, cela me rappellera ma jeunesse.

    La vérité est que j'ai longtemps rêvé de porter bannière mais c'était toujours Jean-Pascal Bourmous, le fils du notaire, le préféré de l'Abbé Pellefigues qui y avait droit.

    L'abbé s'adresse à nous avant le départ:

    -Et si vous êtes bien sages les enfants vous aurez des pains-z-chocolat au goûter. Et n'oubliez pas on tient la ligne, on lâche rien et l'on ne marche pas sur les aubes.

    Je regarde mes collégues enfants de choeur, ils sont comme moi très concentrés, il s'agit de ne pas se louper pour décrocher les pains-z-au chocolat.

    Bien entendu on l'aura compris il s'agit là d'une revanche que je prends sur l'élément protestant de notre famille car la procession tourne traditionnellement trois fois autour du château .

    Quand nous arrivons en vue de château Bonpéze je hausse le son, les cantiques s'enchaînent et je hisse un peu plus haut nos couleurs sacrées.  

    Voualtère Brummelich (liche tant qu'il peut le bien nommé!) le patron du Baltou qui est correspondant du Beaufinois Libéré prend des photos.

    -Achtung! Bittë On zourit! Dankë!

    Premier tour, ça bouge sur la terrasse, les enfants me font des signes, deuxiéme tour la belle-doche monte en ligne et s'agite, troisiéme tour ma Poupetke rappelle tout son monde. Quelle autorité! Qui n'a jamais vu ma Poupetkë commander un demi en terrasse ne sait pas ce que c'est que l'autorité.

    Ah ça chiffre tout de suite les processions dans le coin, nous n'avons pas loin de vingt kilométres dans les jambes quand nous nous attablons enfin sur la place de l'église où trêteaux et bancs ont été installés, je régle trois tournées supplémentaires de pains-z-aux chocolats et de chocolat-t-au lait à mes collégues et quelques autres surnuméraires de pastis à tous les autres, le boulanger apporte aussi des Bouffles ce sont des gros pains farcis de cailloux en praslines, dans le temps c'était des vrais cailloux, avec cela que l'on se rendait aux champs, cela vous lestait pour la journée, le Beaufinois était un pays pauvre et les jacqueries se terminaient souvent par des festins païens et assez inconvenants, j'ai eu quelques ancêtres Bonpéze ainsi mis en brôche et dévorés par des paysans sans égards pour les dépositaires de l'autorité qu'ils étaient. Sans compter que d'un simple point de vue diététique cela ne devait pas être bien fameux.

    -La Guenuche! Béh mais qu'est-ce tu fous là?

    Je me retourne vers le quadragénaire et demi flanqué de deux gamins qui m'apostrophe :

    -Bourmous, le fils du notaire, tu me remets pas? Gerboise Indomptable, la 1° Bonpéze .

    -Bourmous ça alors! Mais ce n'était pas plutôt Gerboise Honteuse...

    Je dois à la vérité historique de ne point celer ce détail, car le cher Bourmous avait gagné ce surnom parce que sitôt repas pris il allait se cacher dans les bois pour "gerber".

    -Non pour les gamins c'est "gerboise indomptable", je préfére.

    -Tu en as combien comme ça?

    -Sept .

    -Bravo.

    -C'est plutôt toi qu'il faudrait féliciter, alors t'es altesse pour de bon. Comment faut-y- t'appeler Monseigneur?

    -La Guenuche, ça va bien et ça me rajeunit.

    -Alors Monseigneur La Guenuche t'as fini par la décrocher ta bannière, je suis arrivé trop tard, j'avais encore du travail à l'étude.

    -Tu as repris l'étude de ton père?

    -Qu'est-ce que tu veux, la tradition, je suis la neuviéme génération de Maître Bourmous notaire à Sainte Peyre de Clerc en Beaufinois. Quelques fois j'ai l'impression d'être un portrait de famille, d'être déjà peint.

    -Bah bah bah ! Rien de plus honorable que de poursuivre la tradition familiale. Ton fils la continuera, le mien aussi et nous pourrons nous mettre hors du coup et parfaire notre salut au large.

    -Tu as sûrement raison  et puis j'ai jamais eu trop d'imagination pour m'inventer un destin comme toi Monseigneur La Guenuche.

    -Maître Bourmous, je vous le dis, avec la meilleure volonté du monde, l'on ne devient jamais au mieux que des personnages.

    "Conversations entre Monseigneur La Guenuche et Maître Bourmous" ce pourrait être le titre du tableau, nous ne sommes que des enfants grimés qui essaient de se faire le plus ressemblant possible à nos rôles. Vanités et fards de l'humaine destinée.   

     

    Peu à peu d'autres personnages nous rejoignent sous les quiets tilleuls de la place Césarin Pébre qui semblent bayer au soir, l'abbé Obouduban-Oujustendssou vient de dire sa dernière messe et a fini sa journée, Jacky Le Chombard passait par là et Voualtère Brummeliche a quitté son comptoir et délégué la conduite de son bar à son épouse Marilyne née Cabressous second bien fessue et qui tient ferme au cap.

    Est-ce échauffement naturel entre grands mâles, effets de l'alcoolémie ambiante ou influence pernicieuse des exhalaisons mellifiques des tilleuls sus-cités nous en arrivons à la conclusion unanîme que l'époque n'a guère de vertu et qu'il convient de la punir pour son impudente outrecuidance.

    -Il faut lui foutre au cul!

    Jacky Le Chombard nous montre la place maintenant vide:

    -Savez-vous où ils sont tous ? Devant leur foutue télé! Et il est où le lien social? Carbonisé le lien social!

    Ce garçon me semble s'exalter un peu vitement, mais l'on aura noté que mes réflexions antèrieures sur l'influence maléfique de la télévision  rejoignent d'assez prés ses préoccupations.

    Maintenant tout en confiance il m'avoue avoir mené quelques actions  symboliques quoiqu'illégales tout à fait dans nos idées, il a même saboté un relais de télévision et revendiqué derechef la paternité de l'attentat au nom d'un groupe activiste: les Joyeux Autonomes du Beaufinois qu'il a monté avec le patron du Baltou et le curé de Bonpéze tous deux opposants à la tévé par vocation sacerdotale.

    -Les joyeux autonomes du Beaufinois, ça fait pas un peu société d'aviron? M'interrogeai-je.

    -Ah moi ça me plait j'en suis! S'exalte Maître Bourmous, très rutilant  en acquittant sa première cotisation.

    Je pourrais opposer au principe de mon adhésion secréte à leur association que ma position officielle ne m'autorise pas à m'affilier à un groupe terroriste non reconnu d'utilité publique (commes le sont groupes de pressions, écologistes, féministes ou homosexuels) mais l'attrait de la nouveauté occulte en moi tout souci de prudence et je m'engage à leurs côtés dans les pas de Maître Bourmous

    Le cher Voualtère Brummeliche  réussit même à me placer en supplément une carte de pêche.

    (à suivre...)

     

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