• 3.
    Le 10/18
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>C'était en bord de nationale, un bâtiment de style psychédélique tardif, années soixante-dix, le 10/18, qui tenait de la boîte à partouze de chef-lieu et du patronage d'arrondissement. Au bar, presque seul, plus que seul, un très grand type d'une soixantaine d'années en sombre et en veston démodé à petits revers, l'on aurait dit un croque-mort, un membre décédé de l'Institut, ou un sauveur de patrie en costume de ville, n'importe quoi d'encombrant, de  passé, de révolu, macromégale pesant, plein d'os surnuméraires, très belle figure du paléolithique, il n'était point difficile de deviner que cet animal-là braquait mal en ville et chauffait dans les embouteillages de conscience.
    -Il vous rappelle quelqu'un s'pas ? Si je vous dis qu'il est natif de Bayeux. Cherchez pas c'est le fils naturel d'un général très connu dans les années soixante. Comment est-ce déjà... mais si un type qui a fait une gentille carrière dans la chansonnette patriotarde, le genre cosmique troupier, un qui levait les bras comme personne... le genre calamité agricole... ah zut j'ai tous ses disques à la maison... quand je vous dirai le nom...
    -Noooon ! Non ne le dîtes pas !
    Je transpirai soudain devant l'énormité de la révélation, comme nombre de mes compatriotes, j'avais fait le pèlerinage à Pigeonney les deux Gogues et visité la grotte miraculeuse:
    Je murmurais :
    -Vous voulez dire... le général de...
    -C'est cela mâme ! D'ailleurs ici pour tout le monde c'est Gaullichon et pour les intimes seulement, dont je m'honore d'être, c'est le Chef ‘von le Gueuzec.
    Le fils de grand homme se faisait manipuler à main lasse par une camarade qui n'était guère de plus de deux promotions avant lui.
    Cela sentait la sueur et le linge de corps, la chaussette et le Mir vaisselle.
    -Ce n'est pas un établissement que je vous recommande mais c'est ici que le chef ‘von le Gueuzec a ses habitudes. Votre moustache, elle se décolle...
    Sur mon insistance il m'avait prêté une moustache d'estivant pour passer incognito:
    -Essayez de faire bonne impression à Tintin.
    -Qui est Tintin ?
    -Le chef du bureau local des R.G ?
    -Il est ici ?
    -C'est le barman en string bedonnant qui est tout occupé à sa vaisselle de verres. C'est quoi ça ? Ajouta-t-il en désignant mon revers.
    -Les arts et lettres. Je suis encore jeune mais j'attends le...
    -J'essaierai de vous avoir un grand cordon de Los Conchidores de las Islas Bravados y Perditas, c'est rouge et très décoratif avec un petit haut tout simple ça impressionne dans les cocktails dînatoires.
    -On m'a dit que le mérite agricole était bienvenue dans les circonscriptions rurales...
    -Sans doute mais pour ça il faut intriguer et ce n'est pas notre genre n'est-ce pas... Mes respects chef .
    -Tiens Valter quel bon vent...
    Il parlait avec une autorité affectée et clapeuse de membre (sans doute encombrant) de l'institut et une voix tellurique, souterraine, vibrante et résonnante.
    -La douce brise du matin...
    -Il est si  tard.
    -Pas loin de six heures.
    -Ouh là là, je dois voir notre correspondant à La Ponche et j'ai une filature du côté de Petrose-Duirec... tiens merci mon enfant te fatigue pas va ça viendra plus maintenant.
    Il glissa un bifton dans le sous-tif de la dame méritante et artiste qui soulagée, s'en alla soigner en coulisses sa tendinite et répétait sa liste des courses pour le marché.
    -Il se fait tôt ! Gueula de sa voix de baryton martin le chef ‘von le Gueuzec.
    -Je vous raccompagne Chef ? Proposa Chéchignac.
    -Tu es gentil Valter mais j'ai la camionnette dehors. Adieu Tintin.
    -A ce soir Chef.
    <o:p> </o:p>Sa camionnette de fonction l'attendait, splendide véhicule d'un modèle utilitaire et périmé, laqué de noir, qui annonçait en gros sur les flancs en belles anglaises dorées :
    <o:p> </o:p>Dartemont Soeurs
    Enquêtes privées et commerciales. Filatures.
    Maison de confiance . Fondée en 1856.
    12, coin Maurin,12
    La Marinière - La Conche sur Ponche.
    <o:p> </o:p>-C'est avec ça que vous faîtes vos filatures ? Demandais-je stupéfait par cette démonstration un peu trop évidente de candeur provinciale.
    -Béh dame elle est toute équipée. J'ai même la stéréo et la glacière.
    -Mais vous ne craignez pas de vous faire repérer. Ajoutais-je avec cet air de supériorité ricanante, vérole de conscrit que j'avais contractée dans certains établissements supérieurs autant que  parisiens, que mes électeurs me reprocheront toujours et dont je conserverai des séquelles toute ma vie, la clinique est définitive là dessus.
    -Ba-ba-ba ! Les gens ne font plus attention à rien, ils sont bien trop occupés à leurs petites affaires, toutes les saloperies et les lâchetés, les égoïsmes mijotés qu'ils ont en cours.
    Pour ma part je suis franc, j'annonce la couleur, je ne me cache pas plus que nécessaire.
    -Quand cela s'avère « nécessaire » le chef ‘von le Gueuzec sait être un véritable Frégolo.
    -Sur ce coup, tu vois mon petit Valter j'avais pensé à un petit ensemble de plage, mais pour me mettre en plagiste c'est encore un peu tôt en saison et puis je sors de grippe alors je vais vendre des ballons, multicolores, ça me payera toujours l'essence.
    Il avait ouvert la porte arrière et commença de gonfler des ballons. Chéchignac lui prit la roue, ne sachant quelle attitude adoptée, je fis comme eux et nous nous retrouvâmes, tous les trois en bord de départementale à gonfler des ballons multicolores de couleur rouge, il n'avait que ça en magasin.
    Le consul Chéchignac en profita quand même pour lui expliquer ma petite affaire.
    -Je vois, j'espère que tu n'as pas eu trop de dégâts chez toi mon petit Valter.
    Il commençait à m'agacer avec son petit Valter, ma situation était quand même plus préoccupante que la sienne, écœuré, j'arrêtais de gonfler, je manquais  décidément de souffle.
    Ils l'avaient remarqué.
    -Et forcément ce jeune homme s'inquiète pour son avenir. Ma foi avec Letroncheur en face il y a de quoi. Ce garçon n'a aucun principe moral seulement des principes électoraux.
    Malgré tout je l'imagine mal se lancer dans des dépenses somptuaires et puis je ne vois pas comment il pourrait justifier dans ses comptes de campagne le défraiement de deux tueurs boliviens à plein temps, surtout avec tout ce qu'ils ont pu s'envoyer comme mauvais champagne cette nuit au 10/18. Toute la réserve de mousseux de Tintin y est passée et à la suite celle de liquide vaisselle. Il te les a traités grand seigneur à cette heure ils doivent encore faire des bulles.
    -Vous les avez vus ?
    -Je les ai croisés au buffet de la gare, ils m'intriguaient ces pékins-là et je les ai suivis jusqu'ici... un peu par désœuvrement je l'avoue.
    -Et beaucoup par vocation. Et Tintin il est au courant ?
    -Mais mon petit Valter tu sais bien qu'il  n'est jamais au courant de rien pourquoi il travaille aux Renseignements Généraux pour pas avoir l'air trop con en ville et être un minimum rencardé sur la marche de son affaire. Si j'avais su qu'ils étaient venus chez toi pour faire du schproum, je te les aurais réglés quand ils ont rembarqué au train de 5 heures 17 pour Paris. Pour le reste j'ai noté leurs identités, j'ai demandé à une des filles de Tintin de me passer leurs passeports le temps nécessaire, je vais me renseigner et je te tiendrai au courant.
    Le Chef ‘von le Gueuzec serra la main de Walter Chéchignac, finit d'attacher ses ballons et repartit dans sa camionnette aux armes de Dartemont Sœurs. Il n'avait pas même songé à me saluer. (à suivre...)
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  • 2.
    La Maison du druide
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>J'avais insisté pour faire un brin de toilette chez eux avant de me présenter à mon comité d'accueil officiel.
    Ils y avaient consenti à regrets.
    Il fallut faire un détour le couple La Rincée habitait en dehors de la ville en plein marais salant.
    -Mon mari a abandonné le métier, trop fatigant et puis ça lui donnait soif ! Pour quoi il travaille en mairie.
    -Et il n'a plus soif ?
    -Si mais il a une prime. Y a plus que moi qui y travaille encore un peu aux bassins.
    Sous la lune et avec la blancheur du sel, ce paysage géométrique prenait des airs de confins.
    J'y mis les pieds, avançais mais le gros La Rincée me rattrapa  par le col après quelques mètres d'exploration.
    -N'allez pas par là vous allez vous casser la gueule !
    -Votre épouvantail... là-bas il est tombé
    Je désignais une forme quasi humaine recouverte de sel et en émergeant à demi, un bras levée haut au ciel.
    -C'est curieux je ne savais pas qu'il y avait le besoin d'épouvantail dans un marais salant ?
    -Béh... béh mais comment don' ! Mais... mais si comme de juste ! ‘Faut bien ça pour éloigner le volatile. Me confirma la Marie Bertalot accourue fort à propos à mon secours... La Rincée va t'occuper de... de l'épouvantail, qu'on risque de rentrer tard ce tantôt.
    -L'épouvantail ? Quel épouvantail !
    -Mais si là-bas ! Là-bas ! Bouges-toi don' !
    Il obéit l'énorme à son énergique moitié avec une lâcheté de fauve trop bien nourrie.
    -Bon ben maintenant que vous êtes nettoyé monsieur La Gaspérine  y faudrait p'us tarder on nous attend à la maison du druide !
    La maison du druide ? Curieuse destination.
    <o:p> </o:p>*
    <o:p> </o:p>-... et pourquoi l'appelle-t-on la maison du druide ?
    -Rapport à son père Le Grand Vate qui en était un.
    -De druide ?
    -Tout juste, une vedette, il travaillait dans le music-hall et puis il a épousé sur le tard une américaine, très jeune et très riche et il a fait construire ici face à l'océan rapport que c'était bon pour sa concentration cosmogonique. 
    -Et ce Walter Chéchignac est l'enfant de leur union.
    -Le père Chéchignac avait soixante-dix ans passés quand il l'a eu, faut dire aussi qu'il est mort centenaire quand à l'autre l'étrangère elle vit toujours à Nice.
    -Et le fils a hérité des dons de son père ?
    -Lui il est dans la diplomatie, il est consul de ch'ais pas quoi et d'ailleurs... pensez si ça lui laisse du temps ... et puis il fait des affaires... ah pour ça il est bien serviable mais c'est un malouin !
    -Un malouin ?
    -Comprendre : dans le temps il aurait vécu des nègres, maintenant va savoir ce qu'il trafique.
    Un malouin fils de mage  cela promettait.
    Je toussotai :
    -N'est-ce pas un peu compromettant que de m'aboucher avec...
    -Qui c'est qui vous a demandé de coucher avec... et puis c'est le seul au pays qui aye pas peur de Letroncheur et qui veuille bien de vous, alors c'est ça ou l'asile de nuit ! Précisa avec quelque hargne La Rincée.
    Dans quel pays étais-je don'tombé ? 
    Je me souvenais avec un peu de ressentiment de ce que m'avaient raconté Amédée de La Branlaye et Martial Medpeux le préposé aux sondages et aux études d'opinion :
    -Ce coin-là  y a plus qu'à démouler. Taux de chômage au dessus de la moyenne nationale : ça leur met la pression, terre de tradition pour l'alcoolisme et les processions :  obscurantisme et vision double. Dire s'ils croient aux apparitions et aux chiffres officiels de l'inflation ces cons-là ! Et avec ça ils ne jurent que par la pêche et l'élevage autant dire que si on leur coupe les droits à prîme et autres subventions  hasta la vista !
    J'avais rendez-vous avec eux chez ce Chéchignac j'allais leur parler du pays.
    <o:p> </o:p>Nous débarquâmes chez lui à la nuit. C'était une énorme bâtisse musculeuse, ramassée et tapie sur son promontoire de récifs, guettant la mer comme pour lui mordre l'échine ou lui sauter au cou, cela ressemblait plus à une retraite de... de malouin, précisément qu'à une loge de druide.  
    Le mauvais temps donnait dans le coin une représentation très véridique et l'on sentait dans ses fibres et sous ses pieds se déroulait l'acte vengeur.
    Une gouvernante sombre, duègne en grand deuil, dentelles dans les tons et bottes jaunes de pêcheur de crevettes vint nous ouvrir :
    -Bonjour Dona Chupita  je suis avec le monsieur pour monsieur Walter. Annonça la velue.
    Elle prit ses aises dans le grand hall années cinquante, déposant cirés et chapeaux sur les bergères de velours rouge .
    -Ils sont en bas au théâtre ils écopent. Nous annonça l'ouvreuse en m'éclairant le visage de sa torche.
    Le théâtre voilà bien que ce cette demeure rappelait, un théâtre, ou plutôt l'un de ces music-halls de quartier des années cinquante, opulents, nourris de staff et velours rouge.
    Le plus étonnant était que l'on s'y sentait fort bien tout de suite, oui chez soi ou plutôt comme en enfance.
    Il y avait le long des couloirs des affiches du Grand Vate Chéchignac: voyant, druide, extra-lucide et lanceur de couteaux : un programme à lui seul.
    Le théâtre était en dessous et taillé dans la roche, sans doute pourquoi il prenait l'eau, nous arrivâmes par la scène, quelques types en smoking mais  bottés de caoutchouc écopaient dans l'orchestre.
    -Bonjour Marie c'est gentil de venir nous voir, tu m'a amené ton homme ça tombe bien les chiottes ont explosés !
    La voix venait du trou du souffleur, et malgré la rampe allumée qui nous éblouissait je crus ressentir un regard.
    -Vous inquiétez pas Monsieur Walter on va voir ç'qu'on peut faire ! 
    La Rincée se mit au travail il se jeta même dedans les pieds joints pendant que Walter Chéchignac abandonnait l'immersion périscopique  et nous rejoignait sur la scène.
    Il fit la bise à la Marie Bertalot et me serra la main sans façon :
    -Bienvenue au pays monsieur La Gaspèrine, j'espère que vous vous plairez ici. Drôle d'inauguration mais enfin paraît-il que cela porte bonheur. Me dit-il en regardant mes escarpins de parachutiste mondain baignant dans une boue verdâtre et malodorante. 
    -C'est de la... ?
    -C'en est ? Et de la millésimée ! D'un coup tout est remonté en surface. Secousse tellurique ? Remuement océanique ? Je ne saurais dire. Dans tout les cas un véritable feu d'artifice. Il y a longtemps que j'aurais dû faire curer la fosse.Venez vos amis vous attendent on a presque fini de les dégager, les pauvres, j'avais préparé un petit récital de musique de chambre et en vous attendant je leur faisais visiter le théâtre en prévision de l'une   de vos prochaines réunions, ils ont voulu s'isoler un peu, ne vous inquiétez pas mais l'un des deux semble très choqué, c'est celui qui a actionné la chaîne.
    -... pouvais pas prévoir... chialait Martial Médpeux que j'eus quelque mal à reconnaître sous sa gangue qui le faisait ressembler à un Godzilla nourrisson et repentant.
    L'altiste s'occupait de lui enlever la croûte du bout de son archet tandis que la pianiste en robe du soir souquait ferme, que le chef d'orchestre dirigeait avec énergie l'andante terrassier et que le ténor officiant réclamait du papier sur l'air de « Gente, gente, all armi, all armi ! ». 
    Walter Chéchignac, que je ne vous ai point encore décrit, imaginez un bel homme d'une trente-huitaine d'années qui aurait l'air de se ficher perpétuellement du monde en se lissant la moustache, Walter Chéchignac donc, me prit par l'épaule, j'étais plus grand que lui, et il m'entraîna vers les loges.
    -Dîtes-moi cher monsieur La Gaspèrine quelqu'un de vos relations ou collègues vous en voudrait-il ?
    -Mais... mais non, je ne sais pas... ici personne ne me connaît.
    -Et à Paris ?
    Je me rebiffais :
    -Non. Bien entendu.
    -Bien entendu, bien entendu, nous savons que votre réputation est sans tâche.
    On aurait cru qu'il parlait à une chambrière qu'il venait d'engager dont il avait obtenu les meilleurs renseignements de son curé mais ... mais qu'il regrettait maintenant d'avoir choisie.
    Etait-ce donc lui qui m'avait choisi ? Ce... fils de mage de music-hall, ce...
    -A dire le vrai, mon cher La Gaspèrine il semblerait qu'il ne s'agit point là d'un accident.
    Ma colère céda devant ma stupéfaction :
    -Vous voulez dire... un attentat.
    -Précisément deux livres de Semtek d'appellation contrôlé carrées sous la dunette, heureusement la charge aura basculé dans toute cette masse accumulée depuis des années sauf à quoi la grande famille des cosmonautes compterait deux nouveaux membres.
    -Vous... vous croyez que Letroncheur s'amuserait à ça ?
    -Letroncheur... c'est un démagogue c'est à dire l'exact contraire d'un manuel mais enfin... pour ne pas laisser la question en suspens je vous proposerai d'aller rendre visite à l'un des amis de mon père qui s'est fait une spécialité de résoudre ce genre d'interrogations.
    -Vous voulez dire un... druide c'est ça ?
    -Par Dieu non, non un détective privé, vous verrez c'est une personne de qualité, un ancien garde républicain, vous dire si nous sommes en confiance. Enfin que tout cela ne nous empêche pas de bien manger et bien boire.
    Je n'avais pas beaucoup d'appétit je n'en ai jamais tellement eu, surtout devant de tels buffets pour retour de chasse de notables apoplectiques fin de siècle. Trois étages de charcutaille, de poulaille et de viandailles, augmentées de desserts  turgescents.
    -Comment peut-on encore manger à l'aube du XXI° siècle du cervelas vinaigrette ? Cela dépasse mon entendement.Dis-je à mon voisin de table le chef d'orchestre pondéreux qui n'était autre que le Maestro belge Adrian Van Der Meuh .
    -‘inaigrette? Pourquoi vous le préféreriez atomique ? Ah ! Ah !
    -Eh bien voyez, j'imaginais pas que dé travailler la mierda ça puisse aussi bien ouvrir l'appétit ! Remarqua le ténor, le grand Décato Vafanculi.
    J'insistais :
    -Mais vous maître pour l'exercice de votre art, vous ne pensez pas qu'une certaine discipline de vie est nécessaire.
    -Vous savez, moi, je braque mal dans les adagis, alors j'ai évité de m'en faire une spécialité et pour ce qui est de la discipline et de garder sa ligne je laisse ça aux bonnes sœurs et aux gigolis de palace à tout ceux qui se touchent et se gênent. 
    Walter Chéchignac me regardait, avec désolation et sans trop d'appétit.
    Martial Médpeu, toujours effondré, faisait des raies avec sa fourchette dans sa purée de marrons en répétant :
    -... ‘est pas moi... pouvais pas prévoir... tiré sur la chaîne...
    -Ah ça aussi ‘faudra vous y faire, ici c'est pas comme à Paris, on sait encore avoir faim ! Me fit humainement remarqué la velue en reprenant de la geline en croûte.        
    Tout ce petit monde serviable, corvéable et artiste faisait un sacré boucan, si bien que l'on n'entendait plus la vieille gueularde dehors, la mer non pas recommencée, mais maintenant radotante et bientôt baveuse et bavouillante.
    <o:p> </o:p>Il était quatre heures du matin quand « le récital d'Adieux  et d'hommage à notre hôte » commandé par Van Der Meuh commença sur la grande terrasse surplombant l'océan.
    La musique éveillait nos âmes, le calme emplissait nos sens, la salle était immense et la lumière d'un tact infini. Instant inéfragable.
    <o:p> </o:p>Nous nous quittâmes sur le pas de la porte, moi sur le même rang que notre hôte :
    -Un jour Port-Saïd, le lendemain Tourcoing... la vie d'artiste... Prophétisait tel un indicateur des chemins de fer Vafanculi en consultant son programme.
    -Ten v'là que ça me reprend ! Gueula Van Der Meuh. La faim et la tringlette.
    -Je me suis permis de vous faire préparer des paniers pour la route. Le rassura Chéchignac. Pour le reste cher maître je ne m'inquiète guère...
    -Vous avez raison sitôt arrivé à l'hôtel j'enfile mon assistante...
    -Vous oubliez Adrian qu'ils vous l'ont changé... c'est un jeune homme qui vous assiste maintenant, charmant au demeurant ! Lui fit remarquer la pianiste, Mademoiselle Br... polonaise au nom imprononçable.
    -Merde c'est pourtant vrai, m'ont foutu un jeune con à la place... bah à la guerre comme à la guerre, et puis c'est formateur ! Cela lui sera fort utile pour sa carrière.
    -Divino Walter murmura la grande cantatrice Margaretha Coucourbitowa en rentrant  profondément sa langue dans la bouche de Chéchignac qui n'en demandait pas tant.
    Sans être médisant il n'était pas difficile de deviner qu'ils ne se connaissaient pas seulement de la veille. Bref cela commençait à sentir furieusement le sexe, rien ne sent d'ailleurs plus le sexe que la musique d'orchestre, l'effort accompli en commun sans doute qui crée une familiarité d'athlète. Moi-même je bandouillais douillettement, pour ma part c'était cette Mademoiselle Br... pianiste déconcertante dont la simple contemplation de son dos nue, agissant, ondulant, expirant, souplement, m'avait troublé les sangs toute la soirée.
    Leur minibus fut enfin chargée, le piano à queue, les pattes en l'air sur la galerie et les artistes sagement sanglés à leur siége comme des mômes en colonie de vacances, c'était Van der Meuh qui conduisait, c'était toujours Van der Meuh qui conduisait et c'était comme ça depuis l'enfance nous assura-t-il avec quelque assurance.
    Il vérifia la tension des sandows, plongea la main dans le panier de victuailles puis dans la culotte de la pianiste, fit une drôle de moue en la retirant, se prit une claque et enfin pressé par l'horaire il démarra.
    <o:p> </o:p>Après avoir bien agité nos mouchoirs pour saluer leur départ, je me préparais à m'aller coucher à l'imitation de La Branlaye baillant, et de l'inconsolable Medpeu quand Walter Chéchignac me reprit par l'épaule, cela devenait décidément une habitude.
    -Bien puisque nous voilà en train, mon cher La Gaspèrine nous allons pouvoir rendre cette visite utile dont je vous entretenais tout à l'heure.
    -Vous voulez maintenant ?

    -Bah il n'est que cinq heures... nous avons bien le temps... (à suivre...)

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  • 1.
    vé.vé.vé.taartagle.com !
    <?xml:namespace prefix = o ns = "urn:schemas-microsoft-com:office:office" /><o:p> </o:p>Je fus parachuté sur La Conche sur Ponche au tout début du mois de Juin, de nuit bien entendu, l'on craignait une défense opiniâtre des ultimes défenseurs de la Section locale.
    J'atterris sur l'antenne du bistrot « Au Père Brouillard », glissais tout le long de la toiture, passais au travers de la véranda et pris place fort bruyamment sur une banquette de moleskine en bout de salle qui amortit éloquemment ma chute.
    Malgré le bruit, malgré l'explosion des vitres, et ma tenue hétéroclite, partie costume de ville, partie toile de parachute, harnais et cordages, les trois ivrognes de faction et le patron sentinelle admirable, sans doute grisé par le devoir inlassablement accompli au long des tournées, ne remarquèrent rien et civilement le Père Brouillard, qui méritait bien son nom, vint me servir:
    -C'est ben vous qui avez demandé un Saumur ?
    -Euh... oui tout à fait... articulai-je en retirant les bouts de verre de ma chevelure chauve, soit de mon cuir plus tellement chevelu.
    -Tiens le temps se couvre, commence à faire froid pour la saison. Météorisa le vieux père à point en contemplant sans l'apercevoir sa véranda crevé. Vous avez du jus de tomate sur vot' cravate.
    Il regagna son comptoir tandis que je tentais de remettre en marche mon poste émetteur.
    -Allô Charlie Bravo Tango champignons pommes  de terre appelle la base... sui' t'arrivé... heu' répète... sui't'arrivé...
    -... shrruuunnk... shruuuunnnk... où z'êtes vous Charlie patate...
    -‘tendez que je fasse le point... je vais vous donner ma position je répète... je vais...
    -Shruunk... Mais on s'en fout de ta position donne nous plutôt ton numéro de portable eh grosse truffe! shrruuunk... shruuunk...  
    De fait tout l'appareillage de cosmique troupier dont m'avait pourvu Amédée de la Branlaye, le chargé des circonscriptions au parti m'apparut soudain, hors de saison et superflu, je livrais à mon correspondant le numéro attendu et sortit mon téléphone portable, tout mon être aiguisé, aux aguets en ce pays hostile, quasi ennemi.
    Il ne se passa pas trois minutes avant que l'appareil ne sonnât et que ne surgissâssent devant moi trois cirés jaunes hilares.
    -Ah béh le v'là ce con dit le plus massif !
    Tandis qu'une militante velue se précipitait vers moi une mallette à croix-rouge de premiers secours à la main.
    -Ah j'ai bien fait de prendre la trousse à pharmacie... on était au rendez-vous, on a entendu l'avion mais quoi vous n'avez pas vu nos feux dans la clairière ?
    -Non le pilote n'était pas très aimable, il a dit qu'il ne voulait pas perdre son temps et je crois bien... mais je me souviens mal à cause de la chute... enfin oui il me semble qu'il m'a poussé dehors...
    -Il vous a jeté comme ça n'importe où ? Ah c'est bien des parisiens ça ! ‘tendez  ‘va' vous soigner... me rassura la velue.
    -Pu... pu... purquoi je suis blessé ?
    -Tiens don' regardez vous plutôt dans la glace là-bas, vous êtes pas beau à voir !
    Je me regardais, j'étais non seulement blessé mais ridicule, mon costume et ma cravate en haillons enroulé, emmailloté dans la toile du parachute comme en des langes de nouveau-né, mon attaché case pendant ouvert et répandu, le tout baignant dans ma sauce d'écorché.
    -Qu'est-ce y z'ont besoin de nous envoyer des parisiens ces cons-là ? C'était le massif armoricain qui avait tonné. Il semblait s'être spécialisé dans les réflexions de bon sens proférées sans hygiène de bouche à l'endroit des parisiens.
    Mais le bon sens provincial ne m'impressionnait pas plus que les odeurs corporelles.
    -Ecoutez-le pas il est un peu déçu parce que lui il en avait pour Letroncheur comme pas mal de chez nous. Il travaille à la mairie et dans le temps il lui faisait le chauffeur. Me susurra la tendre poilue qui me soignait et m'enveloppait de coton et de bandes velpeau.
    -Chère Madame...
    -Appelez-moi Marie... Marie Bertalot...
    -Chère Marie s'il me fallait écouter tous les imbéciles du pays je n'en finirais pas!
    -Je dis pas pour çui-ci vu que c'est mon mari, La Rincée qu'on l'appelle dans le pays, mais pour les autres il faudra, c'est un métier vous savez, pour ça Lulu y savait y faire.
    -Lulu, quel Lulu ?
    -Le Lucien Boitel... votre prédécesseur... quel dommage... son accident...
    Le sus-dit Boitel Lucien, représentant des (basses) côtes du nord s'était benoîtement estronché contre un calvaire en revenant d'une sauterie électorale. Belle mort laïque et républicaine face à la réaction cléricale la plus érective.
    Dans le parti auquel j'appartenais l'Union pour le Rassemblement, il était membre comme moi du courant majoritaire: le Cercons (Cercle Européen Républicain Consternant et Social), le bureau directeur ayant décidé de remplacer poste pour poste, après moult détours et retours l'investiture du Parti m'était revenue au grand désappointement du régional de l'étape et député le déjà nommé Jean-Pierre Letroncheur qui depuis ne décolérait pas et fomentait au su et au vu de tout le monde un coup de force contre ma candidature.
    -Venez maintenant on va vous évacuer vers un endroit sûr, il faut pas qu'on sache que vous êtes déjà en ville.  
    -Et pourquoi don' je vous prie ?
    -Rapport à ce que les types de la Section ont dit s'ils vous trouvaient z'en ville: y n'ont promis de vous enfermer dan' h'un casier à zomards et de s'en aller vous mouiller au large ! Précisa en rigolant le gros va de la gueule dit La Rincée.
    Se rincer il savait faire c'était se laver qu'il ne savait pas.
    -Z'alors partons mon cher!
    N'ayant aucune envie de prendre la mer par un temps pareil je me ralliais à la proposition d'un repli tactique sur des bases que j'espérais préparées de longtemps à l'avance... (à suivre) 
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